Nous vous proposons aujourd'hui une fiche de lecture que nous publions également sur le site de réflexion stratégique U 235 et ce, dans le cadre de notre réflexion sur la résilience tactique (voir notre article http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/2014/09/de-la-resilience-tactique-ou-comment.html). Nous traiterons donc de l'ouvrage de Meir Finkel : "On flexibility" paru en 2011.
Meir
Finkel est général de réserve au sein de l’armée israélienne, il a d’ailleurs
commandé une brigade blindée de réservistes. Il a été très marqué par la guerre
du Kippour en 1973 (et en particulier l’emploi important mais inattendu, par
les pays arabes, d’armes antichars et antiaériennes qui ont, dans les prémices
du combat, sidéré Tsahal avant un sursaut victorieux d’Israël. Actuellement
directeur du centre de recherche et de la doctrine du ministère de la défense
israélien, son ouvrage, publié en 2011, est la retranscription de sa thèse
basée sur la surprise tactique.
L’ouvrage et sa
thèse :
Meir
Finkel développe, en anglais, sa théorie de ce que nous pourrions appeler, en
France, la résilience tactique en la dénommant « flexibilité sur le champ de
bataille ». Ainsi, il considère que la surprise, qu’elle soit
doctrinale, technologique ou de l’ordre de l’art de la guerre, demeure la
principale arme dans un conflit et ce, que ce soit pour une confrontation
conventionnelle comme dans un combat asymétrique. D’ailleurs, il souligne que
bon nombre d’exemples historiques au XXème siècle, comme l’utilisation des leurres radars
par les Britanniques en 1944, l’apparition du char T34 soviétique ou l’emploi
de missiles Sagger par les Egyptiens en 1973, sont autant de références
appuyant sa thèse.
En
fait, il réfute l’idée que le renseignement (même employé avec efficacité)
peut, à lui seul, permettre d’anticiper la surprise et ainsi de préserver une
armée de la perte d’initiative au moment d’un engagement. Il considère
également que la planification à outrance, mais aussi la préparation de cas non
conformes, restent sans effet sur la bataille dont l’issue ne dépendra que de
la capacité, pour une armée, son organisation, ses matériels et ses chefs, à
être flexible.
La
surprise viendrait du fait que l’on croit, en élaborant sa propre manœuvre, que
l’ennemi agira selon un schéma connu alors qu’il cherchera à nous surprendre
dans les domaines de l’intention, du temps, du lieu, de la force et du style de
combat (théorie de Barton Whaley et de Robert Leonhard).
En
outre, l’auteur reproche aux armées occidentales de s’appuyer sur les concepts
clausewitziens de supériorité numérique (armées de masse), de génie militaire
(mythe de Napoléon) et de victoire rapide (une guerre courte est sans surprise)
pour mettre de côté la nécessaire flexibilité de l’outil de combat. Si son
modèle reste le général Von Moltke et son commandement décentralisé, Meir
Finkel critique vertement le conservatisme militaire qui a nui, bien souvent, à
la faculté d’adaptation des soldats en campagne et à la préparation à la
conflictualité du futur et ce, quelle que soit l’époque.
Il
utilise plusieurs cas extraits de l’histoire militaire, notamment de la seconde
guerre mondiale, mais aussi l’engagement soviétique en Afghanistan pour montrer
que l’on peut s’adapter à une surprise tactique (parfois en travaillant sur le
long terme) ou en être victime et donc, ne pas pouvoir la dépasser (forces
françaises bousculées par la « BlitzKrieg »
allemande en 1940).
La
résilience passe alors par la flexibilité
doctrinale (équilibre entre les fonctions opérationnelles, refus d’un
dogme, réceptivité aux idées nouvelles), par la flexibilité organisationnelle et technologique (redondance au sein
des armements disponibles et des systèmes de commandement, diversité des
structures pour les unités, principe dit d’Alkyoneus[1]). Dans
ce cadre, Meir Finkel insiste pour que, dans le domaine technologique, les
équipements soient versatiles,
c’est-à-dire capables d’être utilisés pour un autre but que celui de leur
conception (le canon de 88mm anti-aérien allemand devenu une arme antichar
redoutable) ou pouvant être continuellement adaptés à la menace ou au besoin.
Néanmoins, le plan le plus important de sa théorie pour faire face à la
surprise s’appuie sur les chefs militaires ainsi que sur leurs états-majors
dont il faut développer la flexibilité
cognitive. Celle-ci repose principalement sur la capacité à l’initiative
(Auftrags Taktik allemande ou commandement par objectifs), sur une structure de
décision décentralisée qui permet au chef sur le terrain une décision rapide,
adaptée à la situation et réactive tactiquement. Cette subsidiarité, souvent
réduite du fait d’une volonté des échelons stratégiques de pratiquer le
« micro management » sur les unités déployées (d’autant que ces
dernières sont aujourd’hui de moins en moins nombreuses sur les théâtres d’opérations),
est la seule garantie pour assurer une bonne résilience sur le champ de
bataille.
Enfin,
la force du retour d’expérience, la
faculté d’apprendre des erreurs passées et à tirer des enseignements des
engagements du moment, puis à diffuser rapidement les bonnes pratiques ou
parades, permettent de consolider le spectre de la flexibilité.
Pour
conclure, l‘auteur considère que son travail, et l’apport de nombreux
stratégistes, permet de combler un manque dans la recherche. En effet, il
remettrait le principe de surprise au cœur de la réflexion tactique devant
d’autres préceptes comme la liberté d’action ou la concentration des efforts.
L’objet de son étude est alors d’influencer les approches culturelles et
militaires des armées (en particulier Tsahal) dans la préparation, comme la
conduite, des conflits contemporains face à des menaces qualifiées d’hybrides
ou dans des guerres de contre-insurrection et cela, afin d’éviter que la
surprise ne vienne fragiliser les corps expéditionnaire ou les opérations.
Avis :
Bien
documenté et appuyé sur de nombreuses références, le livre de Meir Finkel
aborde un sujet peu traité dans le domaine de la réflexion tactique, à savoir
la flexibilité et la capacité à réagir rapidement à une surprise, qu’elle soit
technique ou doctrinale. Néanmoins, si son approche de la problématique éveille
la curiosité du lecteur, ses exemples très ciblées et, finalement, peu
nombreux, ne permettent pas toujours de tirer des conclusions générales.
Certes, il met en avant la nécessaire marge d’initiative du chef militaire, des
équipements polyvalents, une doctrine adaptable, cet ensemble apparaissant
comme les solutions à tous les types d’engagements, mais son rejet de la
planification, du renseignement comme arme d’anticipation paraît outrancier. Les
innovations technologiques comme les drones, les satellites, la guerre
électronique ou la menace cyber, mais aussi l’emploi des forces spéciales ou de
la numérisation sont d’ailleurs complètement absents au fil des pages.
Il
fait de nombreux constats sans jamais aller au bout du raisonnement sans
proposer des structures concrètes, un enseignement militaire adéquat, une forme
de commandement réactive (son intérêt pour la formule allemande de la seconde
guerre mondiale n’est pas toujours objectif). Au bilan, on trouve dans cet
ouvrage des idées intéressantes, parfois innovantes, mais on reste sur sa faim
sans être toujours convaincu par le propos.
[1]
Hercules, dans la mythologie grecque, parvient à vaincre Alkyoneus après avoir
identifié son point faible et après l’avoir obligé à se battre dans une
situation défavorable.
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