L’armée française s’est longtemps contentée de
l’idée de « grande tactique »
pour penser l’art de la guerre, oubliant, de fait, l’échelon opératif. Néanmoins,
cet héritage semble aujourd’hui ne plus influencer sa manière de concevoir et
même de conduire les opérations sur les théâtres d’engagement contemporains ou
à l’occasion de crises qui secouent, par exemple, le continent africain. Ces
derniers sont en effet parfaitement dimensionnés pour s’adapter aux exigences
de l’opératique, cet échelon intermédiaire entre la tactique et la stratégie et
ce, de par l’étendue des territoires concernés (le Mali représente près de 3
fois la France), du fait des contraintes des milieux traversés (déserts,
massifs montagneux, brousse, marécages fluviaux), de la diversité des
populations et des environnements humains rencontrés (des mégalopoles surpeuplées
et miséreuses aux camps de nomades en
passant par les villages isolées) mais aussi par la multiplicité des
adversaires potentiels (armées conventionnelles, groupes armés terroristes,
bandes criminelles, milices d’auto-défense, foules violentes, mercenaires,
forces paramilitaires,…) auxquels les militaires sont confrontés.
La France s’est effectivement dotée de PC opératifs
au travers de ses EMF[1]
nationaux ou des CRR[2]
multinationaux et, depuis les déploiements en Ex-Yougoslavie, au Kosovo et en
Afghanistan, elle s’est bâtie une doctrine opérative largement influencée par
la pensée anglo-saxonne et otanienne. Mais cette méthode de raisonnement
est-elle adaptée à la culture militaire de notre pays (que d’aucuns appellent l’« exception française ») ainsi qu’au
format des forces que nous engageons actuellement mais également aux situations
conflictuelles qui émergent sur l’arc de crise défini dans le Livre
Blanc ?
Pour répondre à cette question, une fois de plus,
l’histoire militaire apporte ses enseignements même s’il ne s’agit pas de copier
ce qui s’est fait à d’autres époques mais de retrouver l’intention, la posture
intellectuelle et morale qui ont permis d’amener le succès à nos anciens. Dans
ce cadre, l’action du maréchal Leclerc, en Afrique tout d’abord, avec les
prémices des forces françaises libres, pendant les combats de la 2ème
DB sur le sol national puis au cours de la reconquête de l’Indochine en 1945
par le CEFEO[3], demeure
la clé de ce qui pourrait devenir l’esprit de l’art opératif français.
De ce fait, si l’histoire militaire française n’est
guère enrichie par la culture opératique, nous verrons que la France s’est
rapidement adaptée aux procédures d’outre-Atlantique mais doit maintenant
renouer avec l’héritage de l’esprit « Leclerc »
pour élaborer une vision pragmatique et innovante de l’action opérative.
1-
La « grande tactique » dans la pensée militaire française.
Le crédo français de la « grande tactique » va polluer la pensée opérative française
jusqu’en 1940, ne permettant pas aux grands chefs d’anticiper les évolutions
dans la conduite des opérations et imposant, à chaque grand conflit, un effort
d’adaptation au fil de l’eau.
Dès le XVIIIème siècle, les praticiens de la guerre, en
France, pressentent la nécessité de réfléchir à un échelon intermédiaire entre
la stratégie et les manœuvres du champ de bataille et ce, afin de mieux
coordonner des armées de plus en plus nombreuses et dotées de moyens
complémentaires (artillerie par exemple). Mais cette initiative ne se
concrétise que par la recherche de nouvelles organisations ou types d’unité
comme les divisions de Victor de Broglie en 1760 ou celles de Bourcet figurant,
en 1771, dans ses « Principes de la guerre en montagne ».
Ce dernier ouvrage part du postulat que les forces devront, à l’avenir, être
engagées et se battre sur des compartiments de terrain de plus en plus
cloisonnés et dépassant les échelles convenues dans les combats passés. Si
l’ambition est bonne, une fois de plus, elle se focalise sur la constitution de
grandes unités interarmes sans état-major conséquent et dont l’autonomie se
limite à la mise en œuvre des missions fixées par un commandement hyper
centralisé.
A suivre
[1]
Etat-major de force de niveau 2.
[2]
Corps de réaction rapide de niveau 1.
[3]
Corps expéditionnaire français en Extrême –Orient.
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