Le
04 janvier 1910, le capitaine français Fiegenschuh, qui s’était illustré contre
les tribus ouadaï par son audace 3 ans plus tôt dans la conquête d’Abéché
(Tchad), tombe dans une embuscade à Ouadi Kadja. Sa troupe est anéantie car
elle est tombée dans le piège tendu par le sultan Tadjadine (combattants
massalites) qui avait invité l’officier à une entrevue pour négocier un traité
de paix, invitation qui n’était autre qu’une ruse de guerre.
Le
colonel Moll, commandant la garnison d’Abéché, apprenant la nouvelle à
Brazzaville où il se trouve en mission, rejoint ses forces au Tchad en novembre
(10 mois après la mort de ses subordonnés) et décide de marcher à l’ennemi.
Mais
il sous-estime son adversaire et conduit sa colonne sans prendre le soin d’établir
une flanc- garde ou de projeter vers l’avant des patrouilles de reconnaissance.
Ses bivouacs sont faiblement gardés et ses « Zéribas » (enceinte de
fortune faîte de bois épineux) sont mal préparées et insuffisamment fournies.
Faisant fi du principe de sûreté, il ignore les indices de la présence ennemie.
En effet, il atteint le site de l’embuscade, rend les honneurs aux dépouilles
de ses hommes puis capture une colonne chamelière dans laquelle il saisit des
équipements de la compagnie Fiegenschuh, ce qui dénote pourtant la proximité de
la force adverse. Il refuse l’évidence et continue sa progression. Le 08
novembre 1910, il fait halte à Doroté et s’installe toujours aussi faiblement
sur un site entouré de champs de mil dont les hautes tiges empêchent toute
profondeur de vue. Pendant la nuit, des éclaireurs des sultans rebelles (il s’agit
des massalites du sultan Tadjadine et des ouadaëns de Doudmourrah) attaquent la position mais certains sont faits
prisonniers et annoncent un assaut puissant le lendemain matin. Le colonel
Moll, toujours confiant dans sa supériorité, maintient ses corvées d’eau et de
bois, envoie ses chameaux au pâturage et accorde plusieurs heures de repos à sa
cavalerie. Pourtant, à 9h00, l’attaque de 4000 à 5000 hommes, survoltés comme
fanatisés, est bel et bien lancée et les troupes françaises se retrouvent dans
la plus grande confusion et ce, d’autant que les animaux affolés rejoignent le
camp dans la panique bousculant les lignes de tirailleurs. Le carré formé par les
troupes françaises se met en place avec difficulté, ne peut tirer à longue
portée ou avec un effet de masse suffisant, d’autant que la surprise conduit à
des choix tactiques défaillants. Ainsi, le colonel croit toujours pouvoir
contenir les Massalites, retient le tir des canons du lieutenant Joly qui finit
par ouvrir le feu à bout portant, ce qui ne permet pas d’éviter le corps à
corps. Le colonel Moll est tué ainsi qu’un grand nombre de ses cadres et de ses
tirailleurs. Ces derniers profitent néanmoins du pillage anticipé sur le
matériel français des combattants ennemis (enivrés par cette première victoire)
pour se réorganiser autour de quelques officiers puis pour ouvrir le feu sur
les pillards. Le sultan Tadjadine est frappé à mort et 600 assaillants sont tués
entraînant la fuite des autres rebelles. Le capitaine Chauvelot, qui commande maintenant
les survivants (48 soldats ont été tués), n’a plus de bagages, que très peu de
munitions et il est dépourvu de montures. Il décide d’attendre la colonne de
secours venue du nord et dirigée par le capitaine Arnaud. Pour cela, il fait
sonner le canon d’alarme mais en vain. Les renforts n’arrivent pas, ralentis
par des compte-rendus erronés et contradictoires de fuyards ou de déserteurs.
Finalement, Chauvelot décide, au bout de 6 jours, d’avancer à pieds,
transportant ses blessés et ses pièces d’artillerie à bras. Fort heureusement,
les lieutenants Jourdy et Chaveyron et
leur trentaine de tirailleurs du poste de Bir-Taouil prennent l’initiative de
marcher au canon et vont convaincre les secours de faire jonction avec ce qui
reste de la colonne Moll. L’ensemble des forces peut ainsi rejoindre Abéché
sans encombre.
En
conclusion, ce fait d’armes tactique montre combien il est important d’exploiter
le renseignement, de l’interpréter mais aussi de ne pas sous-estimer son
ennemi. Il s’agit de comprendre ses modes d’action ainsi que ses forces et
faiblesses (ruse, supériorité numérique, inclinaison au pillage) afin de les
contrer ou de les anticiper. Le choix de la position, le moment de l’attaque,
la sûreté et l’initiative évitent la surprise et avec elle la perte de l’ascendant.
Quant au centre de gravité, il apporte la victoire ou la défaite que ce soit le
chef (sultan) ou un équipement particulier (canons). Enfin, il apparaît clair
qu’il ne faut pas se séparer de sa logistique à un moment clé de l’action au
risque de se voir anéanti ou d’être privé de mobilité et donc de liberté d’action.
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