L’ancrage des militaires sur les territoires
d’outre-mer et leur connaissance issue de la période coloniale les ont
néanmoins à trouver des solutions pour contrôler le milieu ou mailler le
terrain, adaptant les modes d’action aux rebelles (postes, bases avancées,
hélicoptères, commandos de chasse) mais aussi en gagnant une partie des civils
à leur cause ou en redécouvrant la guerre psychologique, les actions
civilo-militaires (sections d’administration spéciales, …). Les résultats
tactico-opératifs sont au rendez-vous, notamment si l’on considère l’efficacité
du point de fixation que représente le camp de Na San en 1952 en Indochine qui
va briser l’élan du Vietminh pendant plusieurs mois. C’est également le cas au
regard du plan Challe en 1959 sur les « Katibas » du FLN[1]
et de l’imperméabilité de la ligne Morice qui interdit à l’adversaire de
rejoindre la zone des opérations mais également de soutenir logistiquement ses
forces à partir de sanctuaires tunisiens.
Mais les retraits difficiles d’Indochine puis
d’Algérie ont poussé l’armée française à oublier cet acquis opérationnel pour
retrouver le terrain européen et la menace conventionnelle du Pacte de
Varsovie. Engagés au sein de l’OTAN, les militaires français vont donc être
largement influencés par le modèle américain de conduite des opérations. Avec
la doctrine de l’« Air Land Battle »
des années 1980 ils vont, dans un premier temps, concentrer la transformation
de l’outil de combat sur une meilleure intégration interarmées, sur l’emploi de
l’arme aéromobile et sur la création d’une « Force d’action rapide »
capable de contribuer à l’attrition des échelons blindés et mécanisés
soviétiques dans la profondeur. L’URSS, de son côté, défend toujours son art
opératif hérité de la seconde guerre mondiale avec la recherche permanente de
l’enveloppement afin de ne pas perdre de temps et afin de rechercher, à tous
les niveaux le point de rupture qui sera exploité par les chars après une tête
de pont établie par l’infanterie, elle-même largement appuyée par des moyens
d’artillerie puissants (conventionnels ou pas d’ailleurs).
Mais avec la fin de la guerre Froide, les
Occidentaux sont confrontés à la gestion de crises nouvelles, de conflits
interethniques, de catastrophes humanitaires, à des Etats défaillants, des explosions
ultra-nationalistes ou des guerres civiles en Afrique (Rwanda, Libéria,…) en
Asie (Cambodge, Timor) mais aussi en Europe (Ex-Yougoslavie, Kosovo). L’allié
américain, mais surtout la capacité
d’adaptation des états-majors de l’OTAN et, dans une moindre mesure de l’ONU,
impose ou initie une nouvelle vision opérative dans la gestion de ces
situations violentes pour lesquelles l’ennemi est difficilement identifiable,
les civils demeurant imbriqués au sein des factions, tantôt victimes, tantôt
soutien. Dans un contexte juridique contraint et des règles d’engagement
restrictives, l’effet final recherché s’énonce souvent avec des contours flous
puisqu’émanant d’un consensus politique international fragile ou d’organisation
technocratiques et éloignées des réalités du terrain. Les PC (postes de
commandement) augmentent en volume et font apparaître, ou renaître, des
fonctions opérationnelles singulières comme les actions CIMIC[2],
les PSYOPS[3],
les POLAD[4],
les LEGAD[5]
ou encore des unités de renseignements interalliées de type bataillons ISTAR et
LOT[6].
En Bosnie par exemple, la SFOR (Stabilisation Force) comptera jusqu’à
32 000 hommes répartis en 3 aires de responsabilité dont près de 6 400
français, principalement affectés au sein de la DMNSE (division multinationale
sud-est) de Mostar. Depuis Sarajevo, un état-major coordonne l’action des
forces de l’OTAN afin d’assurer la sécurité et la mise en œuvre des accords de
Dayton signés entre les belligérants en 1995. Plus tard, au Kosovo, après une
phase d’engagement plus conventionnelle, la KFOR devra gérer la haine entre Serbes
et Albanais allant jusqu’à assurer des missions de contrôle de foule dans les
rues de Mitrovica. A chaque fois, l’emploi des armes, la force létale et la
manœuvre tactique sont limitées à des missions de présence ou à un rôle de
tampon entre adversaires d’hier.
Plus tard, latente et en perpétuelle mutation, la
menace asymétrique (et terroriste) focalise l’engagement des armées et ce,
après 2001, avec l’Afghanistan puis l’Irak sans oublier la confrontation entre
Israël et le Hezbollah au Liban. Des forces considérables et d’importants
moyens terrestres, aériens et parfois navals sont déployés pour combattre ce
que l’on appelle les insurgés, avec une population parfois hostile, des
références culturelles ou éthiques très différentes de nos sociétés, un
environnement régional instable mais surtout des situations fortement complexes
et extrêmement dégradées (souvent depuis plusieurs années voire des décennies)
sur les plans sociaux, politiques, militaires et même économiques. Les
états-majors otaniens, et la France par effet d’alliance, se sont ainsi
structurés selon un modèle dit d’ « approche globale » qui associe des lignes d’opération
mélangeant des savoir-faire militaires (« cinétiques ») avec d’autres capacités, davantage du ressort de
spécialistes civils (police, justice, administration, éducation,
infrastructures,…). Les termes de gouvernance, de développement, de sécurité
deviennent l’apanage des PC comme l’ISAF à Kaboul dont les effectifs
pléthoriques planifient des actions qui vont de la lutte contre la corruption
au « mentoring » des
troupes locales, en passant par la sécurisation des axes, la protection contre
le terrorisme, la réforme agraire ou la lutte contre les EEI[7].
Perdu dans ce que le général américain PETRAEUS
appelait, avec dérision, les « plat
de spaghettis » des théâtres d’opérations contemporains, les
militaires occidentaux sont soupçonnés de vouloir imposer des modèles de société
inadaptés aux pays concernés.
A suivre,...
[1]
Front de libération nationale algérien.
[2]
Actions civilo-militaires.
[3]
Opérations psychologiques
[4]
Conseiller politique du commandement.
[5]
Conseiller juridique du commandement
[6]
Liaison and observation teams.
[7]
Engins explosifs improvisés.
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