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mercredi 3 avril 2013

Corée en guerre : enseignements tactico-opératifs du bataillon français entre 1950 et 1953.


 
Ayant eu la chance de pouvoir consulter certaines archives sur cette unité française atypique,  mais aussi conscient que l’actualité internationale nécessite d’étudier, sous le prisme de l’histoire, ce théâtre d’opérations asiatique, j’ai souhaité revenir sur les enseignements connus du bataillon français de Corée. Ce dernier a combattu aux côtés des troupes de l’ONU et surtout des Etats-Unis face aux combattants nord-coréens appuyés par de nombreux volontaires chinois et ce, dans un environnement géographique et tactique extrême et fortement éloigné du milieu européen.
Nous verrons donc que si le contexte et l’armement étaient particuliers et propres à leur époque, les principes de la guerre comme l’emploi combiné des différentes fonctions opérationnelles ont été mis en œuvre pour obtenir des succès incontestables sur l’ennemi comme sur le terrain et une météo inhospitaliers.
 

<!--[if !supportLists]-->1-      <!--[endif]-->La création du bataillon français.

Le 25 août 1950, le gouvernement français, soucieux de soutenir l’allié américain mais également les efforts de l’ONU dans la péninsule coréenne depuis juillet décide, malgré un effort soutenu mené en Indochine face au Vietminh, la formation d’un bataillon de volontaires pour la Corée. Secondé par le commandant Le Mire, le général Monclar (héros de Narvik), qui n’a pas hésité à renoncer à son grade pour prendre le commandement de cette unité en qualité de lieutenant-colonel, débarque avec ses 1 017 hommes à Pusan le 29 novembre 1950 où il rejoint le 23ème régiment d’infanterie de la 2ème division d’infanterie américaine. La structure interarmes de ce bataillon est héritière des « combat command » de la seconde guerre mondiale et des « regimental teams » déployés par l’allié américain. Elle se compose d’une compagnie de commandement et de services (qui dispose en outre d’observateurs d’artillerie et d’une section du génie), d’une compagnie dite d’accompagnement (sections de mitrailleuses, de canons sans recul 75 mm et de mortiers de 81 mm) et de trois compagnies d’infanterie à 3 sections d’infanterie et une section d’accompagnement (mortiers de 60 mm et canons sans recul 57 mm) chacune. La plupart des combattants sont des vétérans du dernier conflit mondial ou issus des colonies. Ils sont aguerris, parfois indisciplinés mais feront preuve de courage et d’une force morale extraordinaire face aux épreuves du combat et d’un pays exigeant au relief de moyenne montagne (sommets escarpés et pitons rocheux ou boisés) avec un climat éprouvant (neige, pluies diluviennes, températures pouvant atteindre -40°C).
 
 
 
Au cours de la campagne, il sera également renforcé d’une compagnie sud-coréenne (ROK) encadré par des Français qui feront une nouvelle expérience de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui du « mentoring ». Le bataillon comptera 269 soldats français tués au combat, 1 350 blessés, 12 prisonniers et 7 portés disparus sur 3 421 hommes engagés sur les trois années de déploiement (jusqu’au 23 octobre 1953).
 
<!--[if !supportLists]-->2-      <!--[endif]-->Le combat interarmes, facteur du succès.
 
Les soldats français, comme leurs alliés ont dû s’adapter aux modes d’action des troupes communistes usant de force manœuvrière, de camouflage, de combat de nuit, d’infiltrations dans la profondeur et d’assauts massifs rapprochés d’infanterie. Les unités de Pyongyang, comme les Chinois, sont capables de rapides mouvements tactiques ou opératifs afin de surprendre l’adversaire, de l’attaquer puis de se replier et de disparaître du champ de bataille. Le bataillon a ainsi dû réapprendre la bataille nocturne tant défensive qu’offensive en bénéficiant d’un large maillage de communications entre unités élémentaires (filaire principalement à l’époque), d’appui artillerie (éclairant), de projecteurs puissants (pour aveugler l’ennemi), d’écoute ou de dispositifs d’alerte avancés (pièges, mines). Dans ce cadre, on observe que la côte 951 fut attaquée sans succès le 16 septembre 1951, de jour par les Français (14 tués et 40 blessés), mais prise, de nuit, 2 semaines plus tard (aucune perte). La baïonnette refait son apparition pour les combats au corps à corps mais aussi comme impact psychologique sur l’autre belligérant.
La masse blindée, initialement utilisée par les Américains pour briser l’attaque nord-coréenne, perd rapidement de son efficacité dans le milieu difficile du pays. De fait, les chars sont alors employés en binôme avec les fantassins comme appuis mobiles  pour créer des « bouchons » (en fond de vallée ou sur les cols) mais aussi comme complément (feux et protection) pour les contre-attaques.
Le génie doit apporter son savoir-faire afin de garantir la mobilité opérative ou tactique des forces de l’ONU en rétablissant le réseau routier, en l’entretenant face aux intempéries et aux combats mais aussi en le créant (chemins creusés dans la roche). Le franchissement,  dans un pays compartimenté par des cours d’eau importants, est une exigence pour assurer la liberté d’action d’unités comme le bataillon français (pont Bailey de près d’un km construit sur la rivière Soyang en 10 jours en 1952). L’artillerie et les appuis aériens sont, quant à eux, essentiels dans ce conflit car ils ont permis l’appui des troupes au contact mais aussi le traitement, dans la profondeur, des regroupements sino-coréens avant les attaques sur les points d’appui tenus par les franco-américains (bataille de Chipyong-Ni par exemple). A ce titre, les détachements légers d’observations intégrés aux unités de mêlée ont permis une boucle courte entre les lanceurs et les premières lignes, souvent surprises par les assauts communistes. Les feux indirects venaient ainsi compléter les tirs à vue des canons sans recul positionnés sur les points hauts ou à flanc de colline, même si l’efficacité des tirs a pu parfois été remise en cause au regard du ratio consommation/efficacité (jusqu’à  300 000 coups tirés en 24 heures pour une division).
Concernant la logistique, l’hélicoptère fait ses premières armes en évacuant des blessés, en assurant des liaisons de commandement mais aussi, à l’occasion, en permettant le déploiement d’unités de reconnaissance sur les pitons d’altitude. Les parachutages permettent de ravitailler les troupes rapidement, malgré le terrain accidenté, à l’image des 5000 tonnes de matériels largués pour la 1ère division de Marines américaine à Kotori le 7 décembre 1951.
 
<!--[if !supportLists]-->3-      <!--[endif]-->Les principes, toujours les principes.
 
Même si le général Monclar considère lui-même devant l’ampleur des combats que : « nous avons fait nos remarques sur le théâtre d’opération le plus difficile, le plus montagneux, le plus escarpé. L’aviation et l’artillerie y perdent de leur efficacité. Le char est d’un emploi restreint. L’organisation du terrain facilite la résistance du petit nombre. Sur ce théâtre qui s’y prêtait, le rêve de fonder une tactique sur des barèmes universels s’effondre », l’action du bataillon français de Corée démontre la pertinence du respect des principes de la guerre pour assurer la victoire.
La liberté d’action tout d’abord apparaît avec la nécessité de disposer de réserves pour se prémunir de la surprise d’un ennemi mobile et « furtif ». Mais il faut également souligner la prise des sommets afin de dominer le terrain et le milieu, s’affranchir des obstacles, appliquer des feux au plus loin et constituer des points d’appui. Sans compter les dispositifs de sûreté qui sont installés pour alerter la nuit (infiltrations adverses) et garantir l’accès aux vallées et aux cols et ce, par le déploiement de moyens blindés. Enfin, notons la garantie de disposer de lignes de communication et de ravitaillement adaptés à une armée moderne.
 
La concentration des efforts se caractérise par l’emploi de moyens d’appui-feux conséquents au plus près des troupes mais aussi par une mobilité opérative et une logistique permettant de déplacer le centre de gravité d’une armée ou de saisir les opportunités. Face à l’adversaire, il s’agit de faire preuve d’ubiquité pour le surprendre puis de prendre l’ascendant moral et physique sur lui.
 
Enfin, l’économie des moyens est illustrée par une structure interarmes souple et adaptable faite d’unités modulaires, de forces régulières ou locales (ROK) dotées de moyens d’appui adaptés aux conditions tactiques (canons sans recul, mortiers, génie). La présence des observateurs d’artillerie aux côtés des fantassins, l’emploi du char dans certaines circonstances comme les prémices de l’hélicoptère démontrent la force de la coopération entre les fonctions opérationnelles.

Pour conclure, l’action méconnue mais remarquable du bataillon de Corée, dans un conflit violent et dans un milieu défavorable à l’engagement d’une armée conventionnelle, prouve que les principes tactiques, adaptés au contexte, à la menace et au terrain, permettent de remporter des succès. Il y a donc lieu d’anticiper l’engagement et le déploiement d’une force dans un théâtre d’opérations tel que celui-ci, en particulier en faisant appel aux enseignements de l’histoire militaire.
 
 

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