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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

La bataille de Kharkov 20 février – 18 mars 1943.

La bataille de Kharkov 20 février – 18 mars 1943

Contexte :

Le désastre de Stalingrad, qui coûte 300 000 combattants à l'Allemagne, permet aux forces soviétiques de reprendre l'offensive contre un front sud nazi en pleine déliquescence. Le 14 février 1943, pour conjurer la menace, Hitler fait appel au maréchal Erich Von Manstein, l'un de ses commandants les plus habiles, et le place à la tête de l'ensemble du front sud. Entré en fonction, Manstein s'aperçoit de l'énorme disproportion de forces entre Allemands et Soviétiques. Pour ces derniers, la stratégie à suivre est des plus évidentes.  En prenant d’assaut contre le front sud allemand, désormais tenu par une forte proportion de troupes roumaines, italiennes et hongroises, très inférieures en valeur aux unités allemandes, ils peuvent espérer effectuer une large percée qui leur permettra d'acculer les débris des forces adverses contre la mer d'Azov ou contre la mer Noire. Face à cette situation, Manstein opte pour un repli opératif.

Forces en présence :

Entre janvier et mars 1943, sur les 700 kilomètres de front s'étendant de Kharkov à la mer d'Azov, 495 blindés allemands font face à 5000 chars communistes.  Au niveau de l’infanterie, pour la même période, 32 divisions de la Wehrmacht sont opposées à 341 divisions soviétiques.  Ces dernières comportent moins de combattants que leurs équivalentes allemandes mais, dans l'ensemble, la supériorité de Moscou, toutes forces confondues, est de l'ordre de 7 contre 1.

Déroulement :

Phase 1 : l’offensive soviétique.

Le 15 janvier 1943, les forces russes du front de Voronej s'abattent sur la 2ème armée hongroise qui est mise en déroute.  Les Soviétiques s'élancent au travers de la brèche ainsi créée et large de 280 km.  Fin janvier, ils reprennent la ville majeure de Koursk et franchissent le Severski Donets au sud de la toute aussi importante ville de Kharkov. Bien qu'ayant opté pour un repli stratégique, Manstein réalise que l'offensive russe vise la ville de Zaporojie, principale base de ravitaillement allemande au sud et PC de sa force, ce qui implique pour les forces de l’Axe un important risque d'encerclement. Toutefois, Manstein ne peut plus ordonner de nouvelles retraites sans l'aval du Führer.  Or, Hitler a décidé de ne plus céder le moindre mètre de terrain à l'ennemi en dépit des demandes répétées de la plupart de ses généraux.   La majorité des officiers supérieurs allemands, dont Manstein, estiment que cet entêtement conduit à l'exécution de décisions aux conséquences catastrophiques mais se gardent de manifester leur désapprobation publiquement. Le 6 février, Hitler arrive au PC de Manstein afin d'y étudier la demande de repli de ce dernier.  Se montrant cette fois attentif et raisonnable, Hitler admet, à regret, la nécessité de battre en retraite. Dans l'intervalle, certains de leur succès, les Soviétiques poursuivent leur avance sans s'inquiéter du nombre relativement réduit de prisonniers capturés. La 1èrearmée blindée allemande se retire alors du Caucase, abandonnant Rostov. Le 16 février, les Soviétiques réoccupent la grande ville de Kharkov, créant une large brèche dans les lignes allemandes. Cinq jours plus tard, les blindés de Moscou atteignent le Dniepr, non loin de l'objectif initial de Zaporojie.
Mais,  Manstein fait preuve d’optimisme étant parvenu à regrouper assez de troupes dans les secteurs de Krasnograd et Stalino avant de passer à la contre-offensive.  Par ailleurs, le maréchal allemand a reçu le renfort d'un corps blindé S.S., transféré de France et doté des nouveaux chars Tigre.

Phase 2 : la contre-attaque.

Manstein lance sa contre-attaque le 22 février avec 350 blindés répartis en 5 colonnes blindées.  Soutenus par une couverture aérienne impressionnante, les Allemands foncent vers le nord, frappant par surprise le flanc gauche des troupes soviétiques en progression vers l'Ouest. Jusqu'alors en pleine euphorie, les généraux russes sont sidérés. Dans une région plate aux cours d'eau alors gelés, les chars allemands peuvent en effet se déplacer à leur vitesse maximale. Quelques groupes russes battent en retraite mais la plupart subissent de lourdes pertes. Le 48ème corps blindé allemand poursuit sa percée vers l'est pour encercler Kharkov. Le corps blindé S.S. avance plein nord, droit sur la ville. Pour sa part, la 1ère armée blindée allemande, qui a pris l'offensive entre Izyoum et Lissitchansk, met également les Russes en déroute, les refoulant de l'autre côté du Severski Donets. Le 3 mars, le dégel débute et fait apparaître les premières boues, obstacle majeur à l'avancée rapide des chars allemands. Le corps blindé S.S. du général Hausser, ayant encerclé Kharkov, y pénètre par le nord et par l'ouest le 9 mars, débutant là un combat de rues long et coûteux de 6 jours.  Au terme de durs affrontements, Kharkov retombe aux mains allemandes le 15 mars. Les Soviétiques réussissent à rétablir le front et la météo, qui se dégrade, ainsi que les contraintes logistiques mettent fin à la bataille qui s’achève sur une victoire allemande le 18 mars 1943.


Bilan :

Les Soviétiques perdent 270 000 tués, blessés ou prisonniers, c'est-à-dire 3 armées et un corps blindé (615 blindés, 1000 pièces d’artillerie perdues) alors que Manstein ne perd que 20 000 hommes. Si les Allemands rétablissent un front cohérent et occultent la déroute de Stalingrad, ils pensent, à tort, pouvoir renouveler à Koursk cet exploit tactico-opératif.

Enseignements opératifs et tactiques :

- Les Allemands doivent accorder leurs plans aux contraintes politiques imposées par Hitler et perdent, de fait, l’initiative quand Moscou attaque.
-Manstein accepte un repli, échangeant du terrain contre du temps pour regrouper ses forces, en particulier blindées. Il cherche à retrouver de la liberté d’action en constituant un pion de manœuvre opératif solide.
- Les Soviétiques, persuadés que rien ne peut plus arrêter leur offensive, étirent leur dispositif et omettent de flanc-garder leur avancée.
- Les Allemands concentrent leurs efforts sur le flanc gauche soviétique en obtenant le rapport de forces favorable localement en chars et en aviation.
- La friction créée par la météo défavorable empêche Manstein d’exploiter son avantage.
- Enfin, nombreux considèrent que les troupes consommées pour reprendre Kharkov dans un combat urbain violent a conduit à une mauvaise économie des forces pour le temps suivant de la défense ferme.