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lundi 12 août 2013

Armée Rouge : combat en zone urbaine.


Pour ce dernier article de l’été (nous y reviendrons à la rentrée) consacré à l’armée Rouge, j’évoquerai la vision tactique du combat en zone urbaine telle qu’elle était perçue par les militaires soviétiques. Ces derniers considèrent, de manière surprenante, que la conquête par la force des villes ou des concentrations de peuplement n’est envisagée qu’en dernière extrémité et ne doit se faire que sur un rythme soutenu afin de ne pas ralentir la progression.
Nous verrons donc que la réflexion interarmes est certes déjà aboutie pour l’époque mais que les modes d’action demeurent, pour ce milieu complexe, simplistes et linéaires, tout en marquant un héritage fort vis-à-vis de l’expérience issue du dernier conflit mondial.
Après avoir énoncé les généralités de la vision soviétique de la guerre « en zone urbanisée » (pour utiliser le terme employé dans les écrits militaires), nous détaillerons la doctrine générale avant de développer certains procédés de combat à l’échelon tactique.


1-Généralités

L’armée Rouge, dès 1970, est consciente de l’extension de l’urbanisation avec l’apparition de villes nouvelles (plus étendues et plus aérées) mais également dotées d’un réseau de communication plus complexe. Tout commandant d’unité soviétique apprend qu’il rencontrera en offensive une ville moyenne tous les 50 km environ. 
Il est sensé l’analyser selon 4 critères :
- Les dimensions de l’agglomération (exemple : une ville de 100 000 habitants fait en moyenne 8 km de diamètre).
- Le tracé des rues avec 6 types de système (voir ci-dessous).
- Les points clés (usines, administration, télécommunications, carrefours, ponts,…).
- L’organisation générale (ville ancienne avec rues étroites, caves,… ou industrielle, avec constructions légères, structures métalliques,…).



En conséquence, les publications militaires en URSS font état que ce milieu urbain est favorable aux unités blindées et mécanisées, ce qui paraît surprenant et ce, malgré quelques limitations. Ces dernières sont principalement des restrictions en termes d’observation, d’orientation, de manœuvre et de tirs aux armes modernes (missiles,…). De même, l’ennemi peut créer de solides points d’appui à partir des immeubles et favoriser l’émiettement des combats en « micro-batailles » à très courte portée. Ceci implique des  progressions difficiles (plusieurs niveaux et plusieurs vitesses), des liaisons radio aléatoires, des feux d’artillerie compliqués à mettre en œuvre, une surconsommation de munitions et finalement une certaine vulnérabilité aux retours offensifs de l’adversaire sur les flancs et les arrières.
Il est intéressant de noter que les Soviétiques estiment, de manière très contemporaine pour les années 1960, que les troupes occidentales souffrent, pour leur part, d’une gêne majeure dans la défense des villes, du fait de la présence de populations civiles entraînant des règles d’engagement contraignantes.

2-Doctrine générale

La conquête d’une zone urbanisée reste une option de dernier recours au regard des Soviétiques si le contournement ou le franchissement rapide sont impossibles. Elle est décidée principalement quand l’agglomération est située sur un axe d’effort ou si elle constitue un objectif opératif voire stratégique.
Les buts à atteindre édictés par les règlements militaires  sont, au mieux, devancer l’ennemi sur les points clés en lui interdisant de s’installer en défensive, au moins, encercler tout ou partie de la zone puis organiser un siège jusqu’à la capitulation et, en dernier ressort, prendre d’assaut la ville, quartiers après quartiers.
De cet état final recherché sont exprimés plusieurs principes :
-planification d’opérations très mobiles et rapides (débordement, infiltration,…) ;
-décentralisation du commandement aux petites unités progressant dans des couloirs parallèles ;
-large recours aux débordements par le 3ème dimension (actions héliportées) ;
-obtenir un rapport de forces favorable (6 à 8/1 en artillerie, 3 à 4/1 pour les forces interarmes) ;
-intégration interarmes à tous les niveaux ;
-mise en infériorité psychologique des populations et des défenseurs (intimidation, propagande, démoralisation, panique).
Concernant l’articulation des unités, l’organisation interarmes descend jusqu’au niveau du groupe de combat (équipes lance-flamme, petits matériels génie,…).
Le bataillon de fusillers motorisé (BFM) est le pion de base de la manœuvre en ZURB. En autonome, il agit en « détachement avancé » pour devancer l’ennemi, en « avant-garde » pour le poursuivre ou le déborder, en « détachement héliporté » afin de contrôler les points clés comme détruire les postes de commandement.
Au sein d’un régiment, ce BFM est constitué en « détachement d’assaut » avec des renforcements particuliers (compagnie de chars, groupe d’artillerie, compagnie anti-chars, section sol-air, compagnie de génie, matériels de lutte contre l’incendie et détachement lance-flamme). Comme on peut le voir sur le schéma suivant, le détachement d’assaut progresse sur un seul échelon le long de plusieurs rues parallèles (1 compagnie ou « groupe d’assaut » par axe selon un dispositif plus profond, comme le préconise les Polonais).





Ce déploiement paraît très figé, manquant de souplesse et de sureté quant aux exigences de liberté d’action propres à la zone urbaine.

3-Procédés de combat particuliers

Pour rentrer dans le détail tactique de cette doctrine soviétique en ZURB, nous allons développer la conquête d’un groupe d’immeuble par un « détachement d’assaut ».

Reconnaissances et préparation :
-Etude des plans (cartes, photos), des postions adverses, des approches (rues, passages souterrains), des axes de contre-attaque possibles.
-Recueil de l’information (unités spécialisées).
-Ordre initiaux donnés depuis un poste d’observation.
-Mesures de coordination établies (couverture, tirs d’artillerie directs et indirects, signaux de reconnaissance, position des PC,…).
-Installation du PC du bataillon à 200 ou 300 mètres derrière les « groupes d’assaut », déploiement dans des bâtiments élevés de 2 à 3 équipes d’observateurs directement reliées au PC.

Appuis :
-Tirs indirects d’artillerie aux ordres du régiment ou de la division pour neutraliser les abords et faire de la contre-batterie (durée de tirs 5 à 20 minutes).
-Tirs directs étagés en hauteur : au sol des chars des canons et des LRM sont adaptés au bataillon et progressent en « dominos » pour ouvrir des brèches, neutraliser les positions adverses repérées ou appuyer les lignes de débouché ; dans les étages des mitrailleuses, tireurs d’élite et lance-roquettes pour couvrir les abordages de l’infanterie ; sur les toits des mortiers et des lance-grenades automatiques pour interdire les itinéraires d’approche, les carrefours et les tranchées ; au dessus des hélicoptères d’attaque.

Assaut :
En 4 temps.
-mise en place d’une base de départ à partir d’un bâtiment voisin ;
-abordage des lisières par des fantassins appuyés par des chars et des lance-flammes ;
-assaut et pénétration directement par les premiers étages ou les toits avec contrôle des escaliers et des accès au sous-sol (les blindés pénètrent dans les cours et jardins pour appuyer par le feu l’infanterie) ;
-nettoyage en partant simultanément du haut vers le bas puis reprise de la progression.
On perçoit l’héritage de la deuxième guerre mondiale avec un déploiement linéaire et un combat systématique qui manque parfois de la souplesse nécessaire à l’adaptation au terrain. Les raids blindés ne sont pas évoqués (l’exemple de Falloudjah démontre que c’est possible en ZURB), l’appui aérien peu marqué, l’action du génie faiblement détaillé (quoique que considéré comme essentiel), la manœuvre logistique (blessés, carburant, eau, …) ignorée, et l’emploi des réserves à peine décrit.

En conclusion, cette doctrine tactique en milieu urbanisée, bien que réfléchie du point de vue de la coopération interarmes ou de la coordination des moyens, met en avant des groupements tactiques bien équipés mais qui travaillent selon des schémas (progression linéaire, préparation d’artillerie) anciens et difficilement efficaces face à un adversaire mobile, bien appuyé, agissant e jour comme de nuit dans un terrain qu’il maîtrise. A vouloir privilégier la vitesse, les Soviétiques en oublie le bréchage, la surprise, la sûreté, la notion de durée, l’attrition des unités et la consolidation des gains territoriaux ou des axes de progression.
Cette pensée militaire sans originalité, qui laisse de côté certains principes tactiques et logistiques élémentaires, pourrait fort bien expliquer les premiers échecs des offensives russes à Grozny en Tchétchénie au cours des années 1990.

Frédéric Jordan

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