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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

lundi 23 juin 2014

Quand une armée n’est pas adaptée à la guerre du moment : l’analyse du général Bethouart.



Dans son ouvrage « Des hécatombes glorieuses au désastre, 1914-1940 » le général Bethouart décrit avec justesse l’outil de combat français auquel il appartient, ses forces et ses faiblesses, en particulier au cours du premier conflit mondial et de la période d’entre-deux guerres qui se conclue par la débâcle de 1940.

Sa perception de combattant comme d’officier d’état-major met en exergue  la faculté d’une armée à nier les évolutions du champ de bataille ou à s’arcbouter sur des schémas tactiques inadaptés aux réalités du combat voire aux principes de la guerre comme l’économie des moyens. Sa réflexion et son regard vieux de 70 ans paraissent pourtant pertinents pour les armées contemporaines confronté à des contraintes conjoncturelles mais engagées dans des guerres aux contours de plus en plus changeants dans des milieux contraignants.

 

Pour cet officier qui se bat dès 1914, « la valeur d’une armée dépend de la doctrine qui l’anime ». Aussi, en 1914, l’armée française cherche-t-elle à juger par le mépris la tactique défensive de 1870 au profit d’un volontarisme offensif qui nie les évolutions industrielles dans le domaine de l’armement : « par un illogisme inconcevable, le règlement de 1894 poussait le paradoxe jusqu’à écrire en même temps : une infanterie brave et énergiquement commandée peut marcher sous le feu le plus violent, même contre des tranchées bien défendues et s’en emparer. »

Certes, la force morale du soldat français va lui permettre de faire face, en 1914, à l’attaque allemande, d’autant que les unités paraissent manœuvrières (comme l’illustre le général Bethouart en détaillant les succès dans les Vosges) mais les sursauts doctrinaux de 1913-1914, à l’instar des écrits du colonel Colin sur les fronts continus et la concentration d’artillerie, demeurent ignorés du plus grand nombre. L’infanterie française manque de mitrailleuses, de cadres de contact (2 sergents et 4 caporaux pour des sections de 60 hommes), l’artillerie dotée de son remarquable canon de 75mm est dépourvue de pièces lourdes et souffre d’une pénurie de munitions (1300 coups par pièce contre 3 000 pour les canons allemands). La guerre de position va ensuite, à contrario, créer des habitudes, tant chez le commandement que dans les échelons subordonnés qui sont « intoxiqués » par « ce virus contracté dans la guerre de tranchées » .Dès lors, les schémas tactiques, les choix de manœuvre se révèlent incapables de favoriser une victoire décisive: « quand une armée a tenu pendant quatre ans sur des centaines de kilomètres de tranchées, creusées si près de l’ennemi que l’on considérait comme dangereux un intervalle de dix mètres entre deux sentinelles, quand toutes les unités, grandes ou petites, étaient déployées en permanence entre leurs voisines, il se créait fatalement un complexe, qui, par crainte des trous sur les flancs, aboutissait inévitablement à l’adoption automatique de formations linéaires rigides et contraires à toute possibilité de manœuvre. On voulait se défendre partout ou attaquer partout et trop souvent avec la même densité de troupes ». En conséquence, les pertes sont énormes, les assauts infructueux et meurtriers jusqu’à épuiser moralement et physiquement les combattants.

 

Le général Bethouart constate ensuite qu’après la victoire de 1918, l’armée française, auréolée de sa gloire retrouvée, prend pour argent comptant le modèle qui lui a permis de vaincre dans les derniers mois de la guerre. Aucune prospective remettant en cause les dogmes de la fin du premier conflit mondial ne vient donc préparer la guerre à venir et ce, dans les unités comme chez les futurs chefs : « L’Ecole de Guerre était une excellente école d’état-major. On y travaillait la première année à l’échelon de la division, la deuxième à celui du corps d’armée. Les thèmes tactiques étaient tous inspirés par des situations de la dernière guerre. Nous aspirions à une évolution de l’armée. Nous demandions une doctrine nouvelle. On ne nous a donné que du passé. Ainsi, dès le lendemain de la guerre, l’armée française s’installait dans l’immobilisme ».

La politique de défense nationale se berce alors des vaines promesses de désarmement et s’inscrit en faux face à toute idée de développement d’armes dites offensives, quand bien même cela aurait un sens du point de vue sémantique. A partir de 1922, la stratégie défensive est décidée par les échelons politico-militaires en vue d’assurer l’inviolabilité du territoire malgré les arguments du maréchal Joffre protestant «  que ce serait se vouer à la défaite que de vouloir établir une nouvelle muraille de Chine ». De fait, le général Bethouart considère, pour sa part, que « la ligne Maginot, telle qu’elle a été réalisée à coups de milliards de francs et de milliers d’hommes, a donc été directement responsable de la défaite ».

Face à ce constat, il défend l’envie de vaincre qu’il faut cultiver, le développement de l’initiative (qui sera inhibée en 1940) propre à saisir les opportunités et à surprendre l’adversaire mais il n’hésite pas à critiquer les fautes politiques de l’entre-deux-guerres (dans un contexte de crise économique et monétaire) ainsi que l’aveuglement des chefs devant la toute-puissance supposée du front continu et le manque d’argent consacré au renouvellement des équipements.

Au-delà de son expérience nationale, il décrit dans un autre chapitre sa participation à la formation de l’armée yougoslave dont il voit rapidement les défauts. En effet, au-delà des problèmes inter-ethniques qui seront prégnants dans les années 1990, ces troupes balkaniques semblent souffrir du même mal que les unités françaises puisque s’appuyant, sur le plan doctrinal, sur sa victoire contre la Bulgarie au début du siècle. De même, les unités sont standardisées selon le même schéma et la même organisation alors qu’elles sont censées intervenir dans des milieux différents, plaines du nord, zones montagneuses, reliefs forestiers ou littoraux selon le terrain à défendre. Cette sclérose intellectuelle sera pour le général Bethouart une des raisons de la défaite face aux troupes de l’Axe.

 

De ce témoignage, d’un officier général qui a eu un riche parcours sur les champs de bataille et a fait ses preuves, notamment lors du second conflit mondial de la Norvège à la campagne de France, on peut dégager une analyse intéressante quant au risque, pour une armée, d’être en rupture avec la conflictualité de son époque. Les succès du passé, le retour d’expérience, les enseignements de l’histoire restent des piliers, des repères sur lesquels les militaires peuvent « penser la guerre » mais cela doit s’accompagner d’une évolution doctrinale conséquente, d’un effort dans le domaine de l’équipement, d’une politique de défense adaptée à la menace et, in fine, d’un modèle d’armée permettant la liberté d’action des chefs engagés sur le terrain. De la même façon, si la doctrine doit être connue, elle nécessite, pour les exécutants tactiques (voire opératifs ou stratégiques), un discernement dans sa mise en œuvre et ce, afin de préserver le potentiel humain ou de favoriser une réelle dynamique de la pensée militaire Celle-ci se doit d’être attentive comme réactive à son environnement, à son ennemi et aux objectifs à atteindre.
Alors que les conflits contemporains démontrent chaque jour que les adversaires potentiels font montre d’une effroyable faculté d’adaptation, il apparaît ainsi essentiel de mettre en place des outils de combat dimensionnés aux ambitions nationales mais également capables de prendre rapidement l’ascendant sur une force adverse en tirant le meilleur du passé tout en assimilant les enjeux opérationnels du présent et en se préparant aux surprises de l’avenir.

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