Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mercredi 19 novembre 2014

A lire : "Notre histoire" d'Hélie de Saint Marc et d'Auguste von Kagenek.



Dans la rubrique "A lire" de votre blog, nous vous proposons une lecture quelque peu particulière puisqu'il s'agit d'un dialogue entre deux "guerriers" du XXème siècle, adversaires sans le savoir pendant le second conflit mondial mais qui partagent la même passion du métier de soldat. Il s'agit d'Hélie de Saint-Marc, résistant puis officier lors des campagnes d'Indochine et d'Algérie et d'August von Kageneck, officier au sein d'une unité de blindés allemand, auteur du célèbre ouvrage "Lieutenant des Panzers".

L'ouvrage met en parallèle leurs deux vies que rien ne devait rapprocher, l'un étant le fils d'une famille de la noblesse traditionnelle allemande bercée par la tradition impériale prussienne, l'autre issu d'une famille de juristes bordelais ancrée dans la ruralité et les valeurs attachées au travail et à la famille. Mais les deux hommes ont en commun le patriotisme, le dépassement de soi, le sens du service et l'expérience cruelle de la guerre voire l'horreur de la déportation.
Ainsi, au fil des pages, après s'être apprivoisé et dévoilé mutuellement, pour les deux hommes, se noue une complicité dans  la réflexion et le regard porté sur la violence, la fraternité d'armes, la nature humaine, la guerre et l'engagement. On y trouve des témoignages poignants mais aussi des mots justes qui résonnent encore sur des situations contemporaines, une belle leçon d'histoire pleine d'enseignements.
Voici quelques extraits et thématiques qui ponctuent ce livre "confessions".
Les deux auteurs insistent tout d'abord sur leur construction personnelle faite d'éducation et d'expériences de vie mais aussi d'environnement familial ou de lectures enrichissantes : "j'ai sculpté que François Jacob a appelé ma statue intérieure dans les romans de London, Conrad et Stevenson. J'ai rêvé dans les grands volumes reliés de l'Illustration... Que d'émotions ! Je sortais transi de certaines lectures. J'ai frissonné devant la gandoura rouge de Bournazel. J'ai pleuré au récit du courage inhumain de Guillaumet, l'homme aux trois cent trente neuf traversées Buenos Aires- Santiago."
Le futur officier des guerres coloniales, Hélie de Saint-Marc s'initie très tôt à la doctrine dite de contre-insurrection : "Plus tard, en préparation à Saint-Cyr, les œuvres du maréchal Lyautey me devinrent familières. Son rôle de commissaire général au Maroc était célébré. il avait pacifié le pays sans négliger les populations locales. j'ai lu et relu ses livres, par exemple le rôle colonial de la France, où il affirme que notre génie national n'est pas destiné à s'imposer ni à se substituer à celui des populations colonisés, mais au contraire à l'enrichir."
L'un comme l'autre connaissent l'expérience du feu et décrivent la richesse du lien qui unissent ceux qui se battent côte à côte : "Le feu est une heure de vérité. je ne crois pas du tout à la grandeur de la guerre, qui est également une expérience du Mal. Mais, au feu comme en camp, les expériences de fraternité d'armes ou d'esprit de corps ne sont pas des coquilles vides. Et quand on a vécu ensemble la peur, connu ensemble la souffrance, frôlé la mort côte à côte, et surtout réalisé qu'on ne pourrait jamais s'en sortir seul, ce sont des moments qui n'ont pas d'équivalent dans une vie."
Enfin, les deux hommes décrivent à merveille le rôle du chef ou du soldat, ses responsabilités avant de livrer leurs craintes quant à l'avenir de la guerre. "Désormais retraité et vieux soldat sans arme, je reste hanté par ce dilemme, lorsque je constate à quel point les militaires, aujourd'hui encore, sont envoyés en première ligne dans des opérations incertaines, sans aucun scrupule. J'ai lu récemment une brochure officielle sur l'éthique dans l'armée. Une phrase m'a fait sursauter : votre métier, c'est de tuer. Au sens strict, personne ne peut contester l'évidence. pourtant ce texte m'a fait froid dans le dos. Une armée n'est pas un corps mécanique, composé d'exécuteurs dociles des ordres quels qu'ils soient. C'est un corps vivant. un soldat accepte de mourir pour que d'autres vivent et, plus grave encore, de tuer pour que d'autres ne soient pas tués. La responsabilité et l'obéissance doivent s'accompagner d'une conscience élevée, toujours en éveil, irréductible."
"Ce qui provoque la déréliction d'une troupe, ce n'est pas forcément l'annonce d'une défaite, avec la perspective de la mort, de la souffrance. Cela, c'est le lot quotidien du soldat. En revanche, quand les hommes sentent que leurs chefs les abandonnent ou bien qu'ils sont désemparés au point de commettre des erreurs irrémédiables ou des injustices, tout peut arriver."
"Pensez-vous que le métier des armes ait encore de l'avenir ? Plus que jamais. L'Histoire est une entreprise de longue haleine. comme autant de plaques tectoniques, notre monde est travaillé en profondeur par des forces terribles. Lorsque l'irruption volcanique aura lieu, demain, dans dix ans, plus tard encore peut-être, ces hommes que l'on toise parfois avec indifférence sous l'uniforme seront les premiers remparts et les grandes figures de notre monde versatile."
"Les moyens de combattre ont changé. Les bombardements contre la Serbie, l'Irak ou l'Afghanistan posent un grave problème éthique. La conception américaine de la guerre, née après le Vietnam, consiste à provoquer la mort sans subir de pertes humaines : des avions sans pilote, des drones et des missiles. Or, depuis la nuit des temps, la légitimité du soldat vient de son acceptation du risque. Ila le pouvoir exorbitant de tuer, mais il met également sa peau en jeu. Ainsi, il n'est pas un assassin mais un combattant. A partir du moment où le soldat ne frôle plus la mort, qu'il sème en appuyant sur un bouton, il perd son titre de soldat et devient un exécutant. Face à cette nouvelle conception, personne n'a encore posé la question : que devient la conscience du soldat ? Je ne sais pas si les états-majors mesurent bien les conséquences de cette métamorphose de la guerre sur la mentalité des armées."
 
Pour conclure, ces quelques mots d'Hélie de Saint-Marc empruntés au romancier vietnamien Bao Ninh : "Le chagrin de la guerre, dans le cœur d'un soldat, est semblable au chagrin de l'amour : une sorte de nostalgie du dénuement des heures noires, lorsque plus rien d'accessoire n'existe, et, deci, delà, une infinie tristesse devant un monde qu'il ne reconnaît plus."
Bonne lecture...

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