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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 12 septembre 2015

De la philosophie essentielle du commandement militaire...

 
Le colonel de gendarmerie Philippe Cholous a publié un essai aux éditions Lavauzelle, "De la philosophie essentielle du commandement militaire", avec l'ambition de montrer la spécificité du commandement et ce, en particulier, face aux nouveaux dogmes du management qui cherchent à s'imposer comme symboles de modernité. Son propos s'appuie sur son expérience de soldat mais également sur de nombreuses références philosophiques. On est parfois désarçonné par son style et l'enchaînement des idées mais, force est de constater, que son pari est réussi tant l'exception du chef militaire et du métier de soldat finit par émerger.
Dès les premières pages, l'auteur définit le chef en empruntant la phrase du célèbre stratégiste disparu Hervé Coutau-Bégarie "à savoir celui qui doit être capable de raisonner et de décider, au lieu de se contenter d'exécuter."


Puis il cite Sun Tzu, ce qui est peu courant pour un penseur militaire français :"J'entends par commandement, l'équité, l'amour pour ceux en particulier qui nous sont soumis et pour tous les hommes en général; la science des ressources, le courage et la valeur, la rigueur, telles sont les qualités qui doivent caractériser celui qui est revêtu de la dignité de général; vertus nécessaires pour l'acquisition desquelles nous ne devons rien négliger: seules elles peuvent nous permettre en état de marcher à la tête des autres." Il y a dans cette phrase les traits majeurs de ce que l'on attend du chef militaire.
Puis, il détaille les 5 principes constitutifs de l'exercice de l'autorité que sont la légalité, la légitimité, la compétence, la responsabilité et surtout l'unicité. Pour cette dernière, il prend comme référence Thomas d'Aquin qui considérait qu'"il est nécessaire que, pour la multitude humaine, le meilleur soit d'être gouverné par un seul".
Pour illustrer la nature éminemment singulière du commandement, notre auteur cite De Gaulle "L'essentiel demeure comme toujours, l'effort personnel et caché de ceux qui aspirent à commander. Faits pour imprimer leur marque plutôt que d'en subir une, ils bâtissent dans le secret de leur vie intérieure l'édifice de leurs concepts, de leur volonté. C'est pourquoi dans les heures tragiques où la rafale balaie les conventions et habitudes ils se trouvent seuls debout." Il critique ensuite largement le management qu'il accuse de semer la confusion jusque dans les opérations, en particulier si on considère le concept d'approche globale, c'est à dire la vision politico-militaire des interventions associant l'engagement de forces militaires en complément d'actions de développement et de gouvernance. Ce point est, selon nous, assez contestable puisqu'il remet en cause la théorie de contre-insurrection pourtant éprouvée et les exemples contemporains de mission de stabilisation dans les Balkans ou, plus récemment, en Afghanistan.
 
Il démontre plus loin que contrairement à l'idée reçue, le commandement n'est pas arbitraire puisqu'il s'appuie sur le sens de l'humain, la personnalisation, la responsabilité et l'objectivité. D'ailleurs Charles Maurras expliquait déjà, le siècle dernier, que "la subordination n'est pas la servitude, pas plus que l'autorité n'est la tyrannie". En effet, à travers la tenue, la condition de soldat, l'esprit de corps, la mission, le parcours de carrière de soldat, "le subordonné est à la fois l'exécutant fidèle et discipliné des ordres formulés par son chef, et l'égal inattendu de celui-ci".  
S'ensuit un long développement sur la plénitude du commandement avec ses devoirs et ce que Lyautey appelait "le rôle social de l'officier". Mais l'exigence principal du chef demeure la cohérence, associée à une dimension profondément spirituelle de l'art de commander, le soldat étant en effet prêt à donner sa vie, à donner la mort ou à demander à ses frères d'armes de l'accompagner jusqu'au sacrifice ultime. Mais ceci n'a de sens que si l'on comprend et analyse cette citation de Saint Exupéry :" On meurt pour une cathédrale, non pour des pierres, pour un peuple, non pour une foule. On meurt par amour de l'homme s'il est clé de voûte d'une communauté, on meurt pour cela seul dont on peut vivre". En effet, les forces armées ont vocation à défendre des valeurs essentielles de la communauté dont elles sont issues et n'existent donc pas pour elles-mêmes.
 
Ainsi, pour le colonel Cholous, la spécificité militaire repose également sur le rapport à la mort et à une appréciation du risque et du droit en lien avec l'action guerrière. De même, dans l'institution, le poids de l'histoire est fondateur, que l'on pense aux rituels formels (drapeaux, grades, ...) ou aux enseignements opérationnels plus tournés vers le champ de bataille. Il rappelle que le lien entre chef et subordonnés doit s'établir selon le précepte philosophique d'Aristote, de Platon ou de Montesquieu d'honneur, c'est-à-dire d'honnêteté, d'exemplarité, de respect de la parole donnée et d'acceptation de l'autre.
 
De la même façon, le militaire, en consentant aux contraintes de son état de soldat (il signe un engagement), est souvent bien plus libre que certains membres d'institutions civiles, considérant de fait comme Rousseau que "l'obéissance à ce que l'on s'est prescrit est liberté". Enfin, il met en exergue la force de la laïcité au sein des armées, faite de fusion des croyances de chacun dans l'esprit de corps, dans l'histoire militaire, dans la primauté de l'intérêt général et de la Patrie sur les égos ou les individualités.
 
En conclusion, il ouvre le débat avec les plus jeunes comme les plus anciens sur la quintessence du commandement, son importance comme sa singularité au cœur d'une société en mal de repères.
Bonne lecture...

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