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jeudi 29 octobre 2015

Enseignements opérationnels : bataille de Turkheim - 5 janvier 1675.


 
Situation générale :

Le 5 janvier 1675, la bataille de Turckheim met aux prises Henri de la Tour d’Auvergne, maréchal de Turenne, à une armée austro-brandebourgeoise menée par Frédéric Guillaume, électeur de Brandebourg. Au-delà de l’originalité d’une manœuvre conduite en plein hiver, par sa rapidité, elle assure à Turenne le départ précipité d’Alsace des armées coalisées jusqu’à la reprise des combats, l’été suivant, qui verra le décès du maréchal.

Le cadre de la guerre de Hollande offre l’occasion à Louis XIV, qui s’est assuré de la neutralité de l’Empereur et s’est allié aux Anglais, de mettre en œuvre sa politique d’agrandissement du royaume en attaquant, en 1672, les Provinces-Unies, c’est à dire les Pays-Bas espagnols. En dépit de réels succès et de la conquête de nombreuses places, la volonté de résistance de Guillaume d’Orange et de son peuple émousse, tout au long de l’année 1673, l’élan offensif des troupes du royaume de France.

 
A la fin de l’année, subissant le revirement de l’Empire, excepté le duché de Bavière, faisant face à de nouveaux fronts, Louis XIV est contraint reculer et de quitter la Hollande. En 1674, la défection anglaise isole encore un peu plus le royaume de France. Pour autant, Louis XIV est porté par son élan offensif et s’engage dans la conquête de la Franche-Comté tout en assurant la défense des frontières au nord et en Alsace. Le théâtre alsacien est alors confié à la vigilance du vieux maréchal de Turenne.

A l’automne 1674, Turenne fait face au franchissement de la frontière par 50 000 coalisés, 3 0000 impériaux et 20 000 brandebourgeois, aux ordres de Frédéric-Guillaume de Brandebourg. En infériorité numérique, Turenne évacue ses 30 000 soldats vers la Lorraine, laissant l’ennemi envahir l’Alsace. Cherchant à compenser son infériorité numérique par sa maîtrise de l’initiative, Turenne décide de concevoir une manœuvre en plein hiver. Il cherche ainsi à  saisir l’opportunité de prendre « par surprise » ses adversaires.

De minutieux préparatifs, des reconnaissances nombreuses sur les itinéraires, l’établissement de dépôts logistiques sur le parcours des unités, la mise en œuvre de ce que l’on qualifierait aujourd’hui d’opérations d’influence et d’intoxication assurent, le moment venu, une traversée « en discrétion du massif des Vosges. Turenne et son armée débouchent alors en Alsace par Belfort et Mulhouse. La surprise est immédiate et totale. Belfort est prise le 27 décembre 1674, Mulhouse trois jours plus tard. Refusant de ralentir le rythme de sa manœuvre, Turenne reprend sa progression immédiatement vers le nord, bousculant les lignes impériales. Il cherche à croiser le fer avec le gros des troupes de l’Electeur de Brandebourg déployé à hauteur de Turckheim, près de Colmar. La bataille ne durera que quelques heures.

 
 

Déroulement de la bataille :

Engageant son action avec force en direction de Turckheim, le maréchal de Turenne déploie legros de son armée, entre midi et 14h00, face aux troupes coalisées. Là encore, c’est la manœuvre (combinaison du feu et du mouvement) qu’il privilégie en scindant ses forces en deux éléments dont les deux-tiers de ses hommes aux ordres de son neveu pour fixer les coalisés et mener une mission de déception. Quant à lui, avec le tiers restant, il contourne la zone d’action par les massifs et les bois afin de s’infiltrer en discrétion par les coteaux du Brand, vers la porte de Munster. Ce débouché impromptu oblige l’adversaire à  réorganiser en toute hâte son dispositif pour espérer faire face à la pression française. En fin d’après-midi la bataille fait rage mais, en fin de journée, incapable de manœuvrer ou de coordonner ses unités mais aussi craignant la marche de toute l’armée française, Frédéric-Guillaume ordonne le repli vers Kehl, et le franchissement de ses forces à l’est du Rhin. Cette bataille est et clôture les engagements de la campagne d’automne. Elle offre le gain d’une évacuation de l’Alsace par les troupes impériales. Quelques mois plus tard, voulant forcer plus loin son avantage, Turenne, ayant lui aussi franchi le Rhin, perdra la vie le 27 juillet 1675, touché par un boulet à l’occasion d’une reconnaissance.

 
Enseignements de la bataille :

La bataille de Turckheim met en évidence la valeur centrale de la maitrise de l’initiative pour le développement victorieux de la manœuvre. C’est dans l’action et dans le rythme que se crée le succès. Se sachant inférieur en nombre, voulant prendre l’ascendant sur des unités déployées pour occuper le terrain, Turenne conçoit un plan original : s’infiltrer en plein hiver, par le massif des Vosges, pour porter, au sud de l’Alsace, l’ensemble de son corps de bataille. Les Impériaux, inscrit dans des schémas plus classiques (trêve hivernale, occupation des places, etc.) lui abandonneront de fait l’initiative, attendant les coups sans même anticiper leur propre faiblesse, née d’un maintien statique sur position.

Mais l’élan offensif n’est pas une longue marche désordonnée. Général en campagne, Turenne prend soin d’établir des boulangeries à Rambervilliers et à Remiremont pour assurer une juste subsistance à ses troupes, inévitablement harassées. Les reconnaissances permettent de choisir les itinéraires appropriées et garantissent la qualité des stationnements. L’ensemble des actions nécessaires sont orientées dans le respect de l’intention du chef qui oriente l’action en défendant ses critères de succès : surprise et discrétion.

Cette recherche des effets les plus performants au moindre coup se retrouve à un échelon  plus tactique  dans le développement du combat de Turckheim proprement dit. Là encore, plutôt que de se ruer vers la ligne de défense des Impériaux, Turckheim-Colmar, il préfère assurer à nouveau l’infiltration d’une partie de ses forces, qu’il accompagnera, tandis que le gros assurent par sa présence le maintien de l’orientation générale des forces austro-brandebourgeoise.

Se portant vers le point décisif de l’attaque surprise des abords de Turckheim, tirant le meilleur parti possible de la désorganisation des impériaux, il dynamise par sa présence l’action de ses troupes, les galvanisant quand les menaces aux débouchés du Brand se faisaient les plus pressantes.

La volonté de privilégier la manœuvre au choc frontal concourt directement à la prise en compte du principe d’économie des forces et de concentration des efforts. C’est bien en mobilisant l’action directe du minimum de forces utile à la réalisation des objectifs que Turenne fait s’écrouler le dispositif austro-brandebourgeois. Sans s’attacher à identifier de façon anachronique un effet majeur, c’est bien en faisant déborder vers la porte de Munster un volume de forces suffisant que le vieux maréchal assure le succès de sa manœuvre. Rapide, et faisant peu de victime, la bataille libère immédiatement l’Alsace de la présence impériale. Elle est incontestable la preuve de son génie militaire et son plus beau succès.

1 commentaire:

  1. Très intéressant ...j’attends le prochain avec impatience !...

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