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jeudi 7 juillet 2016

Forces terrestres britanniques en Irak : le rapport Chilcot.


Sir Chilcot, parlementaire de sa gracieuse majesté, a enfin rendu hier son rapport d'enquête sur l'intervention britannique en Irak en 2003, aux côtés des Etats-Unis. Très critique sur les choix stratégiques des dirigeants nationaux du moment, ce rapport très long, disponible sur le site http://www.iraqinquiry.org.uk/, met, en avant, au milieu des nombreuses auditions et autres dossiers déclassifiés, de riches enseignements tactico-opérationnels. Aussi, notre propos ne sera pas de rentrer dans les diverses polémiques ou de commenter les décisions politiques et internationales prises par les responsables de Grande Bretagne, en charge des affaires de leur pays à l'époque, mais uniquement de mettre en relief le retour d'expérience militaire concernant les opérations conduites au sol.

Le rapport souligne finalement un constat commun à toutes les forces terrestres occidentales confrontées à un adversaire irrégulier ou hybride telle qu'apparaissait l'armée de Saddam Hussein en 2003. En effet, cette dernière était constituée de forces régulières au moral assez bas et aux équipements vieillissant (chars T55, moyens sol-air d'ancienne génération, absence d'appui air-sol), d'unités plus aguerries et disposant de matériels plus performants au sein de la Garde républicaine et enfin de forces paramilitaires (feddayins de Saddam) contrôlant les grandes agglomérations (encadrées par les forces de sécurité intérieure et les forces spéciales irakiennes). De même, le risque d'emploi de vecteurs NRBC est jugé fort en 2002 au moment de la planification de l'opération Iraqi Freedom.
Souhaitant participer à cette campagne avec leurs alliés américains, les Britanniques envisagent plusieurs niveaux d'intervention en fonction du temps disponible (et de l'analyse de l'ennemi) avant le début des hostilités. Cette gradation dans le volume potentiellement engagé correspond aux formats rédigés dans la DPA de 1998 (Defense Planning Assumptions), sorte de Livre Blanc pour nos camarades d'outre-Manche. Si l'option Pack 1 (Precision Strike) ne prévoit l'engagement que de moyens aériens et de forces spéciales, le Pack 2 (Strategic coup de poing) conduit au déploiement d'une force aéroportée importante pour saisir des points clés et le Pack 3 (Conventional heavy punch) correspond au déploiement d'une force blindée mécanisée comme en 1991.
Dès les premières études conduites avec le Pentagone, l'état-major britannique propose au premier ministre d'opter pour le Pack 3, à la fois pour peser sur les choix opératifs américains avec une contribution importante au sol, mais aussi pour vaincre les forces irakiennes. De fait, Washington estime qu'il faudra environ 125 jours pour remporter ce conflit et ce, d'autant que l'armée de Saddam, contrairement à 1991, pourrait chercher à concentrer ses efforts dans les villes, ne laissant qu'un léger rideau défensif sur la frontière. L'objectif irakien serait ainsi d'user les forces occidentales dans des combats en ZURB longs et coûteux, tout en décrédibilisant l'action de la Coalition contrainte de détruire de nombreuses infrastructures civiles et de commettre des dommages collatéraux. 
Initialement, devant l'impatience américaine de lancer les opérations rapidement en Irak, la Grande-Bretagne se voit contrainte, au regard des courts délais de préparation (bien en deçà de ce que prévoit la DPA qui n'a pas pris en compte une crise si rapide et hors du cadre de l'OTAN), de n'envisager l'engagement que d'un PC de niveau division et d'une seule brigade blindée. En fait, les équipements doivent être remis à niveau (comme la tropicalisation des chars Challengers II), des moyens doivent être rapatriés d'autres théâtres (Bosnie, Kosovo, Afghanistan) et les hommes préparés. Londres estime alors qu'il faut de 3 à 6 mois pour arriver à ce seuil minimum du niveau brigade sans compter les 5 à 10 000 réservistes qu'il sera nécessaire de rappeler (Territorial Army). Pour mener cette action, les militaires britanniques soulignent également rapidement le manque de capacités indispensables en C2 (Command and Control), en logistique, en BFT (Blue Force Tracking ou identification des troupes amies), en hélicoptères de manœuvre et en protection NRBC, faiblesses capacitaires consenties pour des raisons budgétaires. Le ministère de la Défense est donc contraint de lancer, dans l'urgence, des acquisitions coûteuses.
Enfin, les premières ébauches de planification opérationnelle prévoit une entrée des troupes britanniques par la Turquie (base logistique aux standards OTAN disposant d’infrastructures aéroportuaires adaptées). Malheureusement, le veto d'Ankara contraint la Coalition à revoir ses plans et à préparer une attaque du sud vers le nord, selon deux axes principaux, ce qui complique encore un peu plus (et rend coûteuse) la logistique britannique. Finalement, disposant d'un délai plus important pour sa montée en puissance, la Grande-Bretagne peut proposer à son allié l'engagement d'une division (commandée à partir du noyau clé de l'état-major de l'ARRC) avec 3 brigades. Il s'agit de la 3ème Commando Brigade de la Marine (Royal Marines), de la 16ème Air Assault Brigade et de la 7ème Armoured Brigade. 

Le plan prévoit :
-Une phase 1 de préparation.
-Une phase 2 pour façonner le champ de bataille (frappes aériennes et une large manœuvre Info Ops).
-Une phase 3 d'action décisive.
-Une phase 4 d'opérations post-conflit. 

La mission du corps expéditionnaire britannique est de flanc-garder à l'est le 5ème corps US qui doit saisir les vallées de l'Euphrate et du Tigre puis s'emparer de Bagdad mais aussi de fixer, voire de neutraliser, les éléments irakiens concentrés dans la région de Bassorah (ville dans laquelle seraient retranchés 6 000 soldats réguliers et 2 000 paramilitaires) tout en sécurisant les champs pétroliers. L'équipement de des unités britanniques engagées permet, face aux divisions irakiennes (T72, BMP, canons D20) l'emploi de chars de bataille performants, de pièces d'artillerie efficaces et d'infanterie mécanisée. Mais le chef britannique doit aussi pouvoir compter sur des unités plus légères pouvant saisir des objectifs après une attaque en souplesse ou une action aéroportée. La brigade blindée pourra être, en permanence, renseignée, à l'avant, par des unités blindées légères aptes au renseignement de contact. Enfin, après avoir été engagées à l'ouest pour sécuriser le désert irakien, les forces spéciales sont mises sous les ordres de la 1ère division britannique pour compléter sa manœuvre du renseignement, en particulier aux abords de Bassorah. 
L'offensive ne durera finalement que 30 jours à partir du 20 mars 2003, les troupes irakiennes ne pouvant résister aux  100 000 hommes de la Coalition même si les Britanniques sont bloqués près d'une semaine dans la région d'Umm Qasr et hésitent à pénétrer dans Bassorah. Les combats cesseront à la chute du régime sans que les forces de Saddam ne soient complètement écrasées, bien au contraire. 
La conduite des opérations mettra en avant de gros défauts dans la planification avec notamment le report, puis l'aménagement, de la manœuvre amphibie prévue avec la 3ème Commando Brigade par crainte de plages minées et par manque d'hélicoptères de transport disponibles. De même, tout au long des combats, l'état-major interalliés (avec de nombreux officiers britanniques insérés) a été incapable d'établir un BDA (Battle dammage assessment) correct des forces irakiennes, faisant ainsi des choix tactiques à l'aveugle et ce, malgré la qualité de la Red Team mise en place afin d'imaginer les choix des généraux de Saddam.
Après la phase de conquête, de 2003 à 2009, les Britanniques ont ensuite basculé dans une mission de stabilisation qui s'est rapidement transformée en guerre asymétrique. Dans ce cadre, le rapport Chilcot insiste sur les erreurs liées à la débaassification forcée et à la démobilisation de l'armée irakienne qui ont fourni de nombreux combattants à l'insurrection. De même, les analyses mettent en évidence le retrait trop rapide des troupes américaines et des structures de commandement qui n'ont pas permis de gérer l'après conflit dans de bonnes conditions et d'assurer la sécurité nécessaire à des civils désœuvrés et privés de structures étatiques viables. La division britannique s'est ainsi trouvée sous les ordres d'un PC US réduit (CJTF 7) du général de division US Sanchez ne disposant pas de capacités suffisantes pour une action opérative civilo-militaire d'ampleur. De même, Londres s’est vu attribué une zone de responsabilité très importante avec des contingents internationaux très réduits. En outre, les forces terrestres, largement engagées en Afghanistan ont dû faire face, une fois de plus, à des faiblesses capacitaires devant les nouvelles menaces liées à la contre-insurrection. Ainsi, les unités soulignent très vite le manque de vecteurs logistiques protégés, de moyens rens (ISTAR), de capacités aéromobiles et de lutte contre les EEI. Pour ce dernier cas, les achats sur étagères souhaités par les militaires sont freinés au bénéfice de programmes confiés à des industriels sur le long terme. En 6 années de conflit, la Grande-Bretagne perd 178 soldats et un civil du ministère de la Défense et doit quitter ce théâtre d'opérations sans réellement avoir pu conduire la mission jusqu'à son terme.
Pour conclure, ce rapport propre à une opération des forces armées britanniques et aux choix stratégiques de son gouvernement (que nous ne jugeons pas dans cet article) montre néanmoins la nécessité, face aux crise contemporaines, de disposer rapidement de l'ensemble du spectre capacitaire contre un adversaire conventionnel, hybride ou irrégulier et ce, selon un tempo et une évolution de la situation qui peut aller très vite. L'entraînement, la maintenance mais aussi les options opérationnelles choisies (format, organisation, C2, équipement) doivent prendre en compte la versatilité des théâtres d'opérations potentiels. Le combat en zone urbaine sera incontournable et doit faire l'objet d'une préparation accrue. Enfin, il faut donc disposer de structures de commandement ad hoc (type division) soutenables dans la durée (et disposant de structures évolutives, notamment civilo-militaires), de capteurs renseignement terrestres en nombre suffisant, d'unités blindées et légères, d'appui feux artillerie, d'une logistique manœuvrière et de moyens d'aérocombat conséquents. Il semble que le modèle "Au contact" de l'armée de Terre réponde à cette exigence.
Un rapport intéressant à lire donc avec un sommaire en ligne permettant de sélectionner facilement les sujets et les domaines analysés par la commission d'enquête.

Source image : 0'20 Magazine

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