Alors que les médias, comme les Etats occidentaux, évoquent de plus en plus le transfert de la sécurité aux unités de l'armée et de la police afghane, il est toujours intéressant de se replonger dans les exemples opérationnels que nous offre l'histoire militaire. Il s'agit donc de revenir, au travers d'une bataille, sur le processus de "vietnamisation" initié par les Américains au début des années 1970 ainsi qu'aux premières actions militaires d'envergure de l'armée sud-vietnamienne à cette époque. L'opération "Lam Son 719" nous donne ainsi l'opportunité de souligner un certain nombre d'enseignements tactiques voire opératifs propres à enrichir la réflexion contemporaine et à comprendre l'issue tragique du conflit vietnamien en 1975.
Contexte :
Le processus de vietnamisation s’intensifie en juillet 1970 lorsque des troupes régulières nord-vietnamiennes se regroupent au Laos. Nixon décide alors d'intervenir de l'autre côté de la frontière bien qu'ayant perdu le pouvoir d'engager ses troupes hors du Vietnam. Il ne peut accorder qu’une opération visant à ratisser le plateau de Khe Sahn jusqu'à la frontière et à fournir un soutien feux aux forces sud-vietnamiennes sensées être engagées au Laos, le long de la route 9, jusqu'à la ville de Tchepone. Aucun Américain n’est autorisé à franchir la frontière. Livrés à eux-mêmes, les Sud-Vietnamiens vont connaître un test opérationnel décisif dans le cadre de leur toute nouvelle autonomie.
Opération Lam Son 719, février - avril 1971.
Forces en présence :
Sud-Vietnam : 20 000 hommes.
Etats-Unis : 10 000 hommes (au Vietnam uniquement).
Nord-Vietnam : 35 000 hommes.
Déroulement :
Phase préliminaire.
Le 30 janvier 1971 , les Américains déclenchent l’opération « Dewey Canyon 2 » pour sécuriser la route 9 jusqu'à la frontière laotienne et lancent une petite action de diversion dans la vallée d'A-Shau. Le général en chef sud-vietnamien, Hoang Xuan Lam, engage de son côté d'impressionnantes forces dans l'opération Lam Son 719, baptisée du nom d'une victoire des Vietnamiens sur les Chinois au XVème siècle. Son plan est d'envoyer une brigade blindée le long de la route 9 jusqu'à Tchepone au Laos. Le flanc sud de cette incursion sera couvert par une division d'infanterie tandis que le flanc nord sera tenu par une division aéroportée. Une division de Marines vietnamiens est gardée en réserve. Une fois Tchepone atteinte (en trois jours selon le plan), les troupes continueront leur progression sur la piste Hô Chi Minh pour y détruire l’ennemi. Si les forces de Hanoi venaient à contre-attaquer, le général Xuan Lam veut leur infliger un maximum de pertes avant de se replier au Vietnam.
Phase 1 : l’attaque.
L'opération « Lam Son 719 » débute au matin du 8 février 1971 par le franchissement de la frontière laotienne et avec la progression, le long de la petite route 9, des éléments blindés sud-vietnamiens. Au même instant, des hélicoptères américains quittent la base de Khe Sahn chargés des troupes sud-vietnamiennes. Sur le front sud, l'infanterie parvient à s'établir sur les zones d'atterrissage Blue et Hotel. Au nord, la résistance communiste cause la perte de 7 hélicoptères mais les Sud-Vietnamiens réussissent à s'emparer des collines 30, 31, Ranger Nord et Ranger Sud. Les blindés, quant à eux, atteignent le 10 février Aloui, à 20 kilomètres derrière la frontière, mais sont incapables d'avancer plus avant en raison du mauvais état de la route. Aucune équipe du génie n’a été prévue pour appuyer la progression.
Phase 2 : la réaction nord-vietnamienne.
L'armée nord-vietnamienne profite de cette immobilisation pour riposter. Le 12 février, les Communistes attaquent au nord. Le 21 février, au prix de lourdes pertes, ils se rendent de nouveau maîtres de Ranger Nord. Le 25 février, 2.000 Nord-Vietnamiens, appuyés par 20 chars de fabrication soviétique, engagent les 400 défenseurs sud-vietnamiens de la colline 31. Pris en embuscade à deux kilomètres de la colline, des renforts sud-vietnamiens rebroussent rapidement chemin. Au final, cinq défenseurs seulement parviennent à échapper aux Nord-Vietnamiens. Isolées, la zone de poser Ranger Sud et la colline 30 sont évacuées.
Phase 3 : le repli sud-vietnamien.
Menacé au nord de son dispositif, conscient de l'imminence d'une défaite, le général Lam regagne Saigon par avion le 28 février afin de se concerter avec le président sud-vietnamien Thieu. Ils décident ensemble d'engager plus avant leurs forces encore intactes. Le 3 mars, un régiment sud-vietnamien est déposé sur une nouvelle zone d'atterrissage baptisé Lolo. Présents dans le secteur, les Communistes prennent à partie les hélicoptères (7 des 10 premiers appareils sont endommagés). Dans la nuit, 500 Sud-Vietnamiens sont finalement déposés sur place au prix de 7 hélicoptères détruits et 35 autres endommagés. Les 4 et 5 mars, d'autres héliportages sont effectués plus à l'ouest sur Liz et Sophia 2. Le 6 mars, un régiment sud-vietnamien est déposé sur la zone Hope et s'empare de la ville de Tchepone. Néanmoins, le général sud-vietnamien, ayant subi des revers et enfin conscient de la présence massive des troupes communistes dans le secteur, décide, sans préparation aucune et sans couverture, de se replier vers la frontière. Les objectifs Hope et Sophia 2 sont abandonnés sans problème les 11 et 12 mars. Le 16 mars, Lolo est également évacuée. Une fois l'essentiel des défenseurs partis, les Nord-Vietnamiens lancent l'assaut contre les 420 derniers combattants sud-vietnamiens restés en arrière garde. Ceux-ci résistent trois jours durant avant d'être réduits à 88 soldats commandés par un sous-officier. Lorsque les hélicoptères d'extraction se présentent finalement sur place, ils n’auront à embarquer que 36 survivants. Le 19 mars, la colonne blindée sud-vietnamienne entame son repli le long de la route 9 en remorquant 17 chars endommagés. Lorsque les 4 blindés de têtes traversent une rivière à l'est d'Aloui, les Communistes les prennent à partie. Un char est détruit tandis que les trois autres sont abandonnés par leurs équipages. Ces blindés bloquent ainsi le passage du reste de la colonne qui, prise sous le feu nord-vietnamien, subit de lourdes pertes. Les Sud-Vietnamiens mettent plus de trois heures à dégager la route, avant de rejoindre le Vietnam au prix de 17 chars laissés sur place. La retraite se transforme en fuite éperdue et les Communistes en profitent pour s'emparer de plusieurs bases d’appui à l'intérieur même du Vietnam, exploitant la situation.
Bilan :
Les sources divergent quant aux pertes des uns et des autres. Les Sud-Vietnamiens auraient perdus entre 1 500 et 8 000 tués ou disparus, entre 5 000 et 12 000 blessés alors que les Nord-vietnamiens ne dénombreraient que 2000 tués et 6 000 blessés.
Les Etats-Unis, comme le gouvernement de Saigon, clament, à l’inverse des médias et des faits, que cette opération est une victoire et qu’elle démontre la réussite du processus de Vietnamisation. Pour les Communistes, ce succès tactique leur laisse une pleine liberté d’action sur la piste « Ho Chi Minh » afin de préparer l’offensive générale prévue en 1972 contre le sud-Vietnam.
Enseignements opératifs et tactiques :
-L’opération est lancée en sous-estimant le dispositif nord-vietnamien et avec peu de renseignements.
-Hormis l'action américaine dans la vallée d'A-Shau, aucune action de déception n'est entreprise pour surprendre l'ennemi ou le priver de sa liberté d'action.
-La jeune armée sud-vietnamienne lance sa première grosse offensive en autonome en dehors de son propre territoire et sans bénéficier d’un appui complet américain (qui ne peut traverser la frontière).
-L’articulation des forces est mal construite en négligeant les moyens du génie pour permettre l’aide à la mobilité des unités blindées.
-Au regard des contraintes de mobilité, les moyens aéromobiles sont indispensables mais vulnérables.
-Les Nord-Vietnamiens saisissent l’opportunité laissée par l’arrêt momentané ennemi pour contre attaquer et reprendre l’initiative.
-Le principes de concentration des efforts n'est pas appliqué en disséminant les forces sur des points isolés et en ne concentrant pas les effets sur Tchepone, le point clé de la région.
-La réserve est utilisé à mauvais escient alors qu'elle aurait dû renforcer le dispositif nord plutôt que d'être engagé sur Tchépone trop tardivement pour que les forces mécanisées la rejoigne efficacement.
-Les troupes de Saigon s’entêtent à engager leurs réserves dans une opération héliportée mal préparée et peu protégée créant des îlots de résistance incohérents et isolés.
-Le repli est effectué dans l’urgence sans reconnaissance, sans couverture ou protection, rendant les forces blindées vulnérables dans un terrain inadapté à leur emploi.
-Le franchissement de la coupure humide est engagé sans que tous les moyens nécessaires pour le sécuriser soient en place.
-Aucun dispositif n'est prévu sur la frontière pour recueillir les troupes qui se replient, éventuellement contre-attaquer et empêcher les Nord-Vietnamiens d'exploiter.
-Les Communistes exploitent immédiatement leur succès et s’emparent de postes frontaliers qui serviront de têtes de pont futures.
Frédéric Jordan
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