Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 19 avril 2014

Développer une vision française de l’art opératif : s’inspirer de l’esprit du maréchal LECLERC.(2/4)

 
Nous poursuivons notre article sur l'art opératif et sa  vision française sous le prisme de l'histoire militaire.
Napoléon, à la tête de sa « Grande Armée »  symbolise parfaitement cette évolution, lui qui, lecteur assidu de De Guibert, au-delà des simples divisions, va bâtir jusqu’à 7 corps d’armée, dotés chacun d’une quarantaine de canons, d’unités divisionnaires d’infanterie, de brigades de cavalerie et d’une intendance adaptée à leurs besoins. Fort de cet outil manœuvrier, il a compris la nécessité de prendre de vitesse ses adversaires avant l’engagement, de les placer dans l’incertitude de ses propres intentions par des marches et contremarches sur des centaines de kilomètres. S’il a gagné ses campagnes avec les « pieds de ses soldats » c’est parce qu’il a intuitivement compris les fondamentaux de l’art opératif. En effet, il cherche à protéger ses « lignes d’opération », ses routes d’approvisionnement tout en préservant une réserve opérationnelle capable d’exploiter la faille adverse ou de renverser, au bon moment, le rapport de forces. Il applique, comme une ébauche de « maskirovka [1]», en avant de sa progression ou sur ses flancs, un rideau de cavalerie légère chargé de recueillir du renseignement mais surtout d’aveugler les reconnaissances ennemies. Convaincu que l’attaque frontale ne peut être envisagée qu’en dernier recours, ses modes d’action recherchent souvent l’enveloppement puis la recherche d’un point de rupture (assez proche du « Schwer Punkt[2] » allemand). Malheureusement, privé de son chef et de sa coordination, les corps d’armée, livrés à eux-mêmes, peinent souvent, comme en Espagne ou lors de la campagne de France de 1814, à mettre en place des opérations adaptées à la situation ou complémentaires les unes des autres.


Mais l’illusion de cette « grande tactique » de circonstance va bercer l’art de la guerre français jusqu’à la défaite de 1870-1871 car les grandes unités rassemblées dans cette campagne ne s’appuient pas sur des états-majors de temps de paix et n’ont, in fine, jamais combattues ensemble avant les premiers combats. Face à elles, l’armée allemande s’est dotée d’un grand état-major et d’une doctrine commune (les cadres pratiquent déjà le « Krieg spiel [3]»et le travail sur carte) préparée par Von Moltke depuis plusieurs années et les officiers ont déjà « pensé » le théâtre d’opération au-delà de la simple bataille décisive avec une vision pré-opérative.
Après cette défaite, à la fin du XIXème siècle, le ministre de la guerre Freycinet décide alors de constituer des corps permanents et une inspection chargée d’évaluer leurs performances en temps de paix et ce, tout en favorisant la création de l’Ecole supérieure de guerre capable de former les futurs officiers d’état-major. C’est une révolution qui porte ses fruits en termes d’efficacité mais elle se limite, une fois de plus, à une vision élargie de la « tactique pour les grandes unités » (manuel d’emploi de 1913) avec un effort porté sur la mise sur pieds d’armées et de groupes d’armées. En outre, affaiblis intellectuellement par le culte de l’offensive à outrance, l’armée française et son chef, le général Joffre, vont, pour faire face à une attaque allemande, abroger le plan XVI (prévu comme un plan de campagne dans la durée et dans la profondeur). Malgré les critiques de certains tacticiens comme le général Lanrezac (qui sauvera, au détriment de sa carrière, les armées françaises en désobéissant) le commandement établit le plan XVII, simple attaque de grande ampleur concentrée sur un seul point qui ne résistera pas au mouvement tournant du plan allemand Schlieffen.  Et pourtant, en conduite, l’armée française mène, sans le vouloir, des actions dans une dimension opérative, à l’image du miracle de la Marne où les moyens de communication, la mobilité des unités via le chemin de fer et la recherche du renseignement vont permettre au général Galliéni de frapper l’aile droite de l’armée Von Kluck, l’obligeant à battre en retraite. Quatre ans plus tard, lors de la bataille de Montdidier, le général Denenay, qui commande 15 divisions, 1600 pièces d’artillerie et deux bataillons de chars légers, va expérimenter la bascule d’effort sur l’ensemble de son fuseau pour briser le dispositif allemand. Attaquant d’abord sur le flanc gauche pour attirer les réserves ennemies, il lance ensuite une offensive à droite avant d’appuyer son effet majeur au centre. C’est ce type de schéma que les Soviétiques, princes de l’opératique, pratiqueront en 1944 et 1945 dans des opérations comme « Bagration » ou face aux Japonais en Mongolie.
Dans l’entre-deux-guerres, la pensée opérative française subit de nouveau les effets d’un héritage, celui de la victoire de 1918, censée être la recette du succès tactique avec, uniquement, en point d’orgue, la manœuvre et la puissance des appuis. Ce concept impose une centralisation des feux et la constitution d’une réserve stratégique d’artillerie à 56 régiments dès 1922. Pour les chefs militaires de l’époque, le champ de bataille doit être une structure stable et peu mobile qui se conjugue sur l’autel de la « bataille méthodique » (à l’instar de la bataille de la Malmaison conduite par Pétain en 1917) où la profondeur se limite à celle d’une armée (72 km) et pour laquelle chaque corps et chaque division se voit cantonner à une partie du front. Les réserves, quant à elles, ne sont engagées que pour « colmater » une éventuelle brèche mais jamais pour exploiter, envelopper ou surprendre un ennemi. La défaite de 1940 sonnera le glas de cette vision étriquée de la « grande tactique » pour, après 1945 et tout au long des décennies suivantes, favoriser l’apprentissage d’une opératique initiée par l’allié américain. 
 
2- L’art opératif français tourné vers la vision anglo-saxonne.
 
Durant la période de la décolonisation, sur les théâtres d’Extrême-Orient ou d’Afrique du Nord, la France a développé sa propre vision opérative avec les enseignements tirés de la deuxième guerre mondiale et avec l’expérience de nombreux chefs militaires maîtrisant l’espace colonial. Elle a dû faire face à un adversaire irrégulier qui lui a imposé le combat au sein des populations, face à des guérillas en rase campagne, en jungle ou en zone urbaine.


A suivre


[1] Art de la ruse, du camouflage et de la déception dans l’art opératif russe.
[2] Point de rupture différent du centre de gravité, il est le point d’application de la concentration des efforts en tactique comme en opératique allemande.
[3] Jeux de guerre ou simulation des manœuvres dans le but d’en tirer des conclusions et des enseignements.

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