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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mercredi 30 avril 2014

Développer une vision française de l’art opératif : s’inspirer de l’esprit du maréchal LECLERC.(4/4)



Denier volet de notre étude de la vision française de l'art opératif.
Ils ont donné le meilleur pour faire face et stabiliser les crises mais, si les méthodes de planification comme la GOP[1] puis la COPD[2] demeurent remarquables dans la compréhension du spectre des menaces, le rythme et l’exhaustivité de ces procédures ne permettent pas toujours d’obtenir un résultat sur un adversaire qui impose son « tempo » et s’adapte sans cesse aux coups qu’on lui porte. De la même façon, la pression des opinions publiques, le poids médiatique ou les perceptions des populations au contact de la force sont bien souvent plus dévastatrices que les efforts de communication opérationnelle ou les opérations dites d’influence entreprises par les soldats des coalitions.
Aussi, alors que la France a démontré, depuis plusieurs années, sa capacité à agir de manière autonome pour contrer des foyers de crise émergents, comme au Sahel face aux groupes armés terroristes, il s’agit donc de fonder, sans renier l’apport de nos alliés et de notre doctrine,  une « vision nationale » de l’art opératif. Celle-ci pourrait être héritée, en particulier, de l’esprit insufflé par le maréchal Leclerc alors que l’armée française cherchait à se rebâtir après la défaite de 1940.
3- Vers un art opératif français irrigué par l’esprit « Leclerc ».
Il est nécessaire, dans un premier temps, de définir l’esprit « Leclerc ». Cultivé en particulier par les anciens de la 2ème DB et par tous ceux qui ont servi sous les ordres du maréchal, c’est une certaine idée du métier de soldat et de la manière de s’approprier la mission. Surprise, initiative, vitesse, audace, prise de risque et foi dans le succès sont les principaux ingrédients de cette posture intellectuelle et de cette manière de commander.


Celle-ci a d’ailleurs permis à ce grand chef de mener ses hommes à la victoire comme en témoigne son ancien subordonné et ami le général de Guillebon : « Jamais aucune de nos décisions si soudaine soit-elle n'a été une improvisation. A partir du moment où il envisageait une opération, son esprit y travaillait sans arrêt, jour et nuit, car il dormait peu. Sans cesse, il revenait à son idée, regardant indéfiniment la carte, mesurant les possibilités que lui laissaient les approvisionnements et les moyens de transport, rêvant aux moyens de les augmenter. Il connaissait les limites que les distances, le terrain, l'état des véhicules et des approvisionnements lui imposaient. Il forçait nos limites par tous les moyens humains, mais il ne les niait pas. Il n'y a pas de miracle dans les campagnes de Leclerc, mais une merveilleuse préparation qui tenait compte de toutes les possibilités, les amenait à un rendement jamais atteint. Il a opposé nos camions à caisse de bois aux Panzer de Rommel ; d'un régiment quelconque de l'armée coloniale, il en a fait un régiment de légende ; il s'est imposé lui-même malgré les préventions et les doutes, non par un don surnaturel, mais par un ensemble de qualités et de vertus très humaines dominées par la volonté et la foi »
Le maréchal Leclerc a également la hauteur de vue nécessaire pour sortir du simple prisme tactique et intégrer son action, ou ses manœuvres, dans le contexte opératif du moment. En effet, quand il débarque en Afrique en 1940 il entame le ralliement des unités présentes tout en portant la voix du général De Gaulle et une certaine idée de la France libre qui demeure encore à ses balbutiements. Au Tchad, il compose une force qui s’intègre à la manœuvre britannique en Afrique du Nord et qui va bousculer le dispositif italien en sud-Libye comme au Fezzan sur des échelles extrêmement grandes, coupant les points d’appui des troupes de Mussolini de leurs bases, voire les privant de moyens aériens (renseignement, bombardements). En France, aux portes de la capitale en 1944, il intègre les problématiques politico-militaires avec les Alliés pour influencer leur décision et libérer Paris. Il tisse également des liens particuliers avec les résistants qui ont lancé l’insurrection afin de coordonner les actions respectives. Pour vaincre son adversaire retranché dans Paris, son analyse du centre de gravité allemand démontre une perception opérative des belligérants puisqu’il s’agit de frapper, au cœur de la ville, au PC du commandant en chef, le général Von Choltitz. Engagé ensuite avec la 1ère armée française en Alsace, il participe au renouveau des forces françaises qui, par leur investissement, gagneront le droit d’être parmi les vainqueurs. Plus tard, à la tête du CEFEO, le maréchal Leclerc  fait rayonner ses moyens comptés sur l’immensité du territoire Indochinois afin de prendre le contrôle des axes et des points névralgiques du pays. Il estime avec justesse que le centre de gravité opératif se situe au Tonkin et que la manœuvre militaire doit rapidement s’accompagner d’un effet politique cohérent.
Fort de ce constat, dans le cadre des projections à vocation opératives, l’armée française semble vouloir s’orienter vers une nouvelle approche qui pourrait largement s’inspirer de l’esprit « Leclerc ». Elle pourrait développer un style de manœuvre qui ne coordonne plus des moyens dans le cadre d’une planification lourde mais privilégie la combinaison, de manière réactive, des actions de natures différentes en fonction des lieux et des moments. Moins tributaire de la notion de volume de forces et de la gestion de fonctions transverses, le niveau opératif français pourrait organiser, selon un rythme cohérent, la conduite d’actions de fond sur le spectre politico-militaire mais aussi le développement d’opérations ciblées relevant tant du concept d’influence que des concepts de coercition et de dissuasion (ce que fît Leclerc avaec son artillerie devant Koufra en 1941, ou la prise de l’hôtel Meurice en 1944), et ce, afin de saisir les « opportunités opératives » (seconde campagne du Fezzan en 1942 et l’embuscade de la Force L contre la 90ème Pz allemande en 1943).
Comme le maréchal Leclerc l’a pensé (en particulier en Afrique du Nord), la supériorité opérationnelle se gagnera, à l’avenir, par une plus faible emprunte des forces qui, déployées en périphérie des « zones grises », seront plus discrètes pour pouvoir surprendre l’ennemi dans ses sanctuaires ou ses couloirs de mobilité. Moins sensibles aux modes d’action asymétriques ou aux frappes terroristes, nos unités, modulaires dans leur format, à l’instar des groupements tactiques de la 2ème DB devant Paris ou du groupe nomade du Tibesti conduisant des coups de main sur Tedjere au Fezzan en 1940,  priveront l’adversaire de l’initiative et donc de sa liberté d’action. La manœuvre par le renseignement et la combinaison des moyens interarmées permettra de cibler les objectifs, d’analyser les effets des opérations sur l’environnement, de frapper l’ennemi selon des tactiques indirectes dans des espaces élargis et aux dimensions importantes (Sahel par exemple). Le colonel Leclerc, à l’époque, l’avait d’ores et déjà pris en compte puisqu’il engageait, en 1914, ses bombardiers Blenheim depuis la base avancée de Zouar dans le Tibesti sur la profondeur du dispositif italien et que, comme le raconte le général Massu : « Le colonel Leclerc prend le commandement d'une reconnaissance légère, avec une vingtaine de voitures, qui atteint la palmeraie de Koufra le 7 février 1941. Des renseignements sont obtenus auprès des indigènes du village, le radio du poste radiogonométrique est fait prisonnier ». Dès lors, face à un adversaire irrégulier, la force morale comme la foi du maréchal Leclerc dans sa mission (serment de Koufra) ou sa devise « Ne me dites pas que c’est impossible » seront des atouts pour combattre, dans la durée, puis prendre l’ascendant sur tel ou tel groupe de combattants. Enfin, aujourd’hui, comme hier, il faut s’appuyer sur ceux qui maîtrisent le milieu, hier les troupes coloniales ou les FFI, aujourd’hui les forces partenaires des pays souverains travaillant aux côtés des unités françaises dans ce qu’on appelle l’assistance militaire opérationnelle (AMO). Cette forme d’échange de savoir-faire et d’expérience a d’ailleurs montré sa plus-value et tranche largement avec le « mentoring » d’autres opérations ou sur la formation « in situ » de troupes selon des standards otaniens. La mise en œuvre actuelle par la France, dans la BSS[3], d’un commandement et de moyens à dimension opérative, avec l’organisation de bases avancées et des opérations associant moyens ISTAR[4], troupes au sol, frappes air-sol, forces spéciales mais aussi détachements mixtes avec des armées africaines ou encore actions d’influence et coopération internationale politico-militaire, semblent tendre vers un renouveau de l’opératique à la française héritière du sens et des principes de l’esprit « Leclerc ».
Pour conclure, l’armée française n’a pas une histoire riche dans le domaine de l’opératique du fait des influences issues des penseurs du XVIIIème siècle et d’une priorité donnée à l’organisation des unités plutôt qu’aux procédés et aux objectifs de l’art opératif. Néanmoins, face aux évolutions de la guerre, en particulier au XXème siècle, certains chefs militaires ont instinctivement bâtit une approche particulière pour s’adapter à un adversaire conventionnel ou à des situations relevant plutôt de la contre-insurrection. L’influence anglo-saxonne a ensuite longtemps imposé une planification lourde et procédurière, limitant l’initiative au bénéfice de la recherche d’un consensus multinational. Face aux défis d’aujourd’hui ou de demain, et alors que la France s’engage souvent seule sur des théâtres d’opérations aux échelles extraordinaires et aux dimensions complexes, la perception visionnaire du maréchal Leclerc, et de l’esprit qu’il a transmis à ses unités de 1940  jusqu’ à sa mort accidentelle, apparaît comme une approche adaptée aux défis des engagements opératifs français et transparait dans l’actualité opérationnelle du moment qu’il s’agit maintenant de pérenniser.




[1] Global operational process
[2] Comprehensive Operations planning directive.
[3] Bande sahélo-saharienne.
[4] Moyens de reconnaissance d’origine image, électromagnétique, humain.

1 commentaire:

  1. J'ai participé récemment à une opération au TCHAD baptisée "BARKHANE", commandée par un chef qui cultive avec ferveur l'esprit du maréchal LECLERC. Surprise, initiative, vitesse, audace, prise de risque et foi dans le succès ont permis encore une fois de remplir avec succès tous les objectifs qui nous avaient été assignés.

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