Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 30 janvier 2016

1911 – 1916, avec Joffre, le récit du colonel Alexandre. (1/2)


 
En 1932, le colonel Alexandre, qui a servi de 1911 à 1916 comme officier d’état-major aux côtés du maréchal Joffre, livre son récit sur les décisions de son chef pour préparer, puis conduire le premier conflit mondial. Il revient sur l’impréparation de l’armée française, ses qualités et ses défauts ainsi que les tensions dans les choix tactiques et opératifs du côté des alliés.
Après avoir brossé un portrait bien peu objectif de son chef, en particulier par une succession de qualités tant intellectuelles que militaires, l’auteur considère que le général en chef avait anticipé les difficultés à venir et qu’il fît le maximum pour combler les lacunes des forces armées sous son commandement avant le choc avec les Allemands.

La première décision fut de mettre en œuvre une réorganisation du commandement, attribuant aux commandants d’armée davantage de responsabilités en termes de préparation opérationnelle avec des séquences d’entraînement plus longues et plus réalistes. Un effort est ensuite mené à l’Ecole de guerre pour revenir sur les fondamentaux de la tactique générale même si les progrès furent limités : « sous l’influence d’hommes de haute valeur, les Bonnal, les Maistre, les Lanrezac, les Brun, les Langlois et bien d’autres, les questions relatives à la tactique du corps d’armée furent étudiées et retournées dans tous les sens. Mais on n’alla guère plus loin. Seules quelques personnalités, au premier rang desquelles il faut placer le colonel Foch, eurent conscience de la nécessité d’envisager des questions d’ordre plus élevé et entreprirent l’étude des problèmes que soulève le maniement des armées et de l’ensemble des forces mobilisées d’un pays ». Il souligne également l’âge des généraux (62 à 65 ans) conséquence d’un système d’avancement très formalisé et cherchant le vieillissement de chaque grade au détriment de la qualité (comme à d’autres époques ou dans de nombreux pays, d’hier à aujourd’hui). Ainsi, nombre de commandants de division ou de CA « n’ont pu résister physiquement et moralement à des épreuves excessives auxquelles une longue période de paix ne les avait nullement préparés ».
La préparation matérielle de la guerre a également été un souci majeur de Joffre qui cherche à combattre « la mentalité générale du pays » dont la majeure partie des citoyens se désintéressent des questions stratégiques et militaires alors que les gouvernements renâclent à accepter de nouvelles dépenses. Aussi, le service militaire à 3 ans, lancé pour augmenter les effectifs immédiatement disponibles, fut source de polémique.
L’auteur critique également les choix budgétaires de son époque avec, notamment, la Direction du contrôle sensée conseiller le gouvernement dont il dit : « qu’elle était composée de fonctionnaires d’une valeur technique indiscutable mais pour qui les considérations administratives et financières primaient toutes les autres. Sortis du cadre des officiers des armes combattantes ou du Service de l’Intendance, à moitié civils, à moitié militaires, ils mettaient, si l’on peut dire, leur point d’honneur, à oublier leur origine et à n’envisager les questions qu’au point de vue de leurs conséquences pécuniaires. Ils refusaient de se placer sur le terrain militaire pour apprécier leur importance relative et leur degré d’urgence ». De la même façon, il critique l’absence de prise en compte, par les militaires, des retours d’expérience de Mandchourie ou du Transvaal considérant que ces théâtres « exotiques » n’ont rien de commun avec la guerre qui se prépare. De même, « on sous-estima systématiquement la défensive, accusée de laisser à l’adversaire sa liberté d’action et l’initiative des mouvements. On fut ainsi conduit à négliger les éléments essentiels de cette défensive, la puissance du feu et l’organisation du terrain ». L’artillerie de campagne française pâtit de ce raisonnement malgré sa qualité (canon de 75mm) avec une portée réduite (2000 à 3000m) et le tir à vue ne permettant pas le feu dans la profondeur. L’artillerie lourde était donc insuffisante (obusiers en particulier) malgré les appels du général Sylvestre et les 200 premiers canons furent enfin commander sous l’impulsion de Joffre et du ministre de la Guerre Millerand à quelques mois du début du conflit. Il en fut de même pour les fortifications négligées alors que « quand la guerre de tranchées se prolongea, les organisations de circonstances ne prirent-elles pas, peu à peu, le développement de la fortification permanente ? » et ce, sans compter un équipement pauvre (téléphones, ravitaillement, cuisines roulantes,…).
Le colonel Alexandre, comme son général, estime que l’instruction de l’armée laissait fort à désirer. De même, « notre corps d’officiers était bon dans son ensemble. Pris isolément, l’officier français était certainement supérieur à l’officier allemand en intelligence et en culture, mais le commandement ne faisait presque rien pour développer ses qualités militaires ». Dès lors, pendant les trois années qui précédèrent la guerre, le général Joffre s’efforça, par tous les moyens en son pouvoir, de développer cette instruction de l’armée, dont les lacunes ne lui échappaient pas. Néanmoins, notre témoin reconnaît les faiblesses du plan XVII (le plan XVI prévoyait de s’abriter derrière une ligne défensive pour contre-attaquer le moment venu) qui était difficilement exécutable par des unités de réserve ou d’active pas assez équipées ou entraînées au début de la guerre.
La guerre allait ensuite apporter de nouveaux enseignements…
 
A suivre…

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