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mercredi 3 février 2016

1911-1916, avec Joffre, le récit du colonel Alexandre. (2/2)

 
Avec le début du premier conflit mondial, le colonel Alexandre, qui accompagne le général Joffre depuis 1911, poursuit son récit pour tenter de mettre en avant ou comprendre les décisions du moment, les enseignements et les choix des chefs militaires et politiques de 1914 à 1916.
Avec la mobilisation générale, tous les hommes politiques, comme certains députés devenus officiers, souhaitent rejoindre le grand quartier général pensant pouvoir influer sur les manœuvres et stratégies à venir. Les plans sont confirmés, malgré les réserves de certains militaires, par le gouvernement avec une volonté de "défense de l'avant" et un déploiement à 10 km de la frontière : "au point de vue militaire, cette mesure présentait des inconvénients très sérieux, mais il n'y avait qu'à s'incliner". Avec la bataille des frontières, les premières observations montrent ensuite les limites des différentes armées.

En effet, si l'organisation de commandement française semble performante, notamment dans la transmission des ordres, le renseignement et la connaissance de la situation, les alliés franco-anglais paraissent avoir des tempéraments bien différents dans la perception du combat à mener. Dans ce cadre, il écrit : "pendant cette première partie de campagne, grâce au réseau télégraphique et téléphonique du territoire et un emploi massif des officiers de liaison, nous sommes arrivés à ne jamais nous servir de la TSF pour la transmission des ordres et des renseignements. Au contraire les Allemands, occupant un pays où toutes les lignes étaient coupées, ont été conduits à en faire un grand usage. Nous captions naturellement leurs messages."
Le colonel Alexandre est détaché comme officier de liaison auprès de la 5ème armée du général Lanrezac dont il salue l'entrain et les qualités de tacticien. Fin août, les difficultés sur le front provoquent de l'anxiété dans les états-majors et les responsables :"mauvaise impression d'ensemble; l'instruction et le commandement laissent presque partout à désirer et sont les causes réelles de nos échecs. Que faire quand l'outil est mauvais et se fausse dans les mains." Comme Joffre, notre témoin semble se concentrer sur l'armée Lanrezac avec des critiques acerbes sur son moral et sa retraite. Il salue en revanche la confiance du généralissime malgré le défaitisme ambiant. 
La bataille de la Marne sonne alors comme un soulagement dans le récit, victoire mise au crédit une fois de plus du général Joffre, "que revient celle d'avoir pris la résolution dont nous avons peine, aujourd'hui, à concevoir la hardiesse. Mener à l'attaque, après trois semaines de luttes, d'échecs et de fatigues inouïes, cinq armées - un million et demi d'hommes - qui, l'avant-veille encore, étaient pour la plupart en pleine retraite, c'est une des manœuvres dont l'histoire ne fournit aucun exemple et qu'on ne recommence pas." Les armées qui se font ensuite face dans la course à la mer sont à peu près de même force numérique mais ont des qualités bien différentes qui ne leur donneront d'ailleurs pas l'avantage dans le court terme : "l'une d'elles est merveilleusement instruite et équipée, rien ne lui manque. Elles est encadrée de façon unique, c'est peut-être le plus bel outil de guerre qui ait été forgé depuis les Romains. Elle est, à bien des points de vue, supérieure même à la Grande Armée de Napoléon. Elle est conduite par un Etat-major qui a depuis 1866 la réputation d'être un organe parfait de préparation à la guerre et le détenteur de la vérité stratégique. Cet état-major a élaboré un plan d'opérations, d'une audace déconcertante, mais où tout a été soigneusement calculé et prévu. L'autre (la française) est pauvre en matériel; son instruction est médiocre et faussée par l'exagération de l'esprit d'offensive à outrance, son encadrement laisse à désirer; son commandement, gêné par les instructions formelles que lui a données un gouvernement, respectueux des traités au bas desquels la France a posé sa signature, a été amené à élaborer un projet d'opérations difficile à exécuter, dangereux dans ses conséquences. Et c'est la première de ces armées qui est battue, définitivement battue ! Quelle conclusion en tirer ? la valeur du soldat mise à part (...) c'est le commandement français et son auxiliaire, l'Etat-major, qui ont gagné la bataille de la Marne."
Le colonel Alexandre détaille ensuite les difficultés rencontrées du fait de la guerre de position, de la durée du conflit et de son aspect de plus en plus industriel. Ainsi, très vite une pénurie de munitions d'artillerie se fit sentir tout comme une piètre qualité des projectiles. La poste aux armées rencontra des difficultés pour acheminer le courrier créant une coupure entre les soldats et l'arrière tout en nuisant au moral. Les Français voient également leurs assauts brisés par un remarquable aménagement du terrain allemand (barbelés, treillages, tranchées, mitrailleuses,...). Il fallut donc improviser pour palier le manque d'équipements adaptés comme les "Minen Werfer" adverses aux caractéristiques rappelant la guerre de siège. Une nouvelle doctrine se met en place avec le développement des grenades à main, des fusils mitrailleurs (l'auteur énonce sa rencontre avec l'ingénieur Chauchat). Le commandement tente également d'homogénéiser les unités aux expériences diverses du fait de leurs actions de feu, de leur qualité et de leur place sur le front : "il y avait, en réalité, à cette époque (1915), deux catégories de corps d'armée et de divisions : les Gladiateurs que l'on utilisait dans toutes les grandes attaques (1er corps, 20ème, coloniaux, division marocaine, etc,...) et les autres." C'est le général Pétain qui y mit fin en 1917.
L'officier explique ensuite la problématique des "fronts exotiques" come en Orient et leurs échecs dus principalement au manque de coordination au sein de la Coalition alliée, à Salonique, dans les Dardanelles ou en Serbie. C'est d'ailleurs sur ces théâtres d'opérations qu'Alexandre s'illustrera.
Au bilan, cette ouvrage permet de nous donner un autre point de vue sur le début du premier conflit mondial, en particulier sa préparation. ces enseignements mettent en perspective des invariants des relations politico-militaires, c'est-à-dire la gestion des finances publiques, l'équilibre administration-opérations. On note aussi la sensibilité des choix doctrinaux, celle de la formation des cadres et de l'entraînement et ce, sans compter la nécessité de concilier développement technique et force morale. Enfin, ce témoignage permet de compléter l'appréciation des grands chefs militaires de l'époque et leurs décisions dont on sait aujourd'hui qu'elles ont parfois eu des conséquences tragiques.
 
Source image : Wikipédia.

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