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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 4 juin 2016

Faire la guerre autrement demain : illusion ou prospective ?

Dans les armées occidentales comme chez certains spécialistes de la polémologie, des réflexions sont aujourd'hui menées pour répondre aux évolutions de la tactique dans la décennie à venir. En effet, la robotisation, l'infovalorisation, la notion de "soldat augmenté", les nouveaux équipements, les évolutions capacitaires sur terre, dans les airs et sur mer paraissent ouvrir de nouvelles perspectives pour faire la guerre autrement et vaincre les adversaires potentiels de demain. Pourtant, ces progrès techniques peuvent-ils vraiment se substituer à la tactique et surtout aux principes de la guerre, à leurs corollaires et à leurs procédés. Sont-ils des  multiplicateurs opérationnels, sorte de boîte à outils, ou se suffisent-ils à eux-mêmes ? Enfin, pourront-ils être efficaces face aux nouvelles formes d'ennemi ?
Une rapide étude semble démontrer qu'il ne faut pas compter sur la supériorité technologique pour remporter la victoire mais qu'il est impératif de confronter les modes d'action envisagés avec les fondements de l'art de la guerre.


Quel ennemi demain ?
Il est indispensable de réfléchir aux défis opérationnels à venir comme aux types d'engagement possibles. Si l'ennemi asymétrique semble aujourd'hui s'imposer, on voit de plus en plus émerger des formes de guerres hybrides avec les crises ukrainienne et syrienne et ce, sans compter les exemples libanais (Hezbollah), irakiens, libyens ou yéménites. En outre, les combattants irréguliers sont actuellement la norme en opérations avec des actions basées sur l'embuscade, le harcèlement, les explosifs improvisés, le terrorisme ainsi que les frappes indirectes. Les capacités engagées par les armées occidentales et leurs modes d'action se sont donc progressivement mis au diapason de cet adversaire avec, sur le plan tactique, de réels succès, en Afghanistan, en Irak, au Mali ou plus récemment en Centre-Afrique. Mais, pour paraphraser l'ancien chef d'état-major de l'armée de Terre, le général Irastorza, il ne s'agit pas uniquement de se préparer à une guerre du moment mais à la guerre au sens large, dans toutes ses acceptions. En effet, des auteurs comme Corentin Brustlein et Etienne de Durand soulignent la prochaine montée en puissance  d'armées  capables de s'opposer aux forces occidentales grâce à l'acquisition de matériels modernes en grand nombre et à  la mise en œuvre, par exemple,  de stratégies AA/AA (Anti Access/Air Denial). Ces dernières s'appuient sur des systèmes sol-air performants, des forces spéciales, de vraies capacités de dissimulation voire de déception (guerre électronique en particulier), des missiles antinavires ou balistiques mais surtout des unités conventionnelles équipées de systèmes d'armes récents (sans être de 6ème génération), moins onéreux et donc acquis en plus grande nombre. Dans ce cadre, le choix du qualitatif sur le quantitatif privilégié par des armées occidentales pourrait atteindre ses limites sur le champ tactique. 
La technologie au service de la tactique
De nombreuses forces armées développent aujourd'hui des équipements associant les dernières innovations informationnelles et technologiques en passant par la plus-value d'une meilleure mobilité, d'une protection accrue et d'une interopérabilité avec les vecteurs aériens ou liés à l'aérocombat. La précision, la portée des pièces d'artillerie, des missiles et même des chars de combat, sans compter l'optronique ou les capacités d'acquisition (drones, radars, ...) donnent, ou donneront, aux unités de vrais atouts face à leurs adversaires, mais aussi au commandement, lui permettant d'ailleurs de décider plus vite.
Il est vrai que le temps, ce que j'avais appelé dans un article précédent le concept particulier de "la chrono tactique" ( http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/2011/11/facteur-temps-peut-on-parler-de-chrono.html) prend un rôle encore accru. En fait, il semble bien qu’aujourd’hui, plus qu’hier encore, le facteur temps ne soit plus un simple outil de l’élaboration des ordres ou de la planification mais un principe tactique à part entière. En effet, si de nombreux exemples historiques montrent l’importance du temps pour s’assurer de la victoire, les progrès technologiques et l’évolution des adversaires potentiels imposent à la manœuvre d’être pensée et conduite dans un cycle temps rénové. Dans ce cadre, les nouveaux SIOC (systèmes d'information opérationnels de commandement), le suivi en temps réel ("Blue Force Tracking"), les transmissions de données, la cartographie numérique ou encore les logiciels d'aide à la décision s'inscrivent dans cette volonté de prendre l'initiative sur l'ennemi en accélérant le tempo des opérations tout en fragilisant son propre processus de prise de décision.
De même, le renseignement, comme le ciblage, exigent des moyens techniques performants pour dissiper le brouillard de la guerre puis frapper, avec précision, les cibles à haute valeur militaire et ce, sans prendre le risque de faire des dommages collatéraux. La manœuvre, cette combinaison du mouvement et du feu, s'en voit largement facilitée, les informations circulant plus vite, ce qui permet de s'affranchir de certaines contraintes du milieu et de favoriser la subsidiarité de tous les échelons de commandement. Aussi, la tactique de demain doit pouvoir s'appuyer sur cette infovalorisation,  notamment pour faire face à une force adverse bien structurée et mettant à profit le nombre pour tenir ou conquérir des objectifs.
 Le combat tournoyant souhaité par de nombreux militaires à l'image des combattants parthes de l'Antiquité ou du "combat en essaims" des hordes mongoles pourrait alors devenir réalité, en particulier sur les arrières d'un ennemi qui ne pourra plus s'affranchir d'une logistique et d'un C2 (Command and Control) conséquents. Mais il y a aussi un risque d'écrasement des niveaux, les chefs stratégiques ou opératifs cherchant à s'immiscer jusqu'aux pions tactiques les plus petits.
Revenir aux fondamentaux
Afin d'éviter cette dérive mais aussi la prétention de considérer que la supériorité technologique donne irrémédiablement l'avantage, penser la guerre de demain doit intégrer ces extraordinaires outils mais sans jamais négliger les grands principes de la guerre et ses procédés. 
Ainsi, la prise de risque doit-elle être mesurée à l'aune d'une étude fine du terrain, de l'ennemi (centre de gravité, points décisifs), du milieu en général (population, climat, infrastructures) et des vulnérabilités consenties de notre propre dispositif (contraintes, impératifs, élongations, ...).
La liberté d'action ne repose pas seulement sur les systèmes de commandement, la mobilité de tel ou tel matériel et engin high tech, voire sur la portée des armes mais sur la sûreté (flanc garde, couverture, dissimulation, protection de la Force), sur la prévision et l'anticipation (collecte du renseignement, planification, cas non conformes), et sur la prise d'ascendant (initiative, saisie d'opportunité, ciblage tactique, acquisition des objectifs, réserve engagée au bon moment).
La liberté d'action est également synonyme de faculté d'adaptation pour travailler en dégradé car certains belligérants pourraient  annuler la supériorité technique par du brouillage, des attaques cyber ou l'emploi du NRBC.
La concentration des efforts devra combiner toutes les fonctions opérationnelles autour d'une action interarmes ou combinée (interarmées) complexe sans privilégier, par exemple, les armes de mêlée sur celles d'appui, comme trop souvent aujourd'hui sur les théâtres d'opérations contemporains. La logistique et l'appui mouvement ne doivent pas non plus être négligés, y compris, et en particulier, avec des vecteurs de combat de plus en plus sophistiqués. Plus que jamais, le soutien doit pouvoir suivre et être protégé.
Enfin, le principe d'économie des moyens doit faire l'objet d'une attention particulière, à l'heure où certains équipements ultra-modernes sont échantillonnaires et où il sera difficile de remplacer des véhicules (et même des équipages) neutralisés (du fait de leur coût et du haut niveau de formation des servants). Enfin, la modernité ne doit pas nous affranchir de rechercher la surprise, la réversibilité et la modularité.
Pour conclure, afin de penser la guerre de demain et  pour exploiter au maximum les atouts technologiques dont nous disposerons à court terme, l'imagination tactique, la prospective et l'innovation opérationnelle doivent considérer les nouveaux outils comme des multiplicateurs d'efficacité et de manœuvre et non pas comme des solutions à part entière. La question de la masse critique et du nombre doit être posée à nouveau. En effet, la "technolâtrie"  décriée par certains ne permettra pas de vaincre les ennemis de la décennie à venir aux formes changeantes et aux capacités de combat conventionnelles renouvelées comme pléthoriques.

1 commentaire:

  1. Il s'agit de différencier la guerre de la bataille. Tout ce dont vous avez parler, fort justement d'ailleurs, se rapporte à la bataille, c'est-à-dire l'aspect technique de la guerre. La guerre, encore et toujours, reste le moyen d'atteindre un but politique. Or ces dernières années, ce n'est pas tant la conduite de la bataille qui a pêché mais bien la conduite d'une politique utilisant la guerre comme vecteur. Dans le cas syrien, techniquement, nous faisons le boulot. Mais quel est le dessein politique? Répondre à cette question, c'est déjà dessiner la guerre de demain.

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