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samedi 26 novembre 2016

Conflit russo-ukrainien ou le retour de l’artillerie.


A l’heure ou l’armée française déploie des canons ou mortiers sur de nombreux théâtres d’opérations, et alors que l’on a commémoré, l’année dernière, le 20ème anniversaire de l’engagement des canons AUF1 français du 40ème RA sur le Mont Igman pour mettre fin au siège de Sarajevo,  les combats dans le Donbass (2014-2015) mettent en lumière de nombreux enseignements opérationnels. En effet,  les « séparatistes russes » ont fait preuve d’une grande efficacité dans l’emploi de capacités blindés et surtout artillerie pour prendre l’ascendant sur les forces ukrainiennes.
Ces engagements de haute intensité se sont concentrés entre mai 2014 au moment de l’offensive lancée par Kiev pour rétablir la souveraineté de ce territoire à l’est de l’Ukraine suivi d’une contre-attaque russe à l’été et ce, jusqu'en septembre 2015, date à laquelle un statu quo s’est mis en place.

Au début du conflit, l’armée ukrainienne dispose de 150 000 hommes soutenus par 97 000 paramilitaires, d’environ 300 chars (T64, T80 et T84), de 1000 véhicules de combat d’infanterie hétérogènes (BMP et BTR) et d’une artillerie importante mais déclassée. Les troupes de la « Nouvelle Russie » peuvent compter sur 17 à 30 000 combattants renforcés de « volontaires russes » équipés de matériels volés à l’Ukraine mais renforcés d’armement russe, en particulier d’une artillerie modernisée.
En mars 2014, la population russe du Donbass se soulève et s’empare des points clefs de la province, en particulier des agglomérations de Lougansk, Donetsk et Mariupol. En mai, 30 000 soldats ukrainiens tentent de contre-attaquer sur un espace de 200 sur 500 km, les forces conventionnelles russes soutenant les « rebelles » à partir de leur territoire. Entre mai et juillet 2014, les combats sont violents aux abords des localités et Kiev semble progressivement reprendre l’avantage. Après avoir reçu de nombreux équipements de Moscou, les « séparatistes » lancent une offensive et surpassent les Ukrainiens notamment grâce à un emploi massif de l’artillerie. Celle-ci va effectivement permettre de faire la différence alors même que les deux belligérants appliquent globalement la même doctrine interarmes. L’armée de l’air comme les hélicoptères seront très peu utilisés sur la ligne des contacts comme sur les arrières, au bénéfice de drones moins vulnérables. En effet, les deux parties ont saturé l’espace de manœuvre de défense sol-air mettant en pratique le concept d’« Air denial » souvent négligé par les armées occidentales (voir notre article http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/2012/01/les-strategies-anti-acces-nouvelle.html). Les drones permettent, en particulier pour les Russes, de renseigner dans la profondeur, d’observer voire de régler les tirs indirects, d’évaluer les dégâts sur l’adversaire et enfin de participer à la sauvegarde des unités au contact. Certains de ces engins comme le ENIKS T90-11 (autonomie 20 minutes) sont même envoyés à de longue distance (90km) par des roquettes tirées par des LRM de type BM30. Au sol, les chars russes T90A surclassent les blindés ukrainiens grâce aux optroniques et à la conduite de tir. Leur système d’autoprotection SHTORA  et leur blindage permet également de rendre inefficaces bon nombre de missiles anti-char notamment ceux dotés de monocharges.


En matière d’artillerie, on observe cinq tendances majeures :
1-le retour de l’utilisation massive des lance-roquettes multiples  avec des effets améliorés associant éclat et souffle. Les munitions d’artillerie thermobariques  (TOS 1) et anti-char sont également largement employées ;
2-le retour des radars de contre-batterie et l’apparition d’équipements de type C-RAM ;
3-la remise au goût du jour de l’artillerie d’assaut  avec un binômage canon 2S1 et T90 pour des tirs directs et/ou anti-chars jusqu’à 6 km;
4-la décentralisation des feux au niveau du bataillon et une dispersion des pièces notamment pour se protéger des feux de contre-batterie.
5-une augmentation des portées.
Sur cette campagne, l’artillerie a fait de lourds bilans allant jusqu’à neutraliser, en quelques minutes, un bataillon mécanisé en attaque. Les appuis feux indirects représentent 15% du volume de matériels engagés. Les canons et LRM, avec jusqu’à 300-400 coups par pièces et par jour au plus fort des combats (ce qui n’a pas été sans conséquences logistiques lourdes). De la même façon, ils ont infligé  85% des pertes humaines (9000 tués et 21 000 blessés).

Face à cette menace artillerie, certains fondamentaux, comme la recherche de la plus faible concentration possible, le camouflage, la déception mais aussi la volonté d’acquérir la supériorité des feux, ont été retrouvés. Le cycle décisionnel (observation-orientation-décision-action-évaluation), le choix du meilleur effet, la chaîne d’emploi des feux se sont vus réappropriés par les deux adversaires. Ce conflit démontre également la nécessité de disposer de capacités terrestres puissantes capables d’être engagées en haute intensité face à un adversaire symétrique et disposant de puissants appuis feux sol-sol comme d’une protection surface-air quasi étanche. La problématique du nombre de munitions (dimension des stocks) et du flux logistique pour les amener jusqu'aux unités, souvent ignoré face à un adversaire asymétrique, demeure une préoccupation pour des armées qui sont souvent à flux tendu, pour des raisons financières, dans ce domaine. L’emploi généralisé des drones doit aussi être pris en compte, en particulier quand ils sont couplés avec des  pièces aux portées importantes comme avec des munitions de plus en plus précises. La déconfliction est bien du ressort des artilleurs seuls à même de répartir dans le temps et dans l’espace, au profit de l’interarmes tous les intervenants dans la 3ème dimension.
Pour conclure, l’artillerie a donc démontré une fois de plus qu’elle peut contribuer de manière majeure aux trois principes de la guerre que sont la liberté d’action, la concentration des efforts et l’économie des forces.
On peut maintenant s'interroger sur l'analyse de la "Potomac Foundation" qui a largement étudié ce conflit et qui considère que "la modernisation des munitions d'artillerie, des moyens d'acquisition et de contre-batterie, l'utilisation massive des roquettes par les Russes réduit la supériorité présumée de l'artillerie des pays de l'OTAN".  

Source image : http://cyborgs.uatoday.tv/fr.htm et Le Monde diplomatique

3 commentaires:

  1. M. Jordan, Je vous remercie pour un reportage qui me semble être plus objectif et moins sensationnaliste (en fait pas du tout sensationnaliste) que la plupart des reportages qu'on lit dans les medias Anglo-Américains/NATO/EU. Intéressant et informatif.

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  2. Merci bien pour votre commentaire et pour votre intérêt pour mon blog. Cordialement

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  3. Merci pour votre analyse qui démontre de façon très intéressante le rôle toujours déterminant de l'artillerie dans les conflits actuels. -2aj

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