Alors que la France , dans le cadre de la « décristallisation des pensions »[1], a renoué avec son passé militaire colonial pour rendre hommage à ces combattants venus d’Afrique ou d’Indochine pour servir la France au XIXème ou au XXème siècle sur de nombreux théâtres d’opérations, le Royaume-Uni est aujourd’hui confronté au mécontentement de ses Gurkhas népalais. Ces derniers ont en effet attaqué l’Etat britannique devant la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) pour réclamer le même traitement que les autres soldats de sa Majesté tant en termes de rémunération que de pensions de retraite. Cette action juridique nous donne ainsi l’opportunité de revenir sur ces combattants venus d’Asie afin de mieux connaître leurs spécificités mais aussi, pour évoquer leurs engagements dans l’histoire militaire de leur pays d'adoption.
Les Gurkhas d’hier et d’aujourd’hui …
Ces Népalais ont d’abord combattu, de 1814 à 1816, les soldats anglais venus soutenir l’action commerciale de la « Compagnie des Indes orientales » avant d’être vaincus à la bataille de Makwanpur. A cette époque, ils ont déjà la réputation d’être des guerriers valeureux et leur couteau traditionnel courbe (le Kukri) est craint par leurs adversaires. Ils sont alors recrutés par la « Compagnie des Indes » comme mercenaires jusqu’à devenir une composante de l’armée britannique en 1857 pendant la révolte des Cipayes[2]. Ils seront bien sûr engagés dans les combats des deux guerres mondiales mais aussi dans les conflits de la décolonisation.
En 1947, avec l’indépendance de l’Inde, 6 régiments rejoignent l’armée du Royaume-Uni et 4 autres sont intégrés dans les forces militaires indiennes. C’est dans ce cadre, qu’après les « accords tripartites », il est décidé que les Gurkhas, quelle que soit leur unité, seront payés selon les barèmes indiens, bien inférieurs aux standards occidentaux. Certes ces conditions sont réévaluées en 1997 (Terms of Conditions of Service, TACOS) lors de la rétrocession de Hong Kong à la Chine (et le rapatriement d’unités en Angleterre) mais cette procédure n’est effective que pour les soldats ayant servi à compter de cette date, les vétérans en étant exclus. Néanmoins, aujourd’hui, près de 14 000 jeunes népalais tentent, chaque année, les très difficiles tests de sélections pour être recrutés dans les Gurkhas britanniques et faire partie des 200 à 300 élus (230 rejoignent l’armée et 70 la police de Singapour). Il s’agit en effet pour eux de franchir les étapes et les épreuves que sont, les critères d’admissibilité (taille de 1,60 m et poids de 50 kg minimum), l’examen médical, le contrôle des connaissances générales et de la langue anglaise et enfin, la « Doko Race » (une course de 1h00 sur 5 km avec un dénivelé de 1 000 mètres et 25 kg de pierre et de sable à porter dans un panier fixé au front et aux épaules).
Actuellement, si l’armée indienne compte encore 7 régiments de Gurkhas (appelés en Inde Gorkhas), le Royaume-Uni ne conserve que 3 500 soldats, soit deux bataillons d’infanterie, deux compagnies de génie, deux compagnies de transmissions et trois escadrons logistiques ainsi que quelques unités particulières (comme la compagnie de manœuvre de l’école de Sandhurst qui forme les officiers britanniques) sans oublier, la police de Singapour et les forces du Sultanat de Brunei. Depuis 2005, l’égalité des salaires a été établie dans l’armée britannique pour les Gurkhas et les vétérans (engagés après 1997) qui peuvent, depuis 2004 demander la citoyenneté britannique.
Les Gurkhas au combat …
Réputés pour leur loyauté et leur courage, leur devise « plutôt mort que vivre en lâche ! » garde tout son sens et a guidé près de 250 000 népalais qui ont servi dans l’armée britannique depuis 1857. C’est ainsi que 45 000 Gurkhas sont morts lors des deux conflits mondiaux et que 13 d’entre eux ont reçu la « Victoria Cross », la plus haute décoration du royaume d’outre-manche.
Depuis leur création, les unités de Gurkhas se battent sur tous les fronts, à Malte pour protéger les intérêts de la Couronne pendant la guerre russo-turque de 1877-78, en Malaisie, en Chine (au cours de la révolte des Boxers de 1900) avant d’être engagés, de 1914 à 1918, dans les terribles combats en France, au Proche et au Moyen-Orient (face aux Turcs à Gallipoli et au côté de Lawrence d’Arabie).
Après guerre, ils sont envoyés dans les expéditions afghanes de 1919 ou dans les affrontements face aux tribus du Waziristân (Pakistan actuel). Pendant la deuxième guerre mondiale, les 40 bataillons de Gurkhas s’illustrent en Afrique du Nord (au sein de la 8ème armée du maréchal Montgomery d’El Alamein à la ligne Mareth) ainsi qu’en Italie contre les Allemands mais surtout face aux Japonais en Birmanie. Là-bas, ils constituent notamment le noyau de la brigade « Chindits », cette unité spéciale aéroportée chargée d’opérer sur les arrières ennemis en autonomie complète et dans des milieux difficiles[3], commandos rendus célèbres par leurs chapeaux de feutre réputés et hérités des Gurkhas depuis le XXème siècle (utilisés pour les défilés en tenue d’apparat aujourd’hui).
Dans les années 1960, ils participent aux opérations de contre-insurrection comme lors de la guerre d’indépendance indonésienne de 1963 avant de voir leur format considérablement réduit. Cela ne les empêche pas de combattre aux Malouines en 1982 où 2 compagnies argentines préféreront se rendre, effrayées par la perspective d’affronter les couteaux des Gurkhas. On les retrouve ensuite sur tous les théâtres, de la guerre du Golfe à l’Afghanistan (province du Helmand) en passant par le Kosovo, la Sierra Leone et l’Irak où leur professionnalisme est salué et où de nombreux soldats sont décorés, blessés ou tués. Leurs homologues indiens, quant à eux, sont près de 40 000 actuellement et sont déployés dans de nombreuses missions de l’ONU ou se sont illustrés contre les troupes pakistanaises lors de la guerre du Kargil en 1999 sur un champ de bataille en montagne à près de 3 000 mètres d’altitude.
Pour conclure, ces étrangers qui se battent pour la Grande Bretagne (ou pour l’Inde) ont démontré, depuis le début du XIXème siècle, leurs qualités guerrières, leur loyalisme et leur sens du dévouement. Ils méritent donc d’être évoqués autrement que par le contentieux qui oppose leurs anciens combattants à l’Etat britannique ces dernières années. Face à des adversaires conventionnels comme à des combattants irréguliers, sur le sol européen dans la fournaise des tranchées, dans les forêts humides d’Asie du sud-est, dans les déserts libyens ou face aux combattants talibans, ces soldats népalais perpétuent la tradition de leurs aînés et demeurent une force d’élite symbolisée par leur devise et leur arme traditionnelle. Ils ont écrit, et écrivent encore, comme d’autres combattants venus des anciennes colonies, l’histoire militaire et les grands faits d’armes passés, actuels et futurs.
Frédéric JORDAN
Sources images: Wikipedia, Royal Military police association, Planet Property blog.
[1]L’article 211 de la loi n° 2010-1657 de finances pour 2011 adoptée par le Parlement le 29 décembre 2010 transpose dans notre législation l’engagement pris par le Chef de l’Etat le 13 juillet 2010 de procéder à la décristallisation complète, avec effet au 1er janvier 2011, des pensions civiles et militaires de retraite, des pensions militaires d’invalidité et de la retraite du combattant servies aux ressortissants de l’Union française, de l’ancienne Communauté française ou de pays ayant été placés sous le protectorat ou la tutelle de la France , conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2010 .
[2] Première guerre d’indépendance indienne ayant avec la mutinerie des unités cipaye de l’armée du Bengale, le siège de Delhi par les Britanniques et la répression violent qui s’en suivit.
[3] A l’instar de l’opération « Longcloth » en 1943, en Birmanie, où 3000 Chindits du général Wingate semèrent le chaos sur les arrières nipponnes pendant trois mois sur près de 1600 km de marche dans la jungle et ce, malgré des pertes très lourdes.
Bonjour, comment peut-on vous joindre ou vous écrire en MP s'il vous plaît? Il s'agit d'une requête journalistique.Par avance merci.
RépondreSupprimerBonjour, merci de votre intérêt pour le blog. Vous pouvez me joindre par mail: fredericjordan@hotmail.fr.
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