En février 2012 a eu lieu un colloque « des mathématiciens et des guerres : histoires et confrontations » dont le thème m’a interpellé tant je considère la conduite de la guerre, ou ses avatars (la stratégie, la pensée opérative et la tactique), comme un art porté par la connaissance de l’histoire militaire qui, comme le disait le colonel Suire « permet d’apprendre à sentir et penser en soldat, tout en dominant la variété des techniques et la rigidité des règlements ».
L’instinct du chef, sa faculté à prendre des risques, à saisir les opportunités, à pressentir la réaction ennemie, à initier le génie qui surprendra l’adversaire sont les instruments de cette figure artistique qui, selon les mots du général Yakovleff, donne une certaine beauté aux batailles et aux manœuvres des grands capitaines.
Autant de raisons donc pour réfuter la vision scientifique voire géométrique de la guerre défendue par Jomini (et même Napoléon, nous le verrons) ou, plus récemment, par des officiers américains comme Warden (avec sa construction circulaire du ciblage), mais aussi l’amiral Henry Eccles dont la « military economics » rationalise la logistique opérationnelle.
Ainsi, en lisant le compte-rendu de ce séminaire dédié aux mathématiciens et à la conflictualité, j’ai pressenti que mon jugement, en première approche, était quelque peu contestable. En effet, la guerre est et reste aussi, malgré tout, une science. En effet, les modes d’action sont souvent inspirés par une réflexion tactique qui suit un canevas prédéfini, un raisonnement structuré tout comme une planification rigoureuse faite de lignes d’opération, de points décisifs et même de centres de gravité.
Aussi, je me suis replongé dans quelques ouvrages et conflits pour y retrouver quelques pistes de réflexion sur ce sujet et initier le débat et des articles à venir.
Dès lors, dans le livre de Bruno Colson « Napoléon, de la guerre », l’auteur cite les mémoires de Las Cases, témoin des paroles de l’Empereur déclarant que « la science militaire consiste à bien calculer toutes les chances d’abord, et ensuite à faire exactement, presque mathématiquement, la part du hasard » ou encore que, « à la guerre rien ne s’obtient que par calcul ». Il faut également évoquer Alexandre le Grand qui triomphera des Perses à la bataille de Gaugaméles grâce à son « axe oblique » tout comme Frédéric II de Prusse plusieurs siècles plus tard. Avant les combats de 1914 des scientifiques puis politiciens comme Paul Painlevé apportent leur contribution au développement de l’aviation, arme nouvelle aux contraintes techniques importantes pour l’époque.
Comment ensuite ne pas parler des mathématiciens anglo-saxons de la seconde guerre mondiale qui cherchent à modéliser des scénarios de guerre au sein de l’« Air Warfare Analytic Section » de 1940 ou de l’« Applied Mathematics Panel » en 1942. Dans le même ordre d’idées, des savants allemands mettent au point la machine « Enigma » et son cryptage remarquable dont le déchiffrement ne sera possible que grâce aux travaux du Britannique Alan Türing et son ordinateur « Colossus ». Cette prouesse technique permettra incontestablement aux Alliés d’écouter les messages nazis pour gagner la bataille de l’Atlantique et prévenir les contre-attaques planifiées par Berlin en 1944 (offensive de Mortain, opération Lüttich par exemple).
Enfin, plus récemment, les Américains renoueront avec les mathématiques et à l’apport de la technologie en transformant leurs forces armées dans ce que l’on a appelé la révolution dans les affaires militaires avec, d’ailleurs, plus ou moins de bonheur.
En conclusion, cette réflexion cherchait uniquement à renouer avec le débat sur la guerre en tant qu’art ou science et ce, afin de comprendre l’apport, l’interaction, la place de ces deux acceptions dans l’évolution de la polémologie d’hier et d’aujourd’hui. En attendant vos réflexions et vos contributions, je préciserai ma pensée dans les jours à venir.
Source image : site histoire@politique
Bonjour,
RépondreSupprimerPermettez-moi d’apporter ma contribution sur cette réflexion sur « La guerre, science ou art ? », en explorant un peu ce que Sun Tzu en pensait il y a 2500 ans.
Pour le stratège chinois, la science est manifestement un art. Le général doit sans cesse recréer sa solution pour chaque nouvelle bataille : « Un général ne cherche pas à rééditer ses exploits, mais s'emploie à répondre par son dispositif à l'infinie variété des circonstances ».
Il y a en outre une part de génie, non-
transmissible : « Tels sont les stratagèmes qui apportent la victoire et qui ne peuvent s'apprendre ».
Mais a contrario, Sun Tzu entend également livrer une méthode pour gagner les guerres. Toutes ses recommandations relèvent de la mécanique : « Lorsque l’ennemi se concentre, défendez-vous », etc.
De même, le processus de planification est parfaitement rationnel et rejette tout aspect superstitieux : « La victoire est certaine quand les supputations élaborées dans le temple ancestral avant l'ouverture des hostilités donnent un avantage dans la plupart des domaines ; […] C'est par ces considérations qu'il m'est possible de prévoir à coup sûr l'issue du combat. » (note : la référence au temple ne sert pas ici pour évoquer la religion mais est le lieu du conseil de guerre).
L’évocation des « calculs » auxquels le général doit se livrer est d’ailleurs récurrente pour déterminer si une bataille peut être engagée ou pas. Le général doit ainsi se poser une série de questions pour déterminer précisément le rapport de forces et pour en déduire le type de combat à entreprendre. « Le général qui se fie à mes calculs sera nécessairement victorieux : il faut se l'attacher ; le général qui se refuse à les entendre sera régulièrement défait : il faut s'en séparer ! »
En conclusion, pour Sun Tzu, la guerre est bien un art, « qui ne peut s’apprendre », mais aussi une science, faite de calculs et d’actions à entreprendre dans des cas bien identifiés. Nous retrouvons là toute la dichotomie d’un traité dont le titre semble pourtant prendre parti : L’art de la guerre. Art certes, mais qui porte aussi une part de science. Peut-être l’expression « L’artisanat de la guerre » conviendrait-elle mieux, en ce qu’elle sous-tend à la fois une part de création artistique mais également une parfaite maîtrise de sa discipline. Toutefois, le mot « artisanat » peut également revêtir la notion d’amateurisme. L’emploi de ce terme n’est donc pas idéal.
De toute la difficulté à définir ce qu’est la guerre...
Merci ce sujet à été une merveilleuse façon de nous guider dans notre tpe ! Si vous pouvais nous accorder un peu de temps pour répondre à nos question nous cela serait très enrichissant ! Merci d’avance
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