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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

lundi 22 septembre 2014

De la résilience tactique ou comment dépasser la surprise sur le champ de bataille. (2/2)


Nous achevons notre article sur la résilience tactique, son influence sur l'histoire militaire et les moyens de la développer aujourd'hui.

Les systèmes théoriques et empiriques proposés par l’histoire militaire ou les penseurs.

Face à cette incertitude déstabilisatrice, plusieurs écoles ont émergé et l’histoire apporte son lot de solutions pragmatiques. Que l’on pense à Scipion l’Africain, qui assimile l’approche indirecte d’Hannibal pour porter à son tour le combat en terre carthaginoise avant de remporter une victoire à Zama, qu’on revienne sur l’armée romaine adaptant ses modes d’action aux invasion barbares en développant cavalerie et archers, ou que l’on cite les forces alliées qui mécanisent leurs unités pour s’opposer aux troupes allemandes, le temps demeure clé dans la résilience tactique. La force morale, issue d’une éducation militaire préalable de la population ou d’un « dressage » guerrier peut aussi permettre de réagir après avoir été surpris. C’est le cas par exemple de l’armée soviétique en 1941 qui reprend l’initiative devant Moscou (voir l’ouvrage du général Guillaume « Pourquoi l’URSS a vaincu ») ou des soldats français de 1914, pétris du culte de l’offensive, et qui reprennent l’ascendant dans la Marne. Au-delà de cette faculté d’adaptation, de cette flexibilité, les penseurs de la guerre ont, de tous temps, réfléchi à cette problématique.

 
Pour Clausewitz, la solution passe par une planification détaillée appuyée par deux facteurs, la masse des troupes (concentration des efforts par le nombre pour vaincre rapidement et saturer l’adversaire) et le génie du chef qui saisira l’instant critique et la manœuvre décisive. D’autres, comme Von Moltke considèrent que l’on se préserve de la surprise par une décentralisation du commandement et le développement de l’initiative chez les subordonnés. A la fin du XXème siècle, les penseurs militaires mettent également en avant l’importance du renseignement, en amont comme en conduite, ainsi que celle de la prospective afin de répondre à la question : que sera le champ de bataille de demain ? Israéliens comme américains vont notamment, dans les années 1990, au travers de ce que l’on a appelé la RMA (révolution dans les affaires militaires) osciller entre la doctrine « response to gaps » (comprendre et maîtriser la physionomie de la menace) et « relative advantages » (disposer de la supériorité technique dans les secteurs clés comme le combat aéroterrestre, les blindés,…). Mais cette solution a montré ses limites au regard des difficultés israéliennes face au Hezbollah libanais ou de l’intervention américaine en Irak.

De la même façon, la force industrielle d’un Etat ou l’ingéniosité macabre d’un groupe asymétrique  peut permettre à des unités de combat de trouver, dans la technologie, le moyen de reprendre le dessus ou de trouver une parade à un nouvel équipement. Ceci s’illustre par exemple avec la mise en place des radars par les Anglais lors de la bataille d’Angleterre, des fusils antichars en 1917 ou encore des engins explosifs improvisés sur des théâtres comme l’Afghanistan, l’Irak ou le Liban.

Malheureusement, le conservatisme de certains milieux militaires, les rivalités au sein des organisations de commandement, les difficultés économiques, voire l’incapacité des sociétés à prendre en compte les évolutions de la guerre ou de la menace, demeurent des freins à la résilience (l’immobilisme de l’armée française de l’entre-deux guerres demeure à cet égard pertinent).


Changer les modes de pensée pour aiguiser la résilience.

Aujourd’hui encore, les armées occidentales paraissent prévisibles pour les ennemis potentiels du fait de leur doctrine bâtie, bien souvent, au contact de situations particulières ou d’expériences opérationnelles. L’anticipation reste à un niveau général, éventuellement stratégique, alors que les conflits évoluent très vite sur le terrain et sont évoquées par les théoriciens sur le thème des guerres hybrides.

Alors que les forces engagées obtiennent de beaux succès sur les théâtres d’opération (au moins dans la phase initiale d’intervention), une fois de plus, le temps semble jouer en faveur des combattants irréguliers, des Etats faillis ou des puissances militaires aux visées expansionnistes. Ainsi, sous une apparente ouverture d’esprit et une réflexion doctrinale quasi-permanente, un certain conservatisme et les rivalités entre fonctions opérationnelles ou armées paraissent figer la capacité à inventer de nouveaux modes d’action et donc, de développer la résilience. Cette dernière doit en effet permettre de dépasser la surprise initiale imposée par les innovations tactiques ou techniques des adversaires.

Pour cela, il semble aujourd’hui nécessaire de développer un art opératif et une manœuvre tactique plus décentralisés, de laisser au chef sur le terrain la capacité, à son niveau local, de bâtir la force dont il a besoin sans voir l’échelon politico-militaire lui imposer des contraintes financières ou des dogmes jugés imparables (pas de blindés face à un ennemi irrégulier mobile, omniprésence des forces spéciales dans la lutte anti-terroriste, recours exclusif à l’arme aérienne dans le ciblage, ….). L’étude de l’histoire militaire doit davantage être développée dans les écoles de formation (mais aussi dans les unités et états-majors y compris centraux) afin de mettre les futurs chefs face à des situations diversifiées avec des équipements, des effectifs et des armements différents de ceux qu’ils ont l’habitude d’utiliser dans leur méthode d’élaboration d’une décision opérationnelle. Il s’agit, de la même façon, de mettre sur pieds des exercices où les forces amies ont déjà subi une forte attrition, où des frictions sont intégrées au déroulement (météo, problèmes logistiques graves, C2 inopérant, pertes importantes, terrain inhabituel) et où le belligérant adverse prend, à son tour le contre-pied de sa doctrine (l’ennemi n’est plus générique).

Dès lors, face à la surprise, pour permettre d’agir sur la résilience, il faut disposer d’une palette de moyens et donc, il est impératif de rééquilibrer la répartition entre les capacités (mêlée, puissance de feu, logistique, appuis,…) tout en maintenant une redondance des moyens (ce qui est réalisé dans le domaine des SIC mais souvent ignoré pour d’autres fonctions) en maintenant une masse critique d’effectifs. Cette dernière est nécessaire afin de faire face à une confrontation dans la durée, à des pertes importantes et, dès lors, pour favoriser la réactivité comme la flexibilité d’une armée.

Enfin, la jeunesse des cadres, la promotion d’idées neuves et une certaine liberté d’expression sur les sujets doctrinaires doivent être développées alors que la tendance actuelle, en Europe particulièrement, est au vieillissement des élites militaires, à la promotion tardive et, in fine au maintien à des postes de responsabilités de cadres, certes expérimentés et même brillants, mais à la pensée militaire étriquée, construite sur des certitudes issues d’un background opérationnel riche mais inadapté à l’avenir.

Pour conclure, la vraie résilience reste la faculté de prendre l’initiative sur l’autre en le surprenant, en brouillant les cartes pour sa propre planification, en mettant en œuvre des tactiques fulgurantes, atypiques où le chef sur le terrain dispose (et peut exiger sans contrainte), sur une période clef, de la pleine autonomie et des équipements qu’il juge essentiels à sa manœuvre. Créons donc un nuage d’incertitude pour l’ennemi dans le but, sans plagier le maréchal De Lattre,  de « Ne plus subir ».

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