Alors que l’on prête souvent à l’armée américaine une faible appétence pour la prise en compte du facteur culturel en opérations, le corps des Marines a pourtant mis en place, depuis 2009, une cellule ad hoc pour ses états-majors de niveau opératif. Cette initiative s’inscrit dans la volonté d’être plus efficace dans la planification des opérations dans les phases de COIN[1] ou de stabilisation. Cette évolution a été précédée par une réflexion menée par des officiers des Marines ainsi que par des chercheurs, membres du corps enseignant de l’USMC Command and Staff College[2] de Quantico, débouchant sur la publication d’un ouvrage (« Operational Culture for the Warfighter » de B.A.Salmoni et P.Holmes-Eber) que nous vous proposons dans la rubrique « A lire… » de notre blog.
Ce travail démontre l’ampleur du retour d’expérience et des leçons tirés des interventions en Irak et en Afghanistan ainsi que la prise de conscience du rôle majeur de la population dans les conflits de ce début de XXIe siècle.
Aussi s’agira-t-il en quelques lignes de comprendre cette démarche opérationnelle ainsi que sa plus-value dans la conduite de l’action.
La « Green cell » : pourquoi et comment ?
La « Green cell » est un outil mis à la disposition du chef interarmes ou interarmées pour lui permettre de mieux comprendre l’environnement de l’engagement, les données du problème, le tout dans le respect des valeurs, croyances ou perceptions de la population locale. Elle doit permettre de concevoir le mode d’action qui aura l’effet le plus pertinent sur le milieu tout en atteignant les objectifs militaires assignés. Elle doit également prendre en compte l’effet de chaque action sur les acteurs économiques, sociaux, politiques, médiatiques, internationaux (ONG[3], OI[4], …) voire tribaux, qui se trouvent sur et autour du théâtre d’opérations.
Cette cellule doit donc modéliser l’environnement en s’intéressant à cinq domaines privilégiés et ce, en étroite collaboration avec les autres cellules de l’état-major (G2, Polad, G9[5],…). Ces cinq dimensions sont l’environnement physique, l’économie, la structure sociale, le système politique ainsi que les facteurs d’ordre religieux ou symboliques.
Pour ce faire, la « Green cell » doit se composer d’analystes spécialisés dans le renseignement culturel, d’officiers issus de la filière relations internationales, de responsables des opérations d’influence, de ressortissants de la population locale ainsi que d’experts civils (interagences) maîtrisant les problématiques de la région concernée. Ceci permet d’aborder la conception des engagements dans une approche globale des opérations.
La « Green cell » dans le processus de planification…
Forte de cette organisation, la « Green cell » participe pleinement aux travaux des groupes de planification. Dans un premier temps, elle bâtit un certain nombre d’outils permettant de livrer une bonne compréhension de l’environnement aux autres cellules tout en constituant une base de données fiable et claire du milieu. Elle élabore ainsi la matrice dite ASCOPE/PMESII (Areas, Structures, Capabilities, Organizations, People, Events / Political, Military, Economic, Social, Infrastructure, Information) représentée au travers de graphiques ou de schémas didactiques.
Dans un second temps, la cellule cherche à établir les rapports d’influence (religion, argent, tribus, histoire, culture), les sources de conflits (tensions ethniques, répression policière,…) et les interactions (liens familiaux, pressions militaires,…) entre chaque acteur ou structure pour déterminer les « key leaders[6] », les zones géographiques particulières, les ressources (financières, naturelles, industrielles, illégales,…) ainsi que le diagramme des liens sur lequel on pourra mesurer les effets des actions entreprises par la Force déployée.
Une telle vision holistique du milieu doit ainsi permettre d’orienter la définition des centres de gravité, les vulnérabilités des acteurs ainsi que les actions de recherche du renseignement à conduire pour clarifier l’état des lieux. De même, il revient à la « Green cell » de mettre l'accent sur les sources de résilience comme les « fenêtres d’opportunité » permettant à l’environnement d’améliorer sa situation initiale (fin des violences, relance de l’économie, retour à des conditions de vie acceptables,…).
En planification, l’effort majeur de la « Green cell » se situe ensuite dans l’élaboration du mode d’action choisi, cette participation se concrétisant par le partage, avec les autres cellules, des conclusions menées dans les phases précédentes, mais aussi par l’élaboration d’indicateurs évaluant la réaction du milieu à l’action militaire ou par la définition de scénarios possibles dans l’évolution de l’environnement. A cet effet, la cellule participe au « Wargaming » pour modéliser les conséquences des ordres donnés sur l’ensemble du système sociopolitique, économique et physique concerné. L’état-major peut ainsi choisir un mode d’action adapté en lien avec une perception espace/temps cohérente du théâtre des opérations.
Contrairement aux idées reçues, l’approche globale pour les opérations contemporaines se concrétisent bien, y compris dans l’armée américaine, par des solutions pragmatiques aux problématiques d’engagement au sein des populations ou dans des environnements physiques et humains complexes. Cette « Green cell » propose d’intégrer dans la planification des opérations, une vision réaliste et interactive du milieu au profit des actions militaires, dans le but d’atteindre au plus vite l’effet final recherché.
Frédéric Jordan
Avec une mise en place similaire au sein de la Task Force Lafayette lors du premier mandat du BG Tiger par le 27è BCA fin 2008/début 2009,si je ne m'abuse
RépondreSupprimerMerci pour cet article qui montre combien les réflexions sur l'intelligence culturelle du général de division Michael T Flynn, chef du renseignement US en Afghanistan, ne sont pas isolées mais entrent dans une réorientation stratégique plus globale.
RépondreSupprimerVoilà qui prolonge et complète les analyses en lien avec mon pseudo.