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mercredi 4 janvier 2012

De l’autre côté du miroir, la vision d’un insurgé : témoignage d’un officier du Vietminh en Indochine.


Toujours dans le cadre de notre série de posts sur les conflits asymétriques, comme promis, nous vous proposons une approche originale des problématiques insurrectionnelles. En effet, il est souvent difficile d’avoir le point de vue d’un insurgé ou un témoignage fiable et ce, compte tenu du risque de manipulation, de propagande ou de récupération politique voire religieuse. Néanmoins, une fois de plus, l’histoire militaire nous dévoile une part de réalité et une riche source de réflexion. Ainsi, ai-je eu la chance de me voir confier[1] un ouvrage peu connu, difficile à trouver aujourd’hui mais pourtant passionnant : « De la RC4 à la N4, la campagne des frontières » du colonel Dang Van Viêt[2].
Au-delà de ses références aux conflits indochinois, aux batailles autour de lieux célèbres comme Cao Bang, Langson, Dong Khê, et malgré un patriotisme idéologique ainsi qu’un anticolonialisme encore vivaces, l’auteur nous livre une perception de la guerre révolutionnaire, de l’insurrection, à travers les yeux d’un combattant irrégulier opposé à une armée française mieux équipée et bien entraînée.

Au fil de la lecture, on peut rapidement souligner les similitudes avec les opérations récentes menées par des corps expéditionnaires face à des groupes armés évoluant au sein des populations, maîtrisant parfaitement le milieu physique et conduisant une guerre de harcèlement. Dans ce manuscrit qui ne relate que la période allant de la défaite japonaise aux combats de la RC4 en 1950, on sent parfaitement que le temps, atout plutôt que contrainte, ne joue qu’en  la faveur d’un Vietminh se renforçant à chaque victoire comme à chaque revers (grâce à sa capacité d’auto-critique).
On y apprend que le protagoniste, Dang Van Viêt, loin dêtre un fanatique ou un paysan illétré, est issu d’une famille mandarinale, qu’il a fait des études de médecine en 1945 avant de rejoindre les communistes de Hô Chi Minh. Il explique que, malgré la faiblesse des structures de commandement révolutionnaires, ces dernières apprennent très vite à anticiper ou à décrypter les intentions de l’adversaire, à l’instar des préparatifs français pour l’opération Léa en 1947 dans le Viet Bac (Tonkin), région dans laquelle le général Salan cherche à frapper les responsables rebelles et les la logistique insurgée. Ayant perdu l’initiative, il devra ainsi renoncer à sa manœuvre d’encerclement face à un Vietminh qui anticipe ses mouvements.
Comme sur d’autres théâtres ou dans d’autres contextes, l’insurrection fait participer, de gré ou de force, la population à son action afin de détruire les ponts, d’endommager les routes ou de piéger les LZ[3] des parachutistes français. Les combattants, loin d’être des novices sont souvent aguerris après avoir lutté contre les Japonais et sont souvent guidés par des idéaux politiques ou un romantisme puisé dans les traditions locales ou l’héritage culturel.
Les insurgés, lucides face aux atouts et modes d’action de leurs ennemis, s’adaptent par la mise en place de groupes mobiles mais également par la concentration des efforts sur les voies de communication, véritables symboles ou cordon ombilical des forces conventionnelles. Conscients de leurs propres faiblesses, les Vietminh considèrent que « Nous n’avons pas été formés à la régulière militairement parlant, nous n’avons pas de connaissance particulière dans l’art de la guerre. Nous manquons même de fusils et de grenades ; quant aux engins de feu plus puissants, tels que mitrailleuses, mortiers, n’en parlons pas. (…). Il faut donc en tenir compte pour dresser notre plan d’opérations et déployer rationnellement nos forces ». Fort de ce constat, ils modifient leurs tactiques (dispositif dans la profondeur), font preuve de mobilité pour parer la puissance de feu des Français tout en considérant avec philosophie que « pour battre un ennemi plus fort que soi, il faut de l’intelligence et de l’audace ». C’est ainsi qu’ils dissimulent leurs mouvements aux reconnaissances aériennes des avions King Cobra afin d’éviter les tirs d’artillerie (actuellement on parle plutôt de drones) et perfectionnent leur potentiel de combat dans des camps d’entraînement (Cao Binh par exemple). Mais ils peuvent aussi conduire des actions extrêmes en acceptant de se sacrifier au contact de l’ennemi qui submerge leur position et ce, avec des « obus suicide ». En tout état de cause, ils obligent les troupes françaises à limiter leurs mouvements sur les axes ou à mettre en place des convois avec de lourdes escortes blindées vulnérables aux mines (les IED[4] de l’époque) qu’il faut détecter par des reconnaissances à pieds tout en s’emparant des points hauts pour éviter les embuscades.

Comme toute organisation irrégulière, une administration parallèle se met en place (à l’image des gouverneurs talibans en Afghanistan aujourd’hui) avec des commissaires politiques qui organisent les tâches pour les populations et recrutent les « soldats fantoches » dans les unités supplétives vietnamiennes (afin d’obtenir des renseignements).
Dans un autre registre, Dang Van Viêt décrit les rapports avec les communistes chinois voisins sur la frontière, région décrite comme une zone de non droit livrée aux brigands et pirates (sorte de zones tribales indochinoises si on osait la comparaison). Il explicite les échanges de matériels, d’hommes, d’informations et même les liens familiaux créés par des mariages entre Chinois et Vietnamiens.
Enfin, les insurgés portent un regard sévère sur leurs adversaires « conventionnels » incapables de s’adapter à la guerre irrégulière imposée par le Vietminh et expliquent ainsi que « Les Français ont déjà perdu l’initiative stratégique, quel que soit le plan adopté, celui-ci comporte d’inévitables difficultés ou faiblesses. Occuper et tenir les points névralgiques et les zones importantes signifie accepter d’affaiblir les forces mobiles. En revanche, accroître la mobilité pour plus de rapidité et d’envergure sous-entend renoncer à concentrer les troupes assurant le maintien des places fortes. Or, ne disposant pas de forces suffisantes pour tenir un vaste terrain, ils sont réduits à des calculs pour occuper un point stratégique capable de barrer la route à plusieurs voies d’accès au delta du fleuve Rouge. C’est la quadrature du cercle, un tel point n’existe pas » !

Pour conclure, ce témoignage d’un combattant irrégulier du Vietminh est riche en leçons et enseignements. Sans les évocations du conflit indochinois, il pourrait parfaitement être mis au crédit d’un rebelle d’Amérique du sud issu des FARC[5], d’un milicien angolais, d’un Tchétchène, d’un Taliban en Afghanistan ou d’un combattant sunnite irakien. Les modes d’action, les tactiques, les motivations se ressemblent, se reproduisent au détriment d’armées, certes mieux équipées, mais devant adapter leur doctrine et leur manœuvre face à un ennemi qui les confronte en permanence à leurs contradictions et à leurs talons d’Achille : la puissance de feu, le manque de mobilité, la lourdeur mécanique ainsi que la faiblesse des effectifs pour contrôler le milieu. En bref, les solutions les plus efficaces pour bien mener la COIN[6] doivent encore être consolidées face à cette solide continuité historique du combat dit asymétrique.



[1] Merci à Laurent DSBLT.
[2] Editions Le Capucin, Lectoure, 2000.
[3] Landing zones, zones de largage des parachutistes.
[4] Engins explosifs improvisés.
[5] Forces armées révolutionnaires colombiennes.
[6] Contre insurrection.








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