Dans la continuité des évocations sur la première guerre mondiale, je vous propose, dans la rubrique « A lire » de l’écho du champ de bataille, un ouvrage réalisé sous la direction de Nicolas Offenstadt en 2004 : « Le Chemin des Dames, de l’évènement à la mémoire ». Réalisé avec la collaboration de plusieurs historiens comme Guy Marival, André Loez ou Frédéric Rousseau, ce livre s’articule autour de « vignettes » en lien avec six thèmes majeurs (histoires, combats, sensibilités, mémoires, lieux et regards). Cherchant à revenir sur les réalités historiques de l’évènement mais en dépassant l’image d’Epinal de l’échec du général Nivelle, les auteurs essaient de réhabiliter cette bataille. Celle-ci a souvent été éludée ou interprétée au profit d’une propagande qui l’a simplifiée à quelques victoires tactiques ou caricaturée grâce aux épisodes de mutineries en 1917.
Pourtant, au fil de la lecture, on apprécie mieux les enseignements tactiques et opératifs de cette bataille mais aussi le courage des soldats, persuadés aux premières heures du combat d’être les acteurs du retour à la guerre de mouvement et de la percée historique.
Voici donc, livrés à votre sagacité ou à votre curiosité quelques éléments extraits de cet ouvrage qui méritent, selon moi, d’être soulignés ou approfondis.
L’échec d’un retour d’expérience bien exploité :
A l’occasion d’attaques de moindre envergure conduites, dans le même secteur, lors des mois précédents l’offensive du Chemin des Dames, des problèmes sont identifiés sans être résolus. Ainsi, les tirs d’artillerie se révèlent trop courts, les liaisons terrestres entre infanterie et artillerie sont insuffisantes, les conséquences de la topographie tourmentée du terrain sont nombreuses (mouvements, observatoires, …). Déjà, à l’automne 1914, le maréchal Joffre avait clairement admis que toute progression rapide dans cette zone serait impossible. Les échecs des assauts français (12 octobre 1914) et allemands (26 et 27 octobre) avaient révélés très tôt que le Chemin des Dames était une forteresse inexpugnable.
Les Français avaient-ils réunis les moyens de vaincre ?
Au printemps 1917, les troupes françaises comptent, pour appuyer leur attaque (40 km de front), sur 5 310 canons et 7 jours de munitions (1,3 millions d’obus de 155mm par exemple). Cela est supérieur à ce qui fut consacré à l’offensive de la Somme en 1916, à la différence près qu’au Chemin des Dames, le dispositif défensif allemand ne s’échelonne plus sur deux positions mais trois ou quatre. De plus, la préparation d’artillerie, gênée par des conditions météo déplorables, durera 5 jours de plus que prévu et, par sa nature plus diffuse ou moins précise (peu de tirs dans la profondeur), permettra aux Allemands de réparer les brèches dans leurs défenses. En amont de l’offensive, les troupes impériales gardent l’initiative sur les Français dans la conquête de certains points clés du terrain (observatoires) et ce, par des coups de mains nocturnes précédés par des feux d’artillerie violents conduits par les unités de « Stosstruppen » (voir articlehttp://lechoduchampdebataille.blogspot.com/2011/11/imagination-dans-la-guerre-la-tactique.html ).
Alors que le commandement français dispose de deux armées de rupture pour l’offensive (53 divisions), ces dernières sont étalées dans la profondeur (sur 5 lignes successives) et il n’y a que 180 000 hommes aux pieds des fortifications adverses situées le plus souvent en hauteur. Ces dernières profitent également d’un terrain adapté à la défensive avec des creutes, tunnels ou carrières servant d’abris, de nids de mitrailleuses ou de positions d’artillerie. Enfin, le ciel est allemand, l’aviation française ne pouvant rivaliser ni en quantité, ni en qualité face aux aéronefs ennemis. Ceux-ci vont même jusqu’à susciter la panique des poilus en survolant à basse altitude les tranchées.
A l’heure du combat.
L’offensive va être très meurtrière, les assauts français vont venir se briser sur les défenses allemandes, des régiments seront décimés, les blessés et les morts se compteront par milliers dès le premier jour de l’attaque. En dépassant les premières lignes allemandes, apparemment vides de leurs occupants, les soldats français se font tirer dans le dos par des combattants adverses qui sortent de leurs abris souterrains. L’artillerie spéciale, les chars St Chamond, sont lancés dans la fournaise à Berry au Bac mais, mal utilisés, déconsidérés par les états-majors qui ne savent pas les employer, les deux tiers des 121 engins seront détruits ou immobilisés dans les marécages dans lesquels ils se déploient. Le Chemin des Dames est également une catastrophe sanitaire tant la manœuvre « santé » a été négligée dans la planification des opérations. Les ambulances (niveau division), les hôpitaux d’opération et d’évacuation (niveau corps d’armée) sont débordés et peu nombreux (au regard des effectifs engagés). Le tri et le rapatriement vers l’arrière par trains spéciaux est conduit par des bureaucrates qui suivent des procédures inappropriées, laissant des blessés agoniser sur un réseau de chemin de fer surchargé.
Des hommes et une bataille oubliés
L’ouvrage insiste sur le quotidien des soldats au moment de ces combats sanglants, sur leurs perceptions, leurs espoirs déçus, leurs incompréhensions. Les mutineries sont évoquées mais il semble qu’elles ne soient pas si massives que cela et qu’elles sont davantage une fatigue morale qu’une désertion massive de poilus souvent décrits, à l’époque, comme des « traitres ou des révolutionnaires en devenir ». Quant à la propagande, si elle attendait le succès de l’offensive Nivelle pour lancer une vaste campagne de guerre psychologique contre l’Allemagne, elle s’adapte aux échecs des premiers jours. Prévue le 16 avril 1917 comme le tournant de la guerre ou l’offensive de rupture, le Chemin des Dames, dans la presse, devient très vite la bataille de l’Aisne, puis la contre-attaque de Craonne pour finir par être évoquée comme une victoire après le succès limité et local de la Malmaison en octobre.
En bref, le Chemin des Dames apparaît comme un échec opératif malgré quelques victoires tactiques. Cette bataille démontre encore l’impréparation et les faiblesses structurelles des troupes alliées en 1917. Cet ouvrage permet, avec d’autres livres comme celui du colonel Goya, « La chair et l’acier » de mieux comprendre les différentes étapes du premier conflit mondial et la transformation des armées françaises de 1914 à 1918. Bonne lecture.
Frédéric Jordan
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