Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mercredi 13 juin 2012

Art opératif : l'action soviétique en Mandchourie en 1945.


Pour compléter notre propos d'articles précédents à la fois sur l'art opératif, l'armée Rouge et plus récemment sur la "guerre éclair" (ou l'action foudroyante pour certains), nous vous proposons un récapitulatif et une étude de l'offensive soviétique de l'été 1945 en Mandchourie face aux troupes japonaises déployées en défensive. Cette campagne met en avant la valeur de la vision opérative sur un terrain aux dimensions importantes et avec des moyens nombreux et hétérogènes.

Contexte :

Lors de la conférence de Yalta, Staline, sur l'insistance de Roosvelt, avait promet aux Alliés que l'URSS entrera en guerre contre le Japon trois mois après la fin des hostilités contre l'Allemagne. Aussi, dès le 2 avril 1945, les Soviétiques informent l'ambassadeur japonais à Moscou que de le pacte de neutralité russo-japonais de 1941 est rompu unilatéralement. Après le 8 mai, des transferts importants de troupes ont lieu de l'Europe vers l'Extrême-Orient pour renforcer les faibles unités sibériennes qui font face à l’armée nippone du Guangdong.


Forces en présence :

URSS : 1,5 millions d’hommes, 26 000 canons, 5 500 chars répartis en 2 armées.
Japon : 880 000 hommes, 5 000 pièces d’artillerie, 1 000 chars.
Théâtre des opérations : 1,3 millions de km2 (superficie de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, du Benelux et du Danemark réunis).

Déroulement :

Phase préliminaire.

Dès le mois de mai 1945, les Soviétiques transfèrent par chemin de fer les hommes et le matériel nécessaires à l’attaque. Ils trompent les Japonais en lançant, dès l’arrivée des troupes, de gros travaux défensifs dans la région de Primore amis aussi en limitant les mouvements aux périodes nocturnes et même en cachant les unités dans des tranchées camouflées durant la journée. Ils planifient l’offensive pour le mois d’août, durant la saison des pluies alors que les routes de la région se transforment en fondrières. Enfin, la 36ème armée, chargée de faire diversion en direction de la ville de Hailar (très défendue par les Japonais) est largement pourvue avec 7 divisions d’infanterie (uniquement des jeunes recrues), 1 brigade de chars et de l’artillerie considérable pour focaliser l’attention des Japonais alors que l’armée rouge prépare en secret le franchissement des montagnes du Grand Khingan pour surprendre Tokyo.

Phase 1 : l’attaque.



Le 9 août, l’Armée rouge attaque sur trois fronts en pleine nuit et renonça (hormis la force de diversion) à appliquer les bombardements d’artillerie massifs préparatoires prévus par la doctrine pour préserver la surprise. Le front du Transbaikal traverse les montagnes et le désert du Grand Khingan avec deux corps mécanisés, un corps de chars renforcé (2 300 chars) et deux divisions d’artillerie sur un front de 400 km, le front d’Extrême Orient attaque dans une zone très valorisée par les Japonais avec le gros de l’artillerie et seulement 1 900 chars sur une largeur de 700 km. L’état-major soviétique demande de faire converger les efforts des grandes unités afin de réduire la taille du front d’attaque et permettre ainsi d’avoir 30 chars et 200 canons ou mortiers au km.

Phase 2 : l’exploitation.

Fort de la surprise obtenue le premier jour, les Soviétiques exploitent leurs succès par une grande mobilité et l’action de détachement d’avant-garde interarmes puissant pour ouvrir l’axe de progression. La 6ème armée de chars parcoure ainsi 900 km en 11 jours avec une vitesse moyenne de 82km/h, n’hésitant pas à contourner les centres de résistance nippons. Les faibles forces japonaises ne résistent qu’avec l’énergie du désespoir malgré un équipement déficient, l’absence de moyens antichars et les actions de sabotage menées par les troupes aéroportées légères de Moscou. Le 16 août 1945, les Soviétiques font leur jonction avec les troupes du parti communiste chinois à Kalgan encerclant l’armée japonaise. Le 20 août, le cesser le feu est déclaré même si de nombreuses unités impériales continueront à se battre jusqu’en septembre. Parallèlement, les Soviétiques s’emparent des îles Sakhaline par une opération amphibie et pénètrent en Corée.

Bilan :

Les Soviétiques déplorent 8 000 morts et 22 000 blessés alors que le Japon perd 84 000 hommes et près de 594 000 prisonniers (dont 148 généraux) dont seulement 90 000 reverront leur pays en 1949.

Enseignements opératifs et tactiques :

- Les Soviétiques appliquent leur doctrine opérative afin de s’assurer une victoire rapide, dans la profondeur et avec des moyens interarmes coordonnés.
-   Un gros effort de déception est mené par les Soviétiques dans la pure tradition de la Maskirovka afin de préserver la liberté d’action opérative mais également pour tromper les Japonais sur leurs intentions, la nature de leurs troupes, le moment de l’attaque et sa direction.
-    Les Japonais, surpris par l’offensive, ne peuvent terminer leur montée en puissance (l’exemple de la 148ème division nippone arrivée en renfort est parlant, elle ne dispose, en 1945, que de 80% de ses effectifs, 30% des fusils, 10% des mitrailleuses, 20 % des canons) et ne valorisent que les axes de pénétration ouverts oubliant les montagnes.
-    L’unité chargée de faire diversion vers la ville de Hailar est suffisamment nombreuse et bien équipée pour tromper les reconnaissances nipponnes ainsi que l’évaluation des services de renseignement de Tokyo.
-     L’offensive est lancée sur trois axes pour encercler l’adversaire et diluer son effort défensif.
-     L’articulation des unités soviétiques est adaptée au milieu, à la mission et à l’ennemi rencontré.
-     Une action est menée par l’Armée rouge pour rétrécir les fronts chargés de percer dans une région immense et ce pour concentrer les efforts.
-     Le dispositif d’avant-garde prévu à tous les niveaux, du bataillon au corps d’armée doit bousculer l’adversaire et permettre un rythme de progression élevé garant de la prise d’ascendant.
-     La grande mobilité des troupes soviétiques ne permet pas aux Japonais de réagir et de retrouver l’initiative.

Frédéric Jordan

Source image : Blinoff collection.

2 commentaires: