Dans
la continuité des articles publiés précédemment sur la guerre en zone urbaine
(ZURB), il me semble essentiel de revenir sur l’héritage de la poliorcétique
dans les engagements contemporains au sein des villes et de leur environnement
cloisonné ou complexe. Pour cela, un retour en arrière historique mais aussi
l’étude de l’évolution des modes d’action, des équipements comme celle des
grands penseurs de cette problématique tactique devraient permettre de dégager
ce qui rapproche l’art du siège ancien au combat en ZURB tel qu'il s’est
présenté sur des théâtres d’opérations plus récents, de Stalingrad à Falloudjah
en passant par Beyrouth ou Grozny.
Cette
étude, en trois parties, permettra de montrer que, face au milieu que
constituent les zones habitées, protégées ou non par une enceinte, une forteresse
ou un dispositif défensif valorisé, le fantassin seul ne peut venir à bout de
l’assaillant ou du défenseur sans
l’appui de machines de guerre, d’appui feux, de sapeurs, d’armements
spécifiques mais également, d’une logistique comme d’une organisation propre à
ce type de combat.
1-La
poliorcétique antique : les fondamentaux du siège.
Même
si l’art du siège est évoqué par des auteurs égyptiens ou dans l’histoire
bataille hittite, ce sont bien les grandes puissances grecques qui formalisent
la poliorcétique (du mot grec poliorketikos)
dans les combats qui opposent les grandes cités antiques. On peut ainsi lire le
manuscrit d’Enée le tacticien « Poliorcétique »
du IVème siècle avant JC qui
énumère les grands principes et les éléments structurants de la guerre dans et
autour de la ville assiégée. C’est ainsi qu’il détaille la muraille, les
machines (qui apparaissent et se développent au rythme des progrès
scientifiques, nous y reviendrons), le rôle important de la cavalerie (pour
permettre au défenseur de mener des sorties et ainsi de désorganiser
l’assaillant) et le système d’approvisionnement en eau, en nourriture mais
aussi, en matériaux de construction ou en projectiles. De même, il théorise
l’articulation du défenseur en trois ou quatre corps : un déployé sur la
zone principale d’attaque, un sur l’axe secondaire ennemi, le troisième en
réserve et éventuellement, un quatrième avec lequel le chef, entouré de
voltigeurs mobiles, parcourt le rempart pour refermer telle ou telle brèche.
D’autres
auteurs comme Horon, Biton mais surtout, Héron d’Alexandrie évoquent la guerre
contre les villes avec, en particulier, la référence aux machines comme les gastraphètes (arbalètes primitives), les
katapaltaï ou les catapultes (dès 338
AV JC à Athènes). La recherche de l’arme décisive dans le siège sera d’ailleurs
récurrente, à cette époque, à l’image de l’hélépole (preneuse de ville), engin
utilisé par Démétrias le Poliorcète à l’occasion du siège de Rhodes. Il s’agit
en fait d’une tour de 40 m de haut sur 20 m de long, pesant 1,6 tonnes,
propulsée, à l’intérieur, par 200 hommes soutenus par 3200 pousseurs externes.
Son blindage de cuir est résistant aux lancers de pierres et elle est truffée de
balistes capables de lancer des projectiles de 150 kg.
Les
Romains, quant à eux, seront les dignes héritiers de la péninsule hellénique
pour ce qui est de la poliorcétique. En effet, ils perfectionneront cet art et
le mettront en pratique à plusieurs reprises, conscients que les villes
deviennent le centre de gravité des territoires qu’ils tentent de conquérir
alors qu’ils cherchent à assurer des lignes de communication sûres (pour leurs
armées éparpillées sur un territoire
gigantesque). César est d’ailleurs un disciple de cette tactique, à l’image du
siège de Marseille qu’il remporte après avoir abordé la cité avec une tour de
18 m et une galerie couverte de peaux fraîches (à l’épreuve du feu des
défenseurs), faite de bois et de briques. Grâce à ce stratagème, il atteint la
muraille, y ouvre une brèche et se saisit de la ville. Plus tard, en 52 AV JC,
César fera plier Vercingétorix à Alésia en imaginant une double enceinte capable
de repousser les sorties des défenseurs et les assauts de l’armée de secours
gauloise. Les légions font d’autres prouesses à Massada (73 AV JC), à Jérusalem
(70 AV JC) en bâtissant des agger,
ces terrasses de 24 m de haut sur 75 m de large et de 100 m de long qui
permettent d’accéder, avec des tours roulantes, au chemin de ronde du rempart
ennemi. Ces techniques, comme celle des mines (sapes souterraines) sont ainsi enseignées
aux grands chefs militaires romains, notamment au travers d’ouvrages de la même
teneur que « Les Poliorcétiques »
d’Apollodore, écrites à la demande de l’empereur Hadrien.
L’Antiquité
a donc initié la culture tactique de l’art du siège, souvent au détriment du
défenseur vaincu, la plupart du temps, à cette période de l’histoire.
2-Le
Moyen Age, l’âge d’or du siège.
Au
Moyen Age, le développement des forteresses féodales ainsi que la réduction du
format des armées qui s’affrontent donnent un nouvel élan à la poliorcétique,
tant pour l’assaillant confronté aux châteaux forts, que pour l’assiégé qui
doit se préparer à des assauts violents ou à de longues semaines de siège.
Les
Mérovingiens réfléchissent très tôt à cette problématique militaire, le Roi de
France sachant pertinemment qu’il ne conservera son territoire qu’en préservant
ses places fortes, symboles de son pouvoir sur les grands princes du Royaume.
En 1285, Gilles de Rome, dans son traité « De Regimine Principum », aborde la question des machines de
guerre et de leur emploi. En effet, pour palier le sous-effectif récurrent en
combattants, et pour impressionner l’adversaire, les troupes se dotent d’engins
de plus en plus perfectionnés. Apparaissent donc lithobolos, trébuches et autres onagres,
trépans et mangonneaux pour lancer des projectiles, béliers, bossons et truies
pour enfoncer murs et portes, beffrois ou tonnelons pour se protéger de
l’ennemi et enfin, échalades afin de gravir des murailles de plus en plus
hautes. C’est sans compter un usage plus maîtrisé du feu avec l’emploi de
brandons, de brûlots puis du célèbre feu grégeois byzantin décrit, par exemple,
dans les écrits d’Anne Commère. La force morale joue toujours davantage sur les
protagonistes, en particulier chez l’assaillant déployé en rase campagne alors que
le défenseur peut compter sur ses réserves (puits, entrepôts, greniers,
moulins, potagers préparés derrière l’enceinte dès le temps de paix). Comment donc
ne pas évoquer « Dame Carcasse » qui, pour impressionner les soldats
assiègeant la ville de Carcassonne, jettent depuis les remparts quelques cochons
très gras afin de faire croire à l’ennemi que la ville dispose de réserves
inépuisables.
Cette
époque semble donc privilégier, cette fois, le défenseur sur l’attaquant et
conduit au culte de la forteresse, précisément lors des croisades avec la
construction du « Krach des
chevaliers » et la résistance des cités fortifiées de Jérusalem à
Tripoli en passant par Alexandrette. Mais l’innovation technique aura raison
des murs et des tours médiévales quand le canon brisera en 1453 l’espoir de
Constantinople, capitale vaincue, en quelques jours, par les 500 canons du
sultan turc Mehmet II.
A suivre...
Frédéric JORDAN
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