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lundi 13 août 2012

De la poliorcétique au combat en zone urbaine : évolutions et permanences tactiques (1/3).


Dans la continuité des articles publiés précédemment sur la guerre en zone urbaine (ZURB), il me semble essentiel de revenir sur l’héritage de la poliorcétique dans les engagements contemporains au sein des villes et de leur environnement cloisonné ou complexe. Pour cela, un retour en arrière historique mais aussi l’étude de l’évolution des modes d’action, des équipements comme celle des grands penseurs de cette problématique tactique devraient permettre de dégager ce qui rapproche l’art du siège ancien au combat en ZURB tel qu'il s’est présenté sur des théâtres d’opérations plus récents, de Stalingrad à Falloudjah en passant par Beyrouth ou Grozny.
Cette étude, en trois parties, permettra de montrer que, face au milieu que constituent les zones habitées, protégées ou non par une enceinte, une forteresse ou un dispositif défensif valorisé, le fantassin seul ne peut venir à bout de l’assaillant ou du défenseur  sans l’appui de machines de guerre, d’appui feux, de sapeurs, d’armements spécifiques mais également, d’une logistique comme d’une organisation propre à ce type de combat.


1-La poliorcétique antique : les fondamentaux du siège.
 

Même si l’art du siège est évoqué par des auteurs égyptiens ou dans l’histoire bataille hittite, ce sont bien les grandes puissances grecques qui formalisent la poliorcétique (du mot grec poliorketikos) dans les combats qui opposent les grandes cités antiques. On peut ainsi lire le manuscrit d’Enée le tacticien « Poliorcétique » du IVème  siècle avant JC qui énumère les grands principes et les éléments structurants de la guerre dans et autour de la ville assiégée. C’est ainsi qu’il détaille la muraille, les machines (qui apparaissent et se développent au rythme des progrès scientifiques, nous y reviendrons), le rôle important de la cavalerie (pour permettre au défenseur de mener des sorties et ainsi de désorganiser l’assaillant) et le système d’approvisionnement en eau, en nourriture mais aussi, en matériaux de construction ou en projectiles. De même, il théorise l’articulation du défenseur en trois ou quatre corps : un déployé sur la zone principale d’attaque, un sur l’axe secondaire ennemi, le troisième en réserve et éventuellement, un quatrième avec lequel le chef, entouré de voltigeurs mobiles, parcourt le rempart pour refermer telle ou telle brèche.
D’autres auteurs comme Horon, Biton mais surtout, Héron d’Alexandrie évoquent la guerre contre les villes avec, en particulier, la référence aux machines comme les gastraphètes (arbalètes primitives), les katapaltaï ou les catapultes (dès 338 AV JC à Athènes). La recherche de l’arme décisive dans le siège sera d’ailleurs récurrente, à cette époque, à l’image de l’hélépole (preneuse de ville), engin utilisé par Démétrias le Poliorcète à l’occasion du siège de Rhodes. Il s’agit en fait d’une tour de 40 m de haut sur 20 m de long, pesant 1,6 tonnes, propulsée, à l’intérieur, par 200 hommes soutenus par 3200 pousseurs externes. Son blindage de cuir est résistant aux lancers de pierres et elle est truffée de balistes capables de lancer des projectiles de 150 kg.
Les Romains, quant à eux, seront les dignes héritiers de la péninsule hellénique pour ce qui est de la poliorcétique. En effet, ils perfectionneront cet art et le mettront en pratique à plusieurs reprises, conscients que les villes deviennent le centre de gravité des territoires qu’ils tentent de conquérir alors qu’ils cherchent à assurer des lignes de communication sûres (pour leurs armées éparpillées sur un  territoire gigantesque). César est d’ailleurs un disciple de cette tactique, à l’image du siège de Marseille qu’il remporte après avoir abordé la cité avec une tour de 18 m et une galerie couverte de peaux fraîches (à l’épreuve du feu des défenseurs), faite de bois et de briques. Grâce à ce stratagème, il atteint la muraille, y ouvre une brèche et se saisit de la ville. Plus tard, en 52 AV JC, César fera plier Vercingétorix à Alésia en imaginant une double enceinte capable de repousser les sorties des défenseurs et les assauts de l’armée de secours gauloise. Les légions font d’autres prouesses à Massada (73 AV JC), à Jérusalem (70 AV JC) en bâtissant des agger, ces terrasses de 24 m de haut sur 75 m de large et de 100 m de long qui permettent d’accéder, avec des tours roulantes, au chemin de ronde du rempart ennemi. Ces techniques, comme celle des mines (sapes souterraines) sont ainsi enseignées aux grands chefs militaires romains, notamment au travers d’ouvrages de la même teneur que « Les Poliorcétiques » d’Apollodore, écrites à la demande de l’empereur Hadrien.
L’Antiquité a donc initié la culture tactique de l’art du siège, souvent au détriment du défenseur vaincu, la plupart du temps, à cette période de l’histoire.

2-Le Moyen Age, l’âge d’or du siège.

Au Moyen Age, le développement des forteresses féodales ainsi que la réduction du format des armées qui s’affrontent donnent un nouvel élan à la poliorcétique, tant pour l’assaillant confronté aux châteaux forts, que pour l’assiégé qui doit se préparer à des assauts violents ou à de longues semaines de siège.
Les Mérovingiens réfléchissent très tôt à cette problématique militaire, le Roi de France sachant pertinemment qu’il ne conservera son territoire qu’en préservant ses places fortes, symboles de son pouvoir sur les grands princes du Royaume. En 1285, Gilles de Rome, dans son traité « De Regimine Principum », aborde la question des machines de guerre et de leur emploi. En effet, pour palier le sous-effectif récurrent en combattants, et pour impressionner l’adversaire, les troupes se dotent d’engins de plus en plus perfectionnés. Apparaissent donc  lithobolos, trébuches et autres onagres, trépans et mangonneaux pour lancer des projectiles, béliers, bossons et truies pour enfoncer murs et portes, beffrois ou tonnelons pour se protéger de l’ennemi et enfin, échalades afin de gravir des murailles de plus en plus hautes. C’est sans compter un usage plus maîtrisé du feu avec l’emploi de brandons, de brûlots puis du célèbre feu grégeois byzantin décrit, par exemple, dans les écrits d’Anne Commère. La force morale joue toujours davantage sur les protagonistes, en particulier chez l’assaillant déployé en rase campagne alors que le défenseur peut compter sur ses réserves (puits, entrepôts, greniers, moulins, potagers préparés derrière l’enceinte dès le temps de paix). Comment donc ne pas évoquer « Dame Carcasse » qui, pour impressionner les soldats assiègeant la ville de Carcassonne, jettent depuis les remparts quelques cochons très gras afin de faire croire à l’ennemi que la ville dispose de réserves inépuisables.
Cette époque semble donc privilégier, cette fois, le défenseur sur l’attaquant et conduit au culte de la forteresse, précisément lors des croisades avec la construction du « Krach des chevaliers » et la résistance des cités fortifiées de Jérusalem à Tripoli en passant par Alexandrette. Mais l’innovation technique aura raison des murs et des tours médiévales quand le canon brisera en 1453 l’espoir de Constantinople, capitale vaincue, en quelques jours, par les 500 canons du sultan turc Mehmet II.
A suivre...

Frédéric JORDAN

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