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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mardi 28 août 2012

De la poliorcétique au combat en zone urbaine : évolutions et permanences tactiques (3/3).

 
 
Voici le dernier volet de cette série d’articles consacrée à l’histoire de la poliorcétique, étude ayant bien pour objectif de définir les liens entre l’histoire militaire et les opérations en ZURB contemporaines.
 
 5- Le XXe siècle, transition et nouvelles approches.
 
A la fin du XIXème siècle, les villes sont de nouveau convoitées car elles sont désormais au cœur de la révolution industrielle et elles structurent, de fait, le nouveau maillage créé par le chemin de fer. La guerre de sécession (siège de Petersberg, raids de cavalerie de Sherman), la guerre russo-japonaise (1904-05) montrent clairement que les opérations sont conduites au travers du contrôle des voies de communication et donc des centres urbains les plus importants (logistique, télégraphe, ports, train). Les militaires décident alors de protéger  ces infrastructures à partir de la périphérie des villes et ce, en construisant des ceintures défensives fortifiées comme celles du général (et ingénieur du génie) Séré de Rivières. En effet, ce dernier prend en compte les progrès de l’artillerie (obus chargés avec un explosif puissant, la mélinite) et surtout, la découverte du béton. Il lance la construction de places fortes modernes le long de la frontière afin de canaliser, de freiner l’ennemi ou même de gagner du temps pour mobiliser les troupes avant de contre-attaquer. Ces forts, qui protègent les zones urbaines de l’est de la France, peuvent s’appuyer mutuellement et sont lourdement armés, à l’image des forteresses de Douaumont ou de Vaux autour de Verdun. On y découvre les premiers cuirassements (tourelles de mitrailleuses, observatoires) en fonte puis en acier. Au cours de la première guerre mondiale, ces fortins seront donc l’enjeu de durs combats autour des réseaux de tranchées de la guerre de position, préservant bon nombre de cités d’une destruction totale. De fait, quand les villes sont visées par les bombardements, c’est principalement dans le but d’atteindre les centres logistiques (exemple de la ville de Laon et de sa gare de triage) ou encore, pour terroriser les populations civiles (canons géants allemands tirant sur Paris par exemple). Progressivement, même si les combats se concentrent en rase campagne, la poliorcétique devient combat en zone urbaine, n’épargnant ni les infrastructures, ni les habitants et ni les soldats. Le second conflit mondial illustrera tragiquement cette évolution au travers d’exemples célèbres comme Varsovie, Sébastopol, Stalingrad, Aix La Chapelle ou Berlin. A chaque fois, des troupes appuyées par des moyens blindés, par des unités du génie, des appuis feux (avions et artillerie), vont se battre dans des cités en ruine ou dévastées, au milieu de non-combattants livrés à la violence des protagonistes. Seule la libération de Paris en 1944 fera figure d’exception (et de retour en arrière), les Allemands ayant choisi de défendre la capitale française en périphérie ou à partir de points d’appui (jardins des Tuilerie et du Luxembourg) pendant que le général Leclerc lance la 2ème DB directement sur le centre de gravité ennemi (à savoir la saisie du PC adverse et la capture du général Von Choltitz à l’hôtel Meurice).


Plus tard, les combattants irréguliers révolutionnaires comprennent que les villes sont devenues des milieux cloisonnées difficiles à maîtriser pour une armée conventionnelle. Dès lors, la conflictualité se développe en ZURB avec, par exemple, la guérilla urbaine de l’IRA en Irlande du Nord, la révolte hongroise de 1956 mais aussi l’offensive du Têt au Vietnam (bataille de Hué en 1968 entre forces américaines et Viêt-Cong). Une nouvelle ère de la poliorcétique se développe et s’amplifie jusqu’à aujourd’hui, au gré des guerres civiles ou des adversaires dits asymétriques. Comment donc ne pas citer la ville de Beyrouth dans les années 1980, la conquête de Grozny par l’armée russe en 1993 face aux rebelles tchétchènes mais aussi, les combats de Bagdad ou de Falloudjah conduits par l’armée américaine en Irak. Ainsi, l’histoire militaire permet de comprendre l’héritage et les développements récents de la poliorcétique moderne dans la conduite de la guerre dans ce milieu si particulier que constitue la ville.
 
6- Les opérations urbaines aujourd’hui et l’héritage du passé.
 
Hier comme aujourd’hui, la ville demeure au centre du débat stratégique car elle représente le centre économique, politique et humain d’un territoire tout en s’inscrivant dans une logique de réseaux (matériels ou immatériels). D’ailleurs, les textes doctrinaux français évoquent les OPURB (opérations en zones urbaines) que pour des agglomérations supérieures à 10 000 habitants et les définissent comme « l’ensemble des actions et des activités menées par les forces armées sur un théâtre d’opération extérieure visant à acquérir ou à maintenir le contrôle d’une agglomération. Menées au milieu des populations et le plus souvent face à des adversaires ayant choisi la sphère urbaine comme espace de manœuvre, elles englobent, tour à tour ou simultanément : des actions de force conduites dans ce milieu particulièrement complexe et contraignant des actions de sécurisation et d’assistance à la population intégrant l’ensemble des acteurs, organes et systèmes qui structurent ou gèrent la ville, voire des actions visant à pallier temporairement leur absence ou leur désorganisation ».
Aujourd’hui, comme aux balbutiements de la poliorcétique, le combat en zone urbaine semble présenter des permanences comme la force morale, les ressources physiques et l’innovation technique nécessaires à la prise d’une ville. De la même façon, les principes militaires qui garantissent la liberté d’action du chef face à ce terrain cloisonné n’ont guère évolué, à savoir « garantir un volume de force suffisant », «  influencer les perceptions » de l’ennemi, mettre en œuvre des actions de « déception » et « isoler les combattants de la population locale ». Le milieu urbain a toujours été un égalisateur de puissance permettant aux plus faibles de défendre des places ou, au contraire, de s’en emparer en profitant de l’aspect multidimensionnel (dimension aérienne, subaérienne, surface et subsurface) des cités.
Néanmoins, bien plus que par le passé, la ville voit converger les niveaux stratégique, opératif et tactique sur un même lieu car le militaire doit gérer les interactions entre ces trois facettes de la conduite de la guerre. J’en veux pour exemple le symbole que représenta la conquête du pont de Verbanja à Sarajevo en 1995 par une centaine de soldats français pour faire plier les autorités serbes, ou encore, le retrait précipité américain en Somalie après la perte de deux hélicoptères et d’une dizaine d’hommes dans les rues de Mogadiscio. En outre, la ZURB est un terrain défavorable aux forces armées modernes héritières de la guerre froide et qui ont perdu le savoir-faire propre à la ville ou qui doivent réapprendre les techniques du passé pour combattre dans les zones habitées (véhicules adaptés, équipement de brêchage,…) à l’instar des troupes israéliennes à Gaza lors de l’opération « Plomb durci » au début des années 2000. Des contraintes nouvelles sont apparues avec le développement du droit des conflits armés et celui des règles d’engagement, limites juridiques qui interdisent la mise à sac de la ville conquise et même un bombardement non discriminé des cibles quand on l’assiège (contrairement à un passé récent). Les militaires américains prendront ainsi soin de faire évacuer Falloudjah par ses habitants en 2004 avant de la prendre d’assaut. De même, une fois que les soldats tiennent la zone urbaine, ils ont l’impérieuse nécessité d’y assurer le minimum de service public (eau, électricité, ordre public) pour ne pas perdre toute légitimité et voir disparaître les gains tactiques du fait d’une défaite politico-militaire (image déplorable de l’occupant  subie par les Etats-Unis à Bagdad en 2003 après une victoire éclair face aux combattants de Saddam Hussein). Dans un autre registre, alors qu’auparavant la ville était un milieu homogène quels que soient les lieux où l’on se battait, de nos jours, des penseurs stratégiques ont mis en évidence des différences dans la construction, la dimension ou la compréhension des ZURB, schémas qui varient au gré des aires géographiques, des populations ou des adversaires potentiels. Ainsi, d’après Philippe Boulanger, spécialiste de la géographie militaire, il peut exister jusqu’à 7 modèles urbains différents comme le système radial, le polynucléaire, le juxtaposé ou le concentrique. Dans cette jungle de béton, le char a remplacé le bélier, le canon ou le missile la catapulte, le drone l’espion, les buildings les remparts.
L’OTAN définit ainsi 5 fonctions nouvelles pour les actions en ZURB : comprendre, modeler, engager, consolider, transférer (l’autorité), évaluer dans des environnements complexes où l’action militaire n’est qu’une étape. L’armée française, quant à elle, met en avant des aptitudes pour ce combat particulier : comprendre et s’adapter, décentraliser le commandement (le gigantisme des villes étant prégnant), adapter le soutien (aux troupes et aux contraintes civiles) et développer la résilience (menaces multiformes et évolutives, durée d’engagement, …).
 
Pour conclure cette synthèse, qui nous a conduit de la poliorcétique antique aux combats en zone urbaine modernes, je ne peux que constater les traits communs qui ont animé assiégeants et assiégés dans l’histoire militaire avec la recherche de la prise de l’ascendant sur l’adversaire, l’appui de la technique ou de la science pour vaincre, l’importance du facteur humain et moral et finalement, la formalisation de principes ou de procédés. Les différences ne sont que la conséquence des changements sociaux, des mutations de l’ennemi et du développement des villes tant par leur étendue que par leur complexité. La guerre de demain sera donc, plus que jamais, urbaine pour des armées contraintes de transformer leurs outils pour être encore efficaces.
 
Frédéric Jordan

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