Nous continuons notre voyage historique
de la poliorcétique avant de retenir, dans une troisième et dernière partie à
venir, les enseignements contemporains de cet ancêtre du combat en zone
urbaine.
3-De la Renaissance à Vauban : progrès et innovations.
Le canon et ses projectiles de
plus en plus puissants transforment la poliorcétique dès la Renaissance,
imposant aux forteresses d’innover dans leur conception et leurs équipements
(angles des remparts, épaisseur des murs). L’armée qui assiège, elle aussi, se voit contrainte d’inventer
de nouveaux modes d’action pour surprendre le défenseur et s’approcher des villes
fortifiées. Ainsi, au XVIème siècle,
dans le but de contrer le feu, la mitraille et les boulets, les militaires font
appel aux mathématiciens italiens et à la géométrie pour créer des bastions en
étoiles (les remparts ne sont plus linéaires) dont les 5 côtés permettent un
feu croisé contre l’assaillant et créent des trajectoires délicates pour les
artilleurs adverses. De telles places fortes sont donc bâties sur ce modèle à
Turin entre 1564 et 1568 ou encore à Anvers entre 1567 et 1569. D’ailleurs, en
mai 1534, pour mettre fin aux pillages des hommes de Barberousse, Charles Quint
s’empare facilement de la ville de Tunis et du fort de la Goulette (pourtant
défendu par 600 canons) car les murailles de la cité n’ont que peu évoluées
depuis le Moyen-Age.
Néanmoins, c’est bien encore la tactique et les choix du chef, son analyse de la situation ou sa faculté à saisir l’opportunité qui font la différence au cours des sièges. Ainsi, à Pavie en 1525, alors que les Français avaient repoussé une tentative de sortie de la garnison impériale grâce à leurs nombreuses pièces d’artillerie, le Roi de France décide de charger, sans l’appui de ses bombardes, les Lansquenets qui reculent vers l’abri de la ville avant de s’échouer dans les marécages qui bordent la Cité, de tomber sous le feu des arquebusiers adverses, pour être finalement capturé.
Néanmoins, c’est bien encore la tactique et les choix du chef, son analyse de la situation ou sa faculté à saisir l’opportunité qui font la différence au cours des sièges. Ainsi, à Pavie en 1525, alors que les Français avaient repoussé une tentative de sortie de la garnison impériale grâce à leurs nombreuses pièces d’artillerie, le Roi de France décide de charger, sans l’appui de ses bombardes, les Lansquenets qui reculent vers l’abri de la ville avant de s’échouer dans les marécages qui bordent la Cité, de tomber sous le feu des arquebusiers adverses, pour être finalement capturé.
Mais il faudra attendre le siècle
suivant pour voir émerger un penseur et un praticien innovant dans le domaine
de la poliorcétique. Il s’agit, bien évidemment, de Vauban qui aménage 300
places fortes et en fait construire près de 33 autres. Son système en étoile, réfléchi
selon trois modèles différents, est fait de lignes successives, d’angles obliques,
de tours bastionnées, de couloirs abrités, de fossés en caponnière. Cette
réflexion tactique, formalisée dans de nombreux écrits (« Traité de l’attaque des places ») est
révolutionnaire et d’une formidable efficacité, à l’image des citadelles de
Besançon, de Neuf-Brisach, ou de Lille qui ceinturent les frontières du Royaume
et ne seront jamais (à l’époque) prises. Mais Vauban est également un
remarquable assiégeant, aux côtés de Louis XIV comme à Maastricht en 1673 par
exemple. En fait, l’ingénieur militaire apporte trois innovations majeures aux
tactiques de siège. D’abord il réfléchit à une technique d'approche en faisant
creuser trois tranchées parallèles très fortifiées, reliées entre elles par des
boyaux de communications en ligne brisée pour éviter les tirs défensifs en
enfilade. La première de ces tranchées, placée hors de portée de canon (600 m à
l'époque) doit prémunir l’attaquant d’une
attaque à revers par une armée de secours. La seconde, à portée de tir, permet
d'aligner l'artillerie dont les tirs convergent vers un point faible des
fortifications. La troisième, à proximité immédiate des remparts, doit
faciliter le creusement d'une mine ou l'assaut d’infanterie si l'artillerie a
permis d'ouvrir une brèche dans la muraille. Le retranchement doit être
suffisant pour interdire une sortie des défenseurs. Autre nouveauté, l'éperon
des forteresses bastionnées créant une zone où l'artillerie de l'assiégé ne
peut tirer à bout portant, Vauban a l’idée de créer des levées de terre devant
la tranchée immédiatement au contact des fortifications assiégées (très basses
pour éviter les tirs d'artillerie). Ces monticules qu'il nomme «cavaliers de tranchées », permettent aux
assaillants de dominer les positions de tir des assiégés, de les refouler à la
grenade puis de s'emparer du chemin couvert. Enfin, en 1688, il invente le « tir à ricochet » et ce, en employant
de petites charges de poudre pour qu’un boulet ait plusieurs impacts sur une
ligne de défense au sommet d'un rempart, neutralisant ainsi fantassins, canons
et servants à la fois.
4-Le XIXème siècle,
quand la ville devient champ de bataille ou centre logistique.
Au début de cette époque, la
poliorcétique semble marquer le pas. Même si les armées font encore le siège des
grandes cités -tel le jeune Bonaparte défendant Toulon ou plus tard, Napoléon devant St Jean d’Acre, Mantoue-, les citadelles deviennent plutôt des plots
logistiques, des entrepôts de ravitaillement, des bases de départ ou des zones
de retraite pour soutenir les longues campagnes des armées européennes. Bien
défendues, car elles assurent la permanence des lignes d’opération et de
communication, elles font particulièrement l’objet de traités sur leur protection, par exemple celui rédigé par Lazare Carnot en 1811 « De la défense des places fortes ». D’ailleurs, quand elles ne
sont pas bien garnies, la défaite n’est pas loin, l’exemple de la retraite de
Russie de 1812 demeurant suffisamment
évocateur. Mais déjà, la cité, derrière son rempart, devient le lieu même de la
bataille comme en feront l’expérience les soldats français en Espagne à partir
de 1808, en Egypte (lors des émeutes du Caire), ou le général de Bourmont qui prend Alger en 1830 (grâce à ses sapeurs et à son artillerie) mais encore, Napoléon III à
Sébastopol. Sans oublier les révolutions de 1830 et de 1848
qui verront Paris truffée de barricades pour enfin terminer sur l’épisode tragique
de la « Commune » en 1871.
En effet, alors que l’armée de Versailles pénètre dans la capitale, elle doit
reprendre chaque rue et chaque maison aux parisiens révoltés, avant de fusiller
les derniers « communards »
dans le cimetière du Père Lachaise. Certes, les soldats ont été aidés par les
grandes avenues rectilignes percées par Haussmann quelques années plus tôt,
mais beaucoup de quartiers étaient encore structurés autour de ruelles étroites
et sombres. Dès lors, les pertes seront effroyables des deux côtés et la
bataille épuisante, consommatrice en ressources, en canons et en munitions,
tant pour l’assaillant que pour le défenseur. La poliorcétique vit alors une
grande mutation qui n’aura de cesse de s’accélérer dans les décennies à venir.
A suivre…
Frédéric JORDAN
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