Le
24 juillet 2012, monsieur Decool, député à l’Assemblée nationale, posait une
question parlementaire quelque peu originale en interpellant le ministère de la
défense sur l’état de son potentiel colombophile et ce, à l’heure où la Chine
semblait annoncer la formation de plusieurs centaines de milliers de pigeons
voyageurs pour palier une interruption possible des moyens de communication militaires.
Interpellé par ce sujet, j’ai ainsi voulu revenir sur l’histoire des pigeons
pour comprendre leur rôle dans l’évolution des moyens de transmissions mais
aussi, afin de mieux appréhender ce que pourrait être l’usage militaire
contemporain de ces oiseaux messagers.
Nous
verrons donc, dans les lignes qui suivent que les pigeons voyageurs sont liés
depuis longtemps à la guerre mais que l’âge d’or de la colombophilie se situe
au XXème siècle. Dès lors, un emploi de ce vecteur aérien animal sur
les théâtres d’opération actuels paraît délicat voire anachronique.
1-Une
histoire ancienne.
L’Antiquité
rapporte déjà l’utilisation des pigeons pour transmettre les messages entre les
souverains et leurs généraux, comme le relatent des tablettes sumériennes
vieilles de 5 000 ans ou encore, le récit des combats du roi Salomon. Les Romains
eux-mêmes utilisent les volatiles et, en particulier, dans les villes assiégées
pour envoyer des messages à une potentielle armée de secours. C’est le cas de
Decimus Brutus, encerclé dans Modène par Marc Antoine en 43 avant JC, mais
également, celui des marins phéniciens qui parcourent la Méditerranée. Plus tard, à
l’époque des Croisades au Vème siècle, afin d’avoir toujours un
temps d’avance sur les chevaliers européens, les Arabes et les Turcs
développent un remarquable réseau de communication grâce aux pigeons entre les
cités de Damas, de Bagdad, Mossoul, Alep, Le Caire et Gaza. Charlemagne avait
pourtant instauré l’usage des colombiers dans les places fortes de son Empire,
faisant des pigeons un privilège pour la noblesse militaire de son temps.
2-Un
développement et un âge d’or.
Les
colombophiles vont alors développer leurs activités au cours des siècles qui
suivent car il est rapidement établi que cette race de pigeons voyageurs
dispose d’une vision jusqu’à 70 km, d’une vitesse de pointe qui peut atteindre
120 km/h et d’une endurance proche des 1 000 à 1 500 km entre le point de
lâcher et le pigeonnier (et uniquement
celui-là) où l’oiseau a vu le jour. Dès lors, le rôle militaire des
volatiles prend un nouvel essor pendant la guerre franco-prussienne de
1870-1871, le gouvernement français ne pouvant compter que sur les dépêches
(3000 par messagers ailés grâce à l’invention du microfilm) transmises par les
pigeons entre Tours et Paris. De la même façon, alors que les voies de chemin
de fer sont coupées, des ballons amènent plusieurs centaines de pigeons à Paris
pour permettre la liaison entre la capitale et la citadelle de Lille. Forte de
cette expérience, la France décide, en 1877, de créer les premiers colombiers
militaires alors même que le télégraphe se développe mais demeure vulnérable à
l’action ennemie.
Le
premier conflit mondial donnera raison à cette initiative car la guerre de
position, la puissance des feux d’artillerie et la nécessité de transmettre des
messages sur des champs de bataille meurtriers imposent le recours aux pigeons
voyageurs, cordons ombilicaux entre les premières lignes et les postes de
commandement. Si en 1915 on ne compte que 3 pigeonniers mobiles (montés sur
camion ou remorques sous l’impulsion de Léon Beague), ces derniers sont au nombre de 16 en 1916 et et de 350 en 1918. On crée également des
centres d’instruction colombophiles à Montoire ou à Coëtquidan pour former des
militaires à ce moyen de transmissions efficace qui paiera un lourd tribut avec
près de 20 000 oiseaux français tués au combat (gaz, armes à feu,
explosions, captures,…). En zone occupée (nord de la France), les troupes
allemandes craignent l’utilisation de ces animaux sur leurs arrières pour
renseigner les armées françaises et vont jusqu’à interdire leur détention aux
civils des régions concernées. Ils inaugurent également un usage plus complexe
des pigeons en les équipant d’appareils photos programmables afin de prendre,
en toute discrétion des clichés des lignes ennemies.
Pourtant,
l’acte fondateur de la légende colombophile militaire reste l’envoi, par le
commandant Raynal, d’un pigeon, depuis le fort de Vaux (près de Verdun), le 6
juin 1916, pour annoncer une offensive allemande brutale. Le pigeon nommé « Le Vaillant » (matricule 787.15) suscitera d’ailleurs, presque
un siècle plus tard, l’imagination des réalisateurs de dessins animés
américains. Après-guerre, un hommage sera rendu à ces « agents de transmissions par excellence dans
les situations difficiles » en édifiant des monuments comme celui
de Victor Voets à Bruxelles ou la statue érigée près de la citadelle lilloise.
3-
Le déclin et l’usage contemporain.
Malgré
le développement des transmissions, les colombiers seront encore utilisés
pendant le second conflit mondial, par les armées régulières au début de la
guerre puis par la Résistance française. En effet, 16 500 pigeons seront
employés entre la France et la Grande Bretagne pour transmettre informations et
ordres. C’est ainsi que Londres fut prévenu, le 17 mai 1943, par un message
porté par le pigeon « Le Maquisard »,
que 6 sous-marins allemands se trouvaient en rade de Bordeaux sans protection.
Un bombardement de 34 avions Liberator fut alors lancé neutralisant 4 des
submersibles.
On
trouve ensuite encore traces des militaires colombophiles pendant la guerre de
Corée, en Indochine (pour communiquer entre des postes souvent éloignés) et en
Algérie. Cependant, les pigeons furent progressivement remplacés par les systèmes électromagnétiques.
Aujourd’hui,
en France il ne reste plus que 280 pigeons militaires regroupés dans le
colombier du Mont Valérien et entraînés par deux sous-officiers du 8ème
régiment de transmissions. La marine des Etats-Unis, quant à elle, semble en
dresser pour la surveillance maritime car leur vue permet de retrouver des
naufragés à longue distance. Néanmoins, ces animaux et leur remarquable faculté
d’orientation sont très sensibles aux conditions météorologiques, aux odeurs,
évoluent différemment selon l’heure de la journée et doivent surtout être
motivés pour rejoindre le colombier (séparation entre le mâle et la femelle par
exemple). Le pigeon ne reconnaît qu’un seul point d’attache et rencontre des
difficultés sur des distances supérieures à 1000 km. Aussi, à l’heure où les
opérations ne touchent plus uniquement le territoire national, il serait
fastidieux d’élever des oiseaux capables d’intervenir depuis tous les théâtres
du globe sans distinction de terrains, de milieux ou de spécificités
géographiques (en Indochine déjà, les pigeons venus de France ont dû faire l’objet
d’une longue sélection car bon nombre d’entre eux ne supportaient pas la
chaleur et l’humidité). La colombophilie n’est donc probablement pas la solution
pour préserver les armées modernes de la guerre des moyens de communication.
Pour
conclure, l’histoire militaire de la colombophilie remonte à l’Antiquité et a
traversé de nombreux conflits. Les pigeons voyageurs se sont révélés des atouts
précieux pour permettre l’échange d’informations au profit du chef tactique
comme stratégique. Mais les capacités de ces oiseaux d’exception, si elles ont
montré une grande efficacité pendant la Grande guerre, ont progressivement dû s’effacer
devant les progrès techniques puis les transformations de la conflictualité.
Frédéric JORDAN
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