Néanmoins, la défaite de 1870 impose aux
penseurs tactiques de faire le choix entre l’héritage du passé ou la rupture
avec les dogmes passés. En France, Clausewitz a largement influencé les jeunes
officiers français qui vont entretenir le mythe de l’offensive à outrance censée
faire reculer l’adversaire par des modes d’action alliant masse, assauts
frontaux, choc et artillerie de campagne exclusivement dédiée à l’appui des
troupes au contact. Ce que l’on appelle les "jeunes Turcs" -très bien décrits dans l’ouvrage du colonel
Goya ("La chair et l’acier")-
conduits par le colonel Grandmaison sont ainsi les apôtres de ces
théories : "Dans l’offensive,
l’imprudence est la meilleure des sûretés… Il faut se préparer à la méthode qui
puisse forcer la victoire en cultivant, avec passion, avec exagération et
jusque dans les détails les plus intimes de l’instruction, tout ce qui porte,
si peu que ce soit, la marque de l’esprit offensif. Allons jusqu’à l’excès et
ce ne sera peut-être pas assez".
D’autres, comme le général Lewal ou le
futur maréchal Foch, en créant l’école supérieure de guerre et en y enseignant,
tentent de développer la réflexion doctrinale et l’émergence de principes
fondateurs pour la conduite de la bataille. Foch, influencé par son professeur,
le colonel Millet cherche à adapter la tactique à l’évolution technique de
l’armement et au pouvoir destructeur du feu et ce, grâce à la vitesse de la
manœuvre, à l’exploitation de chaque opportunité ainsi qu’à la conquête de
points clés. Dans ses ouvrages comme "La
conduite de la guerre" il théorise dans le détail sa vision, même
s’il aura lui-même bien des difficultés à la mettre en œuvre face aux réalités
de la première guerre mondiale. Il décrit ainsi trois principes qui forgent le
cœur de sa pensée. Tout d’abord, la liberté
d’action ou capacité à agir. Il s’agit de conserver le libre choix pour
choisir les moyens de remplir la mission en tenant compte des contraintes
amies, du terrain ou de l’adversaire. Puis l’économie
des moyens qui représente à la fois une bonne répartition des forces mais
aussi la préservation du potentiel dans la durée. C’est bien la recherche d’une
disponibilité des moyens au bon moment et au bon endroit pour faire face aux
évolutions de la situation. Ce principe fait appel à deux facteurs
particuliers : l’expression claire du choix de l’objectif majeur et
l’affectation raisonnée des forces à des ensembles tactiques (groupements ad hoc, différences entre action principale
et opérations secondaires…). Enfin, Foch met en exergue la sûreté qui tient uniquement à la constitution de réserves face aux
frictions du champ de bataille.
Dans un autre registre, des auteurs
anglo-saxons mais aussi les généraux issus de la conquête coloniale comme
Charles Calwell, le général du Barail ou encore le maréchal Lyautey
réfléchissent déjà sur ce que l’on nomme les "petites guerres", sur des théâtres (que l’on qualifierait
aujourd’hui d’asymétriques) où il faut lutter contre les tribus d’Afrique du
nord, les soldats du Mahdi au Soudan ou les cavaliers tatares.
Malheureusement, l’enfer de la première
guerre mondiale semble sonner, pour un temps le glas de la réflexion doctrinale
et la pensée tactique (du moins jusqu’en 1918) mais nourrit l’expérience d’une
nouvelle génération de penseurs.
2.4
L’héritage des deux guerres mondiales.
Suite aux expériences du premier conflit
mondial, les britanniques Liddell Hart et Fuller développent la théorie de
l’approche indirecte basée sur la souplesse tactique, la recherche de
l’opportunité, les manœuvres enveloppantes ou encore l’action sur les arrières
comme sur les lignes d’approvisionnement de l’adversaire. Liddell Hart publiera
ainsi 27 livres entre 1918 et 1950 et inspirera les états-majors allemands de
l’entre-deux guerres. Rommel écrira d’ailleurs à son propos : "Les Anglais auraient évité la plus grande
partie de leurs défaites s’ils avaient mieux étudié les théories modernes
exprimées par ce penseur".
En effet, l’auteur s’appuie sur
l’histoire militaire pour convaincre ses lecteurs que :
- la dislocation physique et
psychologique de l’ennemi précède sa défaite ;
- c’est la mobilité et non la masse qui
est efficace en tactique ;
- Clausewitz a défiguré la doctrine de
Napoléon.
Un de ses exemples phare pour illustrer
son propos sera la puissance de la cavalerie mongole de Genghis Khan dont
l’organisation pourrait être transposée à l’emploi des blindés.
A suivre …
Carl Philipp Gottlieb von Clausewitz
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