Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mardi 22 janvier 2013

Enseignements tactiques du "Renard du désert" (actualisé).

Une fois n'est pas coutume, en miroir à l'actualité militaire africaine, je vous propose de redécouvrir sans commentaire, quelques enseignements de celui qui fut surnommé, le "Renard du désert", le maréchal Rommel. Ses carnets, réédités en 2010, donnent un aperçu de sa réflexion tactique dans ce milieu si particulier qui vit l'engagement de l'Afrika Korps de 1941 à 1943. Ses écrits, empreints d'une riche expérience et d'un pragmatisme affirmé, permettent d'aborder des principes de la guerre mais aussi des modes d'action adaptées aux zones désertiques. Ces dernières sont d'ailleurs comparées, par l'auteur, à des étendues maritimes dans lesquelles le mouvement demeure la force du vainqueur : « La guerre mobile dans le désert a souvent été comparée, et à juste titre, à la guerre sur mer, où il est tout à fait déconseillé d’attaquer par petits paquets et de garder la moitié de sa flotte au port durant la bataille. »
Bonne lecture...





1- De la logistique et des appuis...
Rommel, confronté à des difficultés logistiques importantes (son allié italien ne tenant pas les engagements pour assurer le pont aérien et maritime nécessaire à sa campagne), voit sa manoeuvre entravée par les contraintes ou les impératifs mis en avant par ses responsables du soutien. Il conseille donc au tacticien de s'intéresser aux questions logistiques et de s'investir dans la planification du ravitaillement. Il es persuadé également qu'une action menée sans appui (feux en particulier) est vouée à l'échec.

« Lorsque la poursuite est abandonnée sur l’avis des officiers d’intendance, après qu’une grande victoire a détruit l’ennemi, l’Histoire, presque invariablement, juge cette décision mauvaise et souligne les immenses occasions négligées. Il se trouve toujours, naturellement, des militaires académiques, prompts à invoquer des statistiques et des précédents, pour démontrer que ce jugement est faux. Mais l’évènement lui est d’un autre avis ; il est fréquemment arrivé, dans le passé, qu’un général aux très hautes capacités ait été défait par un adversaire moins intelligent mais plus énergique. Le mieux, pour le chef militaire, est de se faire une idée nette et personnelle des véritables possibilités de ses organismes de ravitaillement et de fonder toutes ses demandes sur ses propres estimations. Il oblige ainsi les chefs de l’intendance à agir avec plus d’initiative et, malgré leur mauvaise humeur, à fournir un rendement bien supérieur à celui qu’ils auraient eu s’ils étaient restés livrés à eux-mêmes. »

« Un autre facteur travaillait contre nous : le fait que la Luftwaffe d’Afrique n’était pas subordonnée à l’Afrika Korps. Elle utilisait ses chasseurs et ses troupes de bombardement au sol à des tâches stratégiques plutôt qu’au soutien tactique de l’armée de Terre. »


« Au cours de cette offensive, nous avions appris une importante leçon, qui devait influencer nos plans futurs et toute notre conduite ultérieure de la guerre : c’est que les possibilités d’opérations au sol, tactiques et stratégiques, deviennent extrêmement limitées à partir du moment où une puissante aviation ennemie a la maîtrise de l’air et peut se livrer à des attaques massives, menées par des formations de bombardiers lourds libérés de tout souci pour leur propre sécurité. »


 2- De la diversion et de la déception.
Riche  de sa culture opérative et historique, Rommel sait que le facteur psychologique peut, pendant un temps, contrebalancer un rapport de force défavorable. Aussi, mise-t-il sur la déception pour intensifier le brouillard de la guerre.
« Afin de tromper les Britanniques sur notre force réelle et à les inciter à la prudence, je fis fabriquer, dans des ateliers,…, un grand nombre de carcasses, qui montées sur des Volkswagen, offraient une similitude troublante avec des chars de combat. »

« De plus en plus, nous constations à quel point l’ennemi surestimait nos forces. Il fallait absolument maintenir les Britanniques dans l’erreur et leur faire prendre notre équipée pour une offensive de grand style. »

 3- De la maîtrise de l'espace-temps.
Rommel sait qu'un bon tacticien doit prendre en compte dans la conception de la manoeuvre le tempo de la bataille ainsi que l'influence du milieu sur tel ou tel mode d'action. Fidèle à la formation de l'armée allemande de l'époque, il privilégie le commandement de l'avant.
« Pour un commandant d’unité, le laps de temps assigné pour l’exécution d’une opération constitue un impératif catégorique ; son seul but doit être de remplir sa mission dans le délai imparti. »
« Un commandant en chef se doit de posséder une bonne connaissance du terrain, de connaître la position ennemie et celle de ses troupes. C’est souvent la meilleure vue d’ensemble qui emporte la décision sur le champ de bataille et non la plus grande habileté tactique de l’un ou l’autre des généraux opposés. »



« Dans la retraite, il faut obliger l’ennemi à mener un maximum de marche d’approche pour l’user et étirer ses lignes de communication. »
 4- Des principes de la guerre.
Ces principes et leurs fondements, du centre de gravité à la liberté d'action en passant par le mouvement peremettent de favoriser l'offensive à la défensive dans le désert mais aussi de surprendre l'adversaire. Il défend l'audace, la mobilité et la concentration des efforts.
« La courbe des pertes monte en flèche dès qu’on renonce  à la guerre de mouvement en faveur de la guerre de position. Dans la première, le matériel ne joue de rôle prépondérant que dans la mesure où il se fait l’auxiliaire du soldat. Sans chars, sans canons, sans camions, le meilleur soldat ne sert à rien dans la guerre de mouvement. Il suffit de détruire les chars pour anéantir la puissance combative d’une armée mobile, sans que, pour cela, on ait à déplorer des pertes humaines importantes. Il en va autrement dans la guerre de position. A condition qu’il soit protégé des chars par des obstacles ou des armes défensives, le fantassin conserve toute sa valeur, avec son fusil et ses grenades à main. Pour lui l’adversaire numéro 1 reste le fantassin. Par voie de conséquence, la guerre de position vise à la destruction du combattant, contrairement à la guerre de mouvement, dans laquelle seule compte l’anéantissement du matériel adverse. »
« Souvent la troupe fait preuve d’audace dans le temps où il s’agirait d’être prudent. Puis les pertes ainsi encourues l’invitent à la prudence, au moment où l’audace devient vraiment nécessaire. »
« Il suffit souvent, pour gagner une bataille, de procéder au déplacement du centre de gravité au moment où l’adversaire s’y attend le moins. »
« Il n’était pas sans savoir qu’un chef de guerre doit renoncer à toute action qui permet à l’adversaire, combattant sur ses positions, de se concentrer contre des forces attaquantes localement inférieures en nombre. »
« Les plans les plus simples sont souvent les plus efficaces. »




« L’expérience prouve que les décisions les plus audacieuses assurent les plus belles promesses de victoire. Mais il y a lieu de bien distinguer l’audace stratégique ou tactique du coup de dés. »


« Pour être efficace, la défense doit être offensive. Certes, les lignes de défense fortifiées peuvent présenter un très grand intérêt en prévenant l’ennemi d’entreprendre quoi que ce soit dans un secteur important. Mais, sous aucun prétexte, il ne faut dégarnir la défense mobile au profit des lignes fortifiées. »
Ayant fait siens les grands principes de la guerre, il donne, à son tour, sa vision de la tactique et de ses enseignements pour préparer les engagements de l'avenir. Il défend l'innovation, la planification des opérationsdans leur ensemble et surtout le choix du chef qui permet de donner de l'âme à un plan et à une manoeuvre.
« De cette campagne d’unités mobiles en Afrique, certains principes se dégagent, qui ne sont nullement semblables aux enseignements des autres fronts. Ces principes constitueront  la norme de la guerre à l’avenir, où l’emploi des formations entièrement motorisées sera certainement prédominant :
-l’encerclement et l’enveloppement sont tactiquement intenables.
-la rupture de l’encerclement est toujours possible.
-la manœuvre d’usure doit être favorisée.
-les lignes d’approvisionnement doivent être protégées, celles de l’ennemi attaquées.
-les rapports de reconnaissance doivent parvenir au chef dans les plus brefs délais.
-la rapidité de mouvement et la cohésion dans l’organisation des unités sont des facteurs décisifs.
-la dissimulation est d’une extrême importance dans la conduite des opérations.
-il est recommandé d’user de ruses et subterfuges de toutes sortes, ne serait-ce que pour semer l’incertitude dans l’esprit du commandement ennemi, l’amener à se retenir, à hésiter.
-une fois l’ennemi sérieusement malmené, on doit exploiter l’avantage qu’on s’est assuré.
-il ne faut jamais laisser le temps à un adversaire de se réorganiser. Il est essentiel de regrouper ses propres forces avec la vitesse de l’éclair, en vue de la poursuite. L’approvisionnement des éléments de poursuite est alors primordial. »
« Les problèmes militaires, à les considérer avec rigueur, ne comportent pas de solutions idéales. Il y a le pour et le contre de n’importe quelle disposition. Il faut choisir celle qui semble la meilleure sous le plus grand nombre possible de point de vue. Puis poursuivre l’exécution résolument, en acceptant toutes les conséquences. Le compromis est toujours désastreux. »
« La peur de l’innovation est la caractéristique typique d’un corps d’officiers qui a grandi à l’intérieur d’un système éprouvé, garanti. Cette peur avait déjà causé la défaite de l’armée prussienne devant Napoléon et elle devait se manifester de façon patente au cours de cette guerre-ci, tant en Grande Bretagne qu’en Allemagne. A force d’avoir l’esprit fixé sur des théories abstraites, certains officiers avaient perdu la faculté de s’adapter au réel. La doctrine militaire avait été mise au point jusqu’au moindre détail et ils en étaient venus à considérer qu’elle incarnait le summum de la science militaire, au-delà duquel il n’y avait plus rien. La pensée stratégique, pour leur paraître acceptable, devait donc suivre des règles étroitement standardisées. Tout ce qui s’en écartait était pris pour un coup de dés, une pure gageure, et la réussite éventuelle attribuée à la chance ou à l’accident. »
« Dans la guerre motorisée, un des facteurs décisifs réside dans la rapidité avec laquelle se déroulent les opérations et dans la promptitude de réactions du commandement. »
5- Du rôle du chef.
Le général, comme il le montrera dans le désert comme au cours de la campagne de France, joue un rôle majeur dans la préparation, la conduite et l'exploitation d'une action tactique. L'état-major ne reste que le multiplicateur du "génie" opérationnel de son chef.
« J’estime, quant à moi, que les obligations du commandant en chef ne sont pas limitées au travail qu’il accomplit dans son état-major. Il doit au contraire se préoccuper toujours des détails, se montrer fréquemment sur le front pour s’assurer personnellement de l’exécution de ses ordres. »
« Le commandant en chef doit aussi veiller sans cesse à ce que les données et les expériences les plus récentes soient portées directement à la connaissance de ses troupes et exiger qu’on en tienne effectivement compte dans l’action entreprise. »
« Pour le chef, l’impression personnelle qu’il retire d’une inspection sur le front et la connaissance des problèmes que ses subordonnés ont à résoudre est un avantage précieux. Il n’a pas d’autre moyen de corriger ses vues à priori et de les adapter aux situations nouvelles. En revanche, s’il dirige le combat à la façon d’un joueur d’échecs, il sera toujours obnubilé par ses connaissances théoriques et séduit par ses propres manières de voir. Il est avéré qu’un chef d’armée qui prend ses décisions en fonction de l’évolution de la situation a toujours obtenu de meilleurs résultats que celui dont les directives sont déterminées par l’application mécanique d’un plan préconçu. »
« C’est parfois un inconvénient que de jouir d’une certaine réputation de chef militaire ; on connaît soi même ses limites alors que les autres attendent de vous des miracles et attribuent vos défaites à un manque de bonne volonté. »
« C’est une grave erreur, que d’essayer de remettre de l’ordre dans les unités qui ont été prises de panique et ont perdu leur structure régulière avant que cela puisse se faire tranquillement et calmement. Il faut simplement les laisser courir et canaliser graduellement leur fuite vers des routes ordonnées. Au bout de quelques jours, les troupes reprennent confiance, éprouvent le besoin de retrouver leur discipline et l’on peut les réorganiser sans difficultés. »

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