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samedi 8 août 2015

La tactique des barbares : entre Antiquité et Moyen-Âge.


C’est une période peu évoquée que les invasions barbares à la fin de l’Antiquité. Pourtant ce sont elles qui, notamment, vont sonner le glas de la puissance romaine tant militaire que politique. Pourtant, en matière de tactique, il apparaît intéressant de revenir sur les modes d’action de ces belligérants, souvent définis comme cruels et violents mais dont la mobilité, l’organisation et les armes apportent de larges enseignements opérationnels. Pour étudier cela, nous nous appuierons donc sur les travaux et écrits du capitaine Edouard de la Barre Duparq qui, en 1860, faisait paraître son « histoire de l’art de la guerre » évoquant, dans son ouvrage les premiers peuples (chinois, assyriens, égyptiens, juifs, perses) jusqu’aux conflits du XIXème siècle en passant par les Romains, Philippe Auguste, Frédéric Le Grand et Napoléon.
 
La période étudiée traitant des « barbares » est une passerelle militaire entre l’Antiquité et le Moyen-Age. L’auteur débute son étude par les Germains dont il vante les vertus guerrières toutes entières tournées vers la guerre. Leur arme principale demeure la framée, « sorte de demi-pique légère garnie d’une pointe de fer courte et aigue qui peut s’utiliser de près ou se dardait de loin ».

S’ils disposent d’une cavalerie, les Germains privilégient le combat à pied et on parle davantage d’une infanterie montée, celle-ci permettant les escarmouches et la rapidité dans la manœuvre. Les fantassins utilisent, quant à eux, la formation en phalanges très compacte mais, à l’imitation, peuvent aussi mettre en œuvre la « tortue romaine » ou le « coin » pour briser le bloc adverse. Les positions fortifiées sont assez rudimentaires car les Germains usent avec intelligence du terrain et s’installent sur des lieux protégés par nature, entourés d’eau, de bois et de montagnes (marais d’Arioviste par exemple).
Pour ce qui est des Goths (Ostrogoths et Wisigoths), ils mènent des raids audacieux (Théodoric en Italie) principalement avec une infanterie légèrement protégée (bonnet de fer, bouclier) mais indisciplinée. Certains de leurs esclaves se battent à leurs côtés pour augmenter les effectifs et il semble que la guerre de siège ne soit que mal maîtrisée par ces peuples.
En revanche, les Vandales, qui se jettent sur l’Afrique, montrent une réelle faculté d’adaptation militaire. Rapidement, ils abandonnent leur organisation par tribus et bandes pour se diviser en 80 cohortes d’égal effectif, de 1000 hommes chacune, se fractionnant elles-mêmes en groupes de 100 combattants puis en détachements de 10 guerriers. C’est une structure finalement asez moderne et toujours pratiquée aujourd’hui (régiment, compagnie, groupe de combat). Ils combattent tous à cheval, employant en complément des archers mercenaires maures, et ils basent leur mobilité tactique sur des flottes de navires qui leur permettent des incursions surprise, brèves mais violentes. En revanche, craignant les fortifications ils abattent les murailles des villes conquises ou soumises, ce qui les privera de places fortes face à leurs ennemis et les conduira à leur perte.
Quant aux Francs, ils combattent presque exclusivement à pied (bataille de Casilin en 553) et sont équipés d’un bouclier étroit (bois ou osier couvert de cuir), d’une hache (francisque), d’une épée et d’une courte pique (hang). « Dans la lutte, il lançait contre le bouclier de son adversaire son hang qui s’y maintenait par le crochet de son fer et le faisait baisser par son poids, puis cherchait à frapper à toute volée du tranchant de sa francisque son ennemi découvert. L’infanterie franque combattait, comme celle des Germains, tantôt en phalange, tantôt en coin (colonne) et couvrait la tête et les flancs de sa formation d’une haie de boucliers contigus, pour atténuer l’effet des traits auxquels malheureusement elle n’avait à opposer de loin ni projectiles ni armure ; elle attaquait avec une grande vitesse et en jetant des cris terribles ».
Viennent ensuite les Huns, ce peuple nomade fait de cavaliers endurcis capables de se déplacer sur d’immenses distances en se contentant de leurs montures et de leurs chariots comme seuls logis. Leurs assauts sont comme des vagues successives et ils attaquent en masse, l’épée à la main, mais également avec un filet de lancer redoutable qui devient un piège mobile.
Le capitaine de la Barre Duparq aborde ensuite, assez succinctement, les Vikings (ou Normands) dont il souligne les qualités de marins et les incursions profondes, les Hongrois dont les archers montés rappellent les Parthes orientaux qui défirent les légions romaines à Carrhes (53 avant JC), et les Sarrasins dotés d’armures élaborées et de protections pour leurs chevaux. Ces derniers pratiquent déjà la manœuvre dite de « Caracole » qui sera reprise à la Renaissance avec l’avènement des mousquets dans la cavalerie. Ils disposent de l’épée, de la lance courte mais aussi de l’arc, combattent sur deux lignes en « voltigeurs » et maîtrisent la poliorcétique (machines de siège, fortifications,…), e qui est assez rare à cette époque.
 
De ces exemples divers que nous livre l’auteur, nous pouvons déduire un certain nombre d’enseignements. Tout d’abord, ces peuples mettent en avant leur mobilité opérative pour prendre l’ascendant sur leurs adversaires qui sont surpris par ces masses qui se déplacent vite, frappent violemment avant d’esquiver toute réaction. De la même façon, leurs assauts brutaux comme leur indiscipline alimentent l’impression de horde sauvage tout comme les cris, les tenues, la cavalerie et les masses engagées. Ce facteur leur donne ainsi l’ascendant moral au moment du combat, fragilisant la motivation de ceux qui tentent de les combattre. Néanmoins, derrière cette apparente anarchie se dissimule, de manière plus ou moins formelle, un art de la guerre basé sur le choc, la fulgurance, la surprise et ce qu’on appellerait aujourd’hui un combat tournoyant coordonné. L’ennemi est ainsi déstabilisé puisque sa cohésion est brisée par une combinaison associant harcèlement, combat au corps à corps puis poursuite lors de la retraite. En outre, ces barbares empruntent au besoin les techniques des armées qu’ils rencontrent et, contrairement aux idées reçues, ne dédaignent pas leur sûreté (couverture des flancs, protections individuelles,…). Pourtant, à l’aube du Moyen-Âge, culturellement, la plupart de ces combattants demeure assez peu acculturée au combat des places fortes, à leur conception comme à leur siège. Les « barbares » utilisent en effet le milieu, la peur et le mouvement pour fonder leur supériorité stratégique qui ne peut, dès lors, qu’être éphémère car ils ne tiennent pas le terrain. Cette conclusion vaut d’ailleurs encore aujourd’hui dans les guerres contemporaines où l’on ne peut espérer la victoire que par un déploiement au sol conséquent, dans la durée et adapté à la menace.  

Source image : Gallica

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