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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mercredi 19 août 2015

La tactique « françoise » : retour sur la pensée militaire de 1792, réformer pour gagner (2/2).


Nous poursuivons notre étude des thèses tactiques de monsieur Dupuy-Lauron, maréchal des camps et des armées. Il cherche, au travers de ses réflexions, redonner de la vigueur à l’art de la guerre français et ce en rénovant sa singularité tout en le basant sur les principes généraux éprouvés par l’histoire militaire.
Son originalité vient de sa pensée « interarmes » qui l’anime, de sa rupture avec les dogmes de son époque et de la recherche d’une bonne adéquation entre les formations adoptées et l’ennemi, le terrain ou les circonstances.
Aussi, prône-t-il la création de « régimenteries », c’est-à-dire un corps composé de plusieurs régiments et fort de 5000 hommes (comme les légions romaines si chères à l’auteur).

Ce corps, divisible en 2 brigades (sorte de prémice de la structure divisionnaire), doit « réunir en lui toutes les armes, tant à pied qu’à cheval, tant pesantes que légères, tant de jet que de main, tant courtes que longues, qu’il est possible d’employer à la guerre ». Il craint d’être raillé pour son audace sémantique et intellectuelle et prépare, à la fin de l’ouvrage une série de 11 objections pour lesquelles il rédige des réponses argumentées. Il constitue ce que l’on appellerait aujourd’hui des éléments de langage. Son articulation novatrice doit permettre, selon lui, de combattre en combinant les principes de Grecs, des Romains et des grands généraux modernes, l’ensemble soutenu par l’audace, la valeur et l’impétuosité nationale : « ces corps redonneroient au génie, à l’honneur françois, toute son ancienne énergie, rendroient encore une fois à la France ce qu’elle fut si longtemps, l’admiration et la terreur de tous ses ennemis ».
Chaque « régimenterie » serait donc composée de deux brigades, chaque brigade de deux régiments. Chaque régiment compterait deux bataillons de tridentiers, d’un bataillon de fusiliers, d’un escadron de cavalerie ainsi que de trois compagnies détachées (grenadiers, chasseurs et chevau-légers). Une batterie d’artillerie, avec des pièces longues et courtes, demeure à la main du chef. On est très proche du modèle des GTIA (groupements tactiques interarmes actuels) et des brigades interarmes. La structure de chaque bataillon en compagnies (4 pour l’infanterie), en escadrons (3 pour la cavalerie) puis en « lieutenances » (sections de notre époque) et « sergences » (groupes de combat) montre une vraie réflexion et une approche visionnaire vis-à-vis de ses contemporains. De la même façon, il réfléchit à l’équipement du combattant, armure ou corsetet (protection du soldat), au casque ou encore aux chaussures, sans compter son attention sur les couleurs afin de mieux distinguer les diverses unités sur le champ de bataille. Il construit les effectifs de ces « régimenteries » avec 4727 soldats ou sous-officiers et 219 officiers dans les unités. Les Etats-majors à tous les niveaux sont adaptés avec 24 hommes pour le poste de commandement général et 30 cadres par régiment déployé. Chaque fonction est présente, des chirurgiens aux fourriers, trésoriers, vivandiers et armuriers-fourbisseurs (logistique et soutien), en passant par les aides de camp, trompettes, tambours (transmissions).
Pour le combat, Dupuy-Lauron a mis au point son ordre fondamental (explicité dans la première partie) puis l’adapte en fonction du terrain, privilégiant, par exemple, la cavalerie en première ligne sur terrain ouvert. Il met en avant, notamment pour les marches à l’ennemi, la colonne et la profondeur des dispositifs et ce, comme Napoléon le fera moins d’une décennie plus tard. Il fait preuve d’une réelle innovation doctrinale dans une période compliquée pour les forces armées françaises largement déstructurées par les crises révolutionnaires et la fuite des cadres. C’est une première synthèse, fort peu entendue il est vrai, des penseurs militaires des XVII et XVIIIème siècles ainsi que des enseignements du passé. Elle trouvera son aboutissement en partie dans la Grande Armée avec le génie tactique de l’Empereur.
Cet ouvrage ancien montre qu’il faut savoir remettre en cause les choix opérationnels du moment pour s’adapter aux nouveaux équipements ou aux théâtres d’opérations potentiels et ne pas hésiter à réformer ses modes d’action pour gagner la guerre de demain mais sans jamais oublier son passé.

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