Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

dimanche 8 janvier 2012

La BD au service de l'histoire militaire : de la mémoire à l'influence.

Qui n’a jamais eu entre ses mains une bande dessinée racontant le débarquement de Normandie ou mettant en scène un militaire allié, dans un de ces livrets bon marché en noir et blanc et aux couvertures souples («Sergent Guam »,  « Attack ! », « Garry »,…) ?
Déjà sous l’Antiquité, le dessin était un des moyens de relater les combats et les épopées passées, tout en cultivant l’image du héros. Dans la continuité d’un mouvement initié à l’aune du XXe siècle, la BD consacrée à l’histoire militaire a pris aujourd’hui une place importante pour illustrer la guerre et ses acteurs. Mike Conroy en a d’ailleurs fait un livre et explique en citant Verlaine, qu’il n’entend pas glorifier la guerre mais « retracer les parcours entachés de sang qu’a suivi l’Homme de ses origines primitives à son prétendu statut de civilisé ».
Dès lors, si le 9ème Art participe effectivement à un effort de mémoire et de pédagogie nécessaire à nos sociétés, il n’en demeure pas moins un formidable outil de communication pour promouvoir la Défense et influencer les perceptions au profit des belligérants en temps de paix comme dans le cadre d’opérations passées, présentes et à venir.

Une autre façon de raconter l’histoire ou l’actualité…


La BD a, dès le début du siècle dernier, été utilisée pour narrer les combats du passé, en particulier dans le monde anglo-saxon et ce, pour tenter de décrire voire exorciser les traumatismes de la guerre de sécession (depuis 1968 cette volonté s’inscrit dans l’écriture des aventures des « Tuniques bleues » qui dénoncent l’absurdité de la guerre civile). Plus tard, elle est devenue une formidable arme de propagande notamment pour la Grande guerre où même Bécassine vantait les vertus d’un patriotisme à outrance et le besoin de revanche.  De même, pendant les années 1930 puis la seconde guerre mondiale on vit apparaître des unités et des agents luttant face à des hordes de soldats nazis dans les scénarii manichéens des nombreux « war comics ».


Cet élan s’est accentué avec l’édition d’albums consacrés à la guerre de Corée et du Vietnam afin de donner une image plus acceptable à des conflits dépeints, par les médias traditionnels, comme des bourbiers ou des tueries inacceptables. Elles servent également à glorifier l’engagement du soldat (Sergent Rock de Billy Tucci) ou à témoigner, avec humour ou gravité, du quotidien du soldat (« Mon dernier jour au Vietnam » de Will Eisner  ou « opération mort » de Shigeru Mizuki).
Dans le même temps, la bande dessinée catalyse les peurs liées à la guerre froide (« Tintin au pays des Soviets »), à « l’espionnite » paranoïaque de l’époque (« Blake et Mortimer ») et même, à la guerre nucléaire et ses conséquences.
Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses associations, des institutions et des éditeurs à vocation scolaire ont publié de nombreuses BD décrivant, avec pédagogie, les évènements vécus par certaines unités (épopée de la 1ère armée française[1], combats de la Légion, sacrifice des Turcos dans les tranchées[2],…) ou le déroulement de batailles et de guerres (débarquement de Normandie, Verdun, Dien Bien Phu[3],…). Ceci semble faire écho au besoin, pour nos sociétés occidentales, de réaffirmer la nécessité de maintenir le souvenir militaire comme en témoignent les initiatives récentes (projets de loi sur le devoir de Mémoire, commémorations,…) ayant pour but de renouer le lien distendu entre la Nation, son passé et son armée. Néanmoins, il semble y avoir une tendance plus profonde avec un intérêt de plus en plus fort pour la bande dessinée historique qu’elle aborde la Rome antique, le monde médiéval, l’empire napoléonien[4] ou les conflits du XXe siècle. Certains sociologues et auteurs y voient, pour nos sociétés post-belliques[5], une nostalgie d’une grandeur passée en cette époque de crise tant économique que morale, mais aussi un attachement aux valeurs véhiculées par le guerrier et son sacrifice, voire une forme d’héroïsme romantique (recherche du personnage  emblématique chargé d’espoir)[6].
En tout état de cause, la BD offre l’opportunité de développer, par le dessin, la connaissance de l’histoire militaire, des acteurs de cette dernière ainsi que de l’évolution technique ou doctrinale de l’art de la guerre.


La conduite de la guerre vue par la bande dessinée


Grâce aux albums de BD, dès les années 1960, on voit apparaître des ouvrages très bien documentés qui permettent d’illustrer la tactique, la stratégie, les armements mais aussi les méthodes de combat de tel ou tel protagoniste. C’est ainsi que « C’était la guerre » de Tardi ou la série des « Sentinelles » de Xavier Dorison détaillent de manière juste et objective le champ de bataille ainsi que les évènements de la première guerre mondiale. C’est sans compter la mine d’or aéronautique apportée par les aventures de Buck Dany qui traverse les conflits de la deuxième moitié du XXe siècle. D’ailleurs des auteurs cherchent à étudier ce décryptage de l’histoire bataille comme « La résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours » de Libel ou « La propagande dans la BD » de Frederick Strömberg. Les grands chefs militaires sont également étudiés, de Vercingétorix à De Gaulle en passant par Charlemagne ou Napoléon. Mais c’est Sun Tzu et ses préceptes qui remportent les suffrages avec la traduction en BD de son « art de la guerre » dans l'album de R.Peyrelon aux éditions You Feng. Cependant, au-delà du simple aspect historique, la BD prend, plus que jamais et de façon plus indirecte que par le passé, une place dans les stratégies d’influence.
Mais un formidable outil de communication et d’influence

Aujourd’hui, la BD est utilisée pour légitimer certaines opérations militaires a postériori et les rendre plus populaires aux yeux de l’opinion publique. L’adversaire est diabolisé, quitte à transformer la réalité et le déroulement des évènements. C’est le cas, par exemples, de l’intervention en Libye qui a conduit à la publication de fictions sur Khadafi[7] , de livres plus didactiques comme « Une histoire populaire en Libye » d’Howar Zinn et finalement, une aventure à la gloire de l’OTAN « Airborne Jack dans l’enfer de Misrata ».
Dans un autre registre, la bande dessinée est un vecteur pour défendre une opinion, une vision des choses et les populariser comme le fait l’Israélienne Rutu Modan avec « Exit Wounds » ou  même le Français Tardi dans ses trois opus dénonçant la guerre 1914-1918 (« Putain de guerre »). D’autres cherchent à faire de la BD un nouvel outil de journalisme pour décrire simplement les situations dont ils ont été les témoins à l’instar de Joe Saco dans les albums « Palestine » et « Tripoli après » ainsi que les « True comics » comme « Kamel le sauveur du croissant rouge » et « Freedom figther in Ras Lanuf ».
Enfin, afin de faciliter le recrutement, valoriser leur image et même défendre leur budget ainsi que l’industrie de défense nationale, les armées occidentales utilisent la BD dans le cadre de leur communication institutionnelle. En France, c’est ainsi que le 4ème numéro d’« Unité Félin »[8] vient de paraître, décrivant l’action de soldats français dans le monde entier et utilisant tout le panel de l’armement moderne disponible, du VBCI[9] à l’hélicoptère Tigre en passant par les systèmes numérisés du champ de bataille.


Pour conclure, la bande dessinée demeure un outil d’étude pour ceux qui s’intéressent à l’histoire militaire tout en participant à l’éducation des plus jeunes dans le cadre du devoir de Mémoire ou tout simplement de la compréhension des enjeux stratégiques d’hier et de demain. Parfois utilisé comme une arme de propagande, elle est aujourd’hui un vecteur d’information, un canal d’expression mais elle s’inscrira de plus en plus dans les stratégies d’influence des forces armées tant en direction de leur opinion publique que d’organisation internationale ou d’adversaires potentiels.
Comme nous le soulignions dans un précédent article, l’uchronie permet d’aborder l’histoire militaire ou bataille sous un nouvel angle, la BD prenant toute sa part à ce style avec par exemple l’auteur de « Jour J » et ses chroniques du futur.


[1] « L’extrarordinaire épopée Rhin et Danube, Georges Brient, éditions Lavauzelle, 1989.
[2] « Turcos, le jasmin et la boue », Tarek, éditions Tartamudo, 2011.
[3] « La Légion, Dien Bien Phu », Philippe Glogowski, Marien Puisaye, éditions du Triomphe, 2004.
[4] « Les oubliés de l’Empire », Eudéline-Dimitri-Vette, éditions Horizon, 2007.
[5] Gérard Chaliand.
[6] « Réminiscences de guerre », Henry Rousso, Revue Images et sons, 1984.
[7] « Zombie Khadafi’s revenge », Weird War Tales, 2011.
[8] Editions Zephyr, Frédéric Zumbielh.
[9] Véhicule blindé de combat d’infanterie.


3 commentaires:

  1. Très bon billet, étant lecteur assidu de BD à fond historique depuis quelques années, j'ai apprécié la lecture.

    Cordialement.

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  2. bravo frédéric pour ce bel effort d’éclectisme. je découvre avec intérêt l'existence de BD mettant en scène le Felin et le VBCI... voilà une piste à exploiter pour nos jeunes EVAT !

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  3. Les illustrations du la guerre en Libye semblent toutes tirées de ce billet http://blog.slate.fr/des-bulles-carrees/2011/10/25/la-vengeance-du-zombie-kadhafi/ qui les présente comme un exercice de style de son auteur Laureline Karaboudjan.

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