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jeudi 19 janvier 2012

Lutte contre la piraterie maritime : l’approche globale est-elle possible ?


Alors qu’en 2010, 445 attaques de pirates ont été enregistrées tout autour du globe du détroit de Malacca aux côtes somaliennes en passant par le golfe de Guinée, et que des opérations militaires internationales ont été mises en place pour sécuriser les voies de communication maritimes, il convient de s’arrêter sur l’histoire de la piraterie, ses continuités et ses ruptures mais surtout sur les moyens mis en œuvre, hier et aujourd’hui, pour l’affaiblir ou l’éradiquer. Ainsi, il sera intéressant de s’interroger sur la viabilité d’une « approche globale » ou « comprehensive approach » dans la gestion de ce fléau millénaire. Cette démarche s’inscrira dans l’étude des diverses réponses envisagées pour contrer cette menace. Nous reviendrons dans un premier temps sur la mise en perspective historique de ce phénomène puis sur ses causes, ses modes opératoires et ses conséquences avant d’envisager les ripostes potentielles qu’elles soient militaires, politiques, économiques, sociales ou juridiques.

La piraterie dans l’histoire, entre apogées et déclins.

« La piraterie, tout comme le meurtre, est une des branches de l’activité humaine dont on trouve le plus tôt des traces dans l’histoire »[1].
Cette citation illustre bien la permanence des attaques de pirates depuis les temps antiques. Déjà, il y a 2000 ans, les Ciliciens de Méditerranée sévissaient depuis le port légendaire d’Alyana. La destruction de ce havre de la piraterie par les Romains au Ier siècle avant notre ère  n’empêchera pas les pirates d’attaquer Syracuse, la Crête, n’hésitant pas à mener des raids sur terre pour prendre des captifs. Plus tard, entre 1087 et 1093, les marins gênois lancent des expéditions contre les pirates sarrasins qui harcèlent leurs convois à partir des villes de Valence en Catalogne ou de Mahdya en Tunisie. Charles Quint, quant à lui, fera appel aux bateaux des chevaliers de Malte pour attaquer les cités tenus par les Barbaresques et sera suivi par d’autres pays européens dans cette lutte qui s’achèvera au 18ème siècle. A cette époque, le butin se compose de bâtiments saisis, d’otages, de marchandises mais aussi d’esclaves pour armer les équipages des galères. Les pirates ne sont pas seulement des groupes organisés, ils sont souvent les hommes de main de cités-Etats qui, comme Alger, font la puissance de potentats locaux à l’image de Barberousse ou d’Hussein exilé le 10 juillet 1830 après une opération militaire française. De l’autre côté de l’Atlantique, au XVIIème siècle, les flibustiers et boucaniers s’organisent autour des mers des Caraïbes, profitant ainsi de l’instabilité liée à la colonisation du nouveau monde et au développement du commerce dans la région. Des communautés se forment comme celle des « frères de la côte » sur l’ile de la Tortue. Mais ils finissent par disparaître soit par la force  (actions navales britanniques, création d’une garde côte corsaire par l’Espagne) ou après avoir été achetés par les monarques européens afin de se reconvertir comme planteurs ou fermiers sur les territoires colonisés. Enfin, les pirateries somalienne et asiatique de ce temps ne sont que la résurgence de celles qui sévissaient au XXe siècle dans le Golfe d’Aden ou autour de la péninsule indochinoise.


Des causes et des modes opératoires constants.

Aujourd’hui comme hier, les racines de ces actions criminelles sur les mers sont restées les mêmes. Cette continuité s’explique par trois conditions fondamentales :
-Un positionnement géographique propice à ces actions sur un point maritime de passage de richesses (golfe, détroit, côtes désertiques ou découpées, mangroves, archipels).
-Une instabilité politique ou une gouvernance défaillante.
-Une pauvreté endémique mais avec une population proche des métiers de la mer (marins, pêcheurs).

Dès lors, il s’avère que ces traditions ou habitudes préexistantes, voire anciennes, sont réactivées par le contexte du moment. Pour certains spécialistes, la fin de la guerre froide et le ralentissement de l’activité des marines militaires américaines et soviétiques, l’explosion du trafic maritime ainsi que les multiples conflits régionaux (circulation d’armement, mouvements de population, groupes paramilitaires, …) sont les facteurs catalyseurs du renouveau de la piraterie. Le Modus Operandi demeure le même depuis des siècles, avec des embarcations légères et rapides, des raids en meutes ou avec un navire isolé. Les attaques se font en un temps très court (être capable de rompre le contact face à un adversaire déterminé), d’une manière violente (près de 40 morts en 2009), souvent la nuit et avec des bases de repli sur la côte ou embarquées (phénomène des « bateaux mères »). La motivation de la piraterie est clairement lucrative, soit le fait du grand banditisme, soit un moyen de financer une action politique pour des groupes armés (actuellement les milices du Golfe de Guinée).

L’approche globale[2] est-elle la solution ?


Aujourd’hui, la lutte contre la piraterie contemporaine reste principalement le fait d’actions militaires comme le passé l’a déjà connu avec l’escorte des convois civils (Opération Atalante), des frappes ciblées de forces spéciales pour libérer des otages, l’action diplomatique et même la guerre de course (les lettres de marque des corsaires sont remplacées, par certains pays, par le recours aux sociétés militaires privées).
Dès lors, cette réponse ne semble efficace que sur le court terme (avec le déploiement de gros moyens militaires onéreux et comptés) et pourrait être complétée par une action concertée de tous les domaines d’action liés à l’approche globale, comme c’est le cas dans les opérations de contre-insurrection ou de stabilisation. Il s’agirait donc d’agir sur plusieurs leviers, simultanément, mais avec une centralisation de la décision sous l’égide d’une organisation internationale ou d’une coalition ad hoc.

Il apparaît donc utile d’agir sur les acteurs de la piraterie qui regroupent les investisseurs commanditaires (disposant des fonds et des moyens de pression), les pirates proprement dits (souvent pauvres, parfois drogués et sans formation militaire), et les acteurs secondaires (interprètes pour la gestion des prisonniers, commerçants fournissant le matériel, forces de sécurité corrompues).
Pour cela, plusieurs évolutions sont envisageables :

-Obtenir les moyens juridiques et techniques de confisquer les fonds permettant le financement des campagnes en mer à l’instar de ce que fait Tracfin[3] pour le terrorisme  tout en menant des actions « Search and capture »[4] sur les chefs de clans ou de réseaux.

-Développer l’arsenal légal et les juridictions permettant l’arrestation, le jugement et l’incarcération des pirates comme la loi française du 5 janvier 2011 relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police en mer ou les efforts de l’ONU pour mettre en place des tribunaux internationaux permanents ou compléter les conventions en vigueur (Montego Bay sur le droit de la mer par exemple).

-Créer des zones tampons sur les littoraux et dans les ports par des opérations militaires terrestres et le déploiement de gardes côtes internationaux (bases mobiles de type « Self propelled Barracks Ship » américains au Vietnam entre 1965 et 1975).

-Mettre en place sur ces littoraux des investissements économiques permettant un renouveau de la filière de la pêche (navires, filets, entreprises de transformation, exportations,…).

-Planifier un processus DDR[5] des milices ou gangs tout en assurant une formation et un mentoring[6] des forces de sécurité locales.

-Développer la gouvernance par une aide concertée militaire, politique et financière aux Etats en difficulté (comme en Somalie par exemple) mais également agir sur les actions de développement (scolarisation, aides médicales, renouveau de l’agriculture).

-Mener une campagne d’influence :
♦ sur les populations locales via des campagnes médiatiques adaptées (radio, tracts, tournées de province) afin de les dissuader de s’engager dans la piraterie (peur des sanctions, aides concrètes,…).
♦ sur les Etats faillis pour les inciter à limiter la corruption et à mener des politiques de prévention, de répression et de développement.
♦ sur les organisations internationales ou régionales pour bâtir, avec elles, des actions communes et assurer le financement des actions d’approche globale.

-pérenniser les opérations militaires en élargissement leur spectre d’engagement. Ceci passe par la généralisation des convois protégés, le déploiement de moyens de surveillance aéroterrestres et maritimes supplémentaires (drones, satellites, avions, radars), d’actions de recherche du renseignement (réseaux, financement, trafic d’armes et de marchandises), de frappes préemptives ou préventives (grâce à des exceptions légales internationales au principe de souveraineté) sur les bases de pirates, les « bateaux mères », leurs infrastructures et leurs équipements.

-Généraliser le système d’identification et de contrôle ISPS pour tous les navires et imposer aux armateurs un effort d’investissement pour la protection des bateaux comme les systèmes de veille optique automatique infra-rouge.


Pour conclure, l’Histoire démontre que la piraterie est un phénomène cyclique et souvent bien ancré dans certaines régions du globe. Cette menace, si elle peut être canalisée par l’action militaire ou par les évolutions du contexte, demeure prégnante et peut avoir de graves conséquences, à long terme, sur la liberté de navigation et un commerce maritime qui représente 70% du transit mondial.
Aussi, le principe d’approche globale utilisé pour les conflits asymétriques actuels pourrait être un moyen de traiter les raisons endémiques et constantes au cœur de la résurgence systématique de la piraterie.
Cela nécessite néanmoins un effort financier conséquent (difficile en période de crise), une volonté politique partagée et une conduite internationale, mais intégrée, des opérations civilo-militaires susmentionnées. Dans ce cadre, le rôle de l’OMI (organisation maritime internationale) pourrait être élargi afin de concrétiser ou compléter des accords de coordination et de coopération multinationaux, existants mais souvent pas assez pragmatiques (comme RECAAP signé en 2005 par 8 pays d’Asie).

Source image: nationalmirroronline.net.

[1] Philippe Gosse, Histoire de la piraterie (éditions Payot 1952).
[2] L'approche globale est un système de planification des actions sur un théâtre d’opérations alliant les efforts politiques, économiques et militaires vers un même état final recherché. Cette  posture doit permettre d’agir sur des zones déstabilisées, en crise et impliquant la population dans une région privée de gouvernance.
[3] Cellule financière française en charge des enquêtes et actions sur le financement du terrorisme.
[4] Actions de forces spéciales pour repérer et capturer les leaders de factions ou de groupes paramilitaires.
[5] Désarmement, démobilisation, réinsertion.
[6] Tutorat et conseil technique.


3 commentaires:

  1. Dans la lutte contre la piraterie, la mer (et à plus forte raison la haute mer)offre un avantage que l'on doit à mon sens exploiter systématiquement: cet espace étant vide de concentrations humaines, une action coercitive contre des pirates n'a qu'une probabilité très faible de provoquer des dommages collatéraux. La seule situation à risque se présente lorsqu'il s'agit de reprendre par la force un bateau saisi par des pirates.
    En conséquence, dans des situations assimilables à du combat de rencontre sur mer, la destruction pure et simple des embarcations de pirates reste le mode d'action le plus efficace même si, dans le long terme, une approche globale pourrait s'avérer efficace. En d'autres termes, il s'agit pour les forces navales engagées dans la lutte contre la piraterie de chercher à acquérir la supériorité maritime sur une zone donnée.Elles ont pour cela les moyens variés et performants de détecter et de détruire à longue distance. Contrôler durablement une zone maritime peut par ailleurs devenir dissuasif pour les pirates.
    Le problème en mer Rouge aujourd'hui est qu'aucun pays la bordant ne dispose d'une capacité navale suffisante pour régler la question. En revanche, la piraterie en mer de Chine a très fortement diminué voire presque disparu après que la marine chinoise a envoyé un nombre certain d'embarcations par le fond. Actuellement, des navires de commerce,russe et chinois en particulier, comptent à bord des "équipes de protection" bien équipées pour naviguer dans certaines zones à risque....

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  2. La destruction pure et simple des pirates, pas seulement des embarcations. Arrêtons de prendre des gants, un bon pirate est un pirate mort.

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  3. Pour résumer, il y a des pirates :
    - à cause d'une configuration géographique
    - à cause de la présence de pauvres
    - à cause de traditions de piraterie
    Or :
    On ne peut pas changer la géographie (élargir des détroits ,etc)
    On ne peut pas effacer des mémoires les traditions de piraterie.
    On peut rendre les pauvres un peu moins pauvres mais cela va coûter bonbon et vu les deux facteurs précédents, ça n'éradiquera peut-être pas la piraterie.

    Nous n'avons donc pas les moyens de résoudre le problème.
    Est ce que l'approche globale vaut donc bien le coup financièrement ?
    Le cas Hussein en 1830 à Alger, un peu cinétique mais très "approche globale" puisqu'il aboutit à une colonisation finit en 1965 avec une fin traumatisante et financièrement pas très reluisante...

    Pourquoi ne pas de contenter d'un objectif modeste : garder la situation sous contrôle avec une approche pas globale mais cinétique et ferme ?

    Johann

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