Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mardi 7 février 2012

La judiciarisation du champ de bataille : les militaires sont-ils protégés ?


Dans le cadre de la série d'articles que j'ai initiée en lien avec les problématiques du dernier colloque de l'Ecole de guerre, et comme je vous en avais fait part, voici un article sur la judiciarisation de la guerre écrit par Nathalie Barraillé. Juriste spécialiste des questions de Défense (droit public/contentieux administratif et protection juridique), elle a accepté de nous livrer ses réflexions sur ce thème à l'actualité brûlante, je la remercie de cette initiative. Plus long que les articles habituels, j'ai pris le parti de le publier en une seule fois par souci de cohérence. Bonne lecture...

Le 30 janvier dernier, la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance rendue par le juge d'instruction Frédéric Digne, saisi de plaintes avec constitution de partie civile pour mise en danger de la vie d'autrui et non-empêchement de crime, permettant ainsi l'ouverture d'une enquête judiciaire sur les circonstances de la mort de dix militaires dans l'embuscade d'Uzbeen en Afghanistan et notamment, sur l'existence ou non, de fautes d'imprudence, de maladresse,et de prudence dans la conduite des opérations. d'inattention ou d'un manquement à une obligation de sécurité
Cette décision n'est pas sans relancer le débat sur ce que d'aucuns appellent la "judiciarisation du monde militaire ou la judiciarisation du champ de bataille".
En effet, ces dernières années, force est de constater que le droit et la justice investissent fortement la sphère des affaires militaires. Pour autant, le droit ne doit pas être regardé comme paralysant l'action des armées mais, au contraire, comme un atout essentiel puisqu'il constitue le fondement même des opérations menées par les forces armées en assurant une protection juridique adaptée à tout militaire. L'Etat a l'obligation légale de protéger tout militaire contre les attaques dont il fait l'objet à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou contre les mises en cause de sa responsabilité civile et pénale devant le juge pénal, à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle.
Le chef d'état-major des armées, l'amiral Edouard Guillaud, lors de la cérémonie des vœux aux armées avait même rappelé que "l'esprit de décision des chefs militaires ne doit pas être inhibé par la prise de risque inhérente au métier des armes". "Un soldat qui meurt au combat n'est pas une victime. C'est d'abord un homme et une femme qui va au bout de son engagement".
A l'annonce de l'ouverture de cette enquête judiciaire, le ministre de la défense s'est également inquiété de cette judiciarisation des affaires militaires en précisant que "L'armée est soumise au droit et il est donc normal qu'elle rende compte. Pourtant, on reconnaît depuis toujours que la conduite des opérations est un exercice singulier qui n'est pas dans le droit commun".
Le constat est donc ainsi posé : les militaires, par les missions qui leur sont confiées, sont souvent exposés au risque de voir leur responsabilité civile et pénale engagée du fait des actions menées ou des nombreux dangers auxquels ils sont confrontés. Aussi, cet événement judicaire nous donne-t-il l'occasion d'aborder les inquiétudes des militaires à voir engager leur responsabilité civile et pénale dans l'accomplissement de leur mission. Ce ressenti est d'autant plus marqué par la perception d'une judiciarisation croissante, portée par les médias, l'opinion publique, l'institution judiciaire et les professionnels du droit.

Pourquoi un tel engouement pour le judiciaire ? Doit-on parler de perception, de risque ou de judiciarisation accomplie ?  Quelles en sont les causes ? Le droit deviendrait-il le seul moyen de se faire entendre ? Et face à ce risque, les militaires ont-ils à craindre sur le métier de soldat ou au contraire, sont-ils suffisamment protégés ?

Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre …




I.- La judiciarisation du champ de bataille : du principe aux réalités ?

1.1-  Un risque de judiciarisation fortement ressenti par les militaires

Cette judiciarisation trouve ses origines dans l'internationalisation des théâtres d'opérations extérieures et l'apparition des nouvelles formes de guerres et pourrait se définir comme l'intervention croissante des juges dans le contrôle de la conduite des opérations. Ceci résulte de diverses  causes. Toutefois, pour la présente réflexion, nous n’en retiendrons ici que trois :

- la première de ces causes est manifestement un besoin de justice qui se matérialise par l’avènement d’un individualisme démocratique et une recherche significative de satisfaction de droits individuels (recherche de responsables et de coupables, un besoin légitime des familles de comprendre, pour faire le deuil de leur proche décédé en opérations extérieures) ;

- la seconde cause est celle de l'influence des médias et de l’opinion publique qui se mobilisent grandement pour véhiculer des revendications individuelles ou collectives ;

- enfin, la troisième cause est liée aux dynamiques propres de l’institution judiciaire et des professionnels du droit, acteurs importants de cette judiciarisation : notamment, à travers des mesures d’instruction nécessaires à la manifestation de la vérité et à la bonne administration de la justice, dans le cadre du contrôle juridictionnel de la conduite des opérations.

Dès lors, il incombe au juge judiciaire d'assurer la répression des violations du droit, notamment dans le cadre de la phase d'instruction, lui permettant ainsi d'établir l'existence d'une infraction et de déterminer si les charges relevées à l'encontre des personnes poursuivies sont suffisantes pour qu'une juridiction de jugement soit saisie. Le Conseil constitutionnel a même défini "la recherche des auteurs d'infractions" comme un objectif de valeur constitutionnelle, conférant par là-même au magistrat instructeur une grande latitude quant aux actes d'information qu'il peut entreprendre pour assurer sa mission.
En outre, les professionnels du droit s’engagent davantage sur les questions relevant des affaires militaires et les magistrats se spécialisent de plus en plus dans le domaine militaire.

Ce phénomène traduit un changement profond des mentalités et le militaire a le sentiment d'être exposé plus que toute autre personne au risque pénal, au regard des spécificités du métier de soldat qui implique que des décisions importantes soient prises pour remplir la mission. En effet, alors que toute action militaire présente une singularité propre à son objet et ses enjeux, la judiciarisation des opérations (avec pour objectif affiché d’établir les responsabilités individuelles des différents acteurs militaires) peut générer, à juste titre, des inquiétudes, des appréhensions pour tout militaire sur la légitimité de son engagement.

1.2-  Une action militaire strictement encadrée juridiquement

Du soldat au chef militaire, chacun a à répondre de ses actes et doit veiller, pour ne pas voir engager sa responsabilité à ne pas franchir la ligne de "l'indéfendable, de l'illicite et de l'inacceptable"[1].

Si les infractions du militaire, dans la vie quotidienne, ne dérogent pas aux règles de droit commun, l'action du militaire, en opération extérieure, est juridiquement encadrée, plus particulièrement, lorsqu'il fait usage de la force. En effet, les opérations extérieures ne sont pas, bien souvent, des opérations de guerre et tout militaire est justiciable de son droit pénal national, lorsqu'il fait usage de la force.

Jusqu'à l'entrée en vigueur du Statut général des militaires (SGM), seul le droit de la légitime défense était applicable (cf. article 122-5 du code pénal)[2] et semblait peu approprié aux nécessités de la mission. Ce faisant, le cadre juridique de l'usage de la force a été adapté en 2005.
A cet égard, l'article L.4123-12 II du code de la défense prévoit que "n'est pas pénalement responsable le militaire qui, dans le respect du droit international et dans le cadre d'une opération militaire se déroulant à l'extérieur du territoire français, exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force armée, ou en donne l'ordre, lorsque cela est nécessaire à l'accomplissement de sa mission". Cet article instaure ainsi une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale du militaire participant à une opération militaire en dehors du territoire français et utilisant la force ou donnant l'ordre de l'utiliser, pour accomplir sa mission. Il met fin à l'incertitude juridique de l'application du cadre strict de la légitime défense et au sentiment d'insécurité qui en découlait.

Ainsi, le militaire, en opération extérieure, est conduit à user de la force létale mais dans le strict respect des règles du droit international. En effet, la force ne doit être utilisée que pour les besoins de la mission, entendue strictement. Cette mission découlant du mandat donné à la force par l'ONU, l'OTAN ou l'Union européenne, doit être appréciée proportionnellement au niveau de responsabilité confiée au militaire, à la gravité de la menace ou de l'entrave à l'accomplissement de la mission ou à l'objectif en termes opérationnels qui est à atteindre.

Pour autant, doivent être également respectées les directives provenant des règles d'engagement (ROE) constituant le cadre de l'action opérationnelle qui "ne sont pas des règles juridiques mais un cadre d'ordre qui rappellent les règles d'engagement sur les conditions légales d'utilisation de la force".

Enfin, le contrôle de l'usage de la force létale est soumis au contrôle judiciaire, a posteriori, opéré notamment, par la chambre spécialisée du tribunal de grande instance de Paris[3].   
Comme il l'a déjà été rappelé précédemment, connue et maîtrisée, la judiciarisation ne saurait constituer un moyen de pression ou un frein à l’action mais une protection.
"La judiciarisation contraint à la rigueur, à l'exigence dans son service. Elle ne doit en aucun cas être un frein, et les armées des pays démocratiques sont là, précisément pour défendre et respecter le droit. Mais la judiciarisation est aussi une protection, car rien ne peut être reproché au soldat qui suit les règles opérationnelles d'engagement ou els consignes de sécurité au sein de l'établissement"[4].

Il convient de préciser également que peu d'affaires sont directement imputées à la planification ou à la conduite des opérations tactiques en opérations extérieures mais elles revêtent une résonance toute particulière au sein de notre société. "La judiciarisation ne provient pas aujourd'hui d'une augmentation du nombre de mises en cause pénale du militaire mais d'un effet médiatique. Les médias peuvent donner un écho important à certaines affaires, ce qui suscite un sentiment de pression judiciaire. Les journalistes jouent de plus en plus sur les cordes émotionnelles, surtout quand certaines personnes sont en cause, comme par exemple, les militaires comme victimes ou auteurs"[5].

Clairement, il ressort des débats parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat dans le cadre du projet de loi "Guinchard" (qui a abouti à la suppression du tribunal aux armées de Paris et au transfert de ses attributions au pôle spécialisé en matière militaire du tribunal de grande instance de Paris) que le volume d'activité de cette juridiction est faible : en moyenne annuelle, le tribunal aux armées de Paris reçoit environ 1 600 à 1 700 procédures (contraventions, délits et crimes) et prononce entre 180 et 190 jugements par an. Les infractions spécifiquement militaires (désertions, violations de consignes, etc.) ne représentent que 10 % en moyenne du volume global des infractions visées dans les procédures transmises au tribunal, qui sont en majorité des infractions de droit commun (violences, stupéfiants, accidents de la route), étant précisé que les affaires les plus graves ou les plus complexes sont traitées par le juge d'instruction, mais ne représentent qu'un nombre extrêmement réduit d'une trentaine d'affaires en moyenne, soit 2,5 % du volume global, affaires principalement ouvertes sur constitution de partie civile.

De ces derniers propos, la justice militaire reste une justice adaptée aux spécificités du métier de soldat, notamment dans des situations de conflits et d'interventions militaires à l'étranger.

II.- Une réponse aux inquiétudes du risque de judiciarisation : la protection juridique du militaire

La protection juridique traduit la volonté de l’Etat de défendre, entre autres, les militaires lorsqu’ils sont agressés du fait de leurs fonctions et de réparer le préjudice qui ont pu leur être causé. Elle permet également d’organiser leur défense quand ils sont pénalement mis en cause.
La protection juridique n’est pas conçue comme un avantage statutaire mais comme le nécessaire soutien de l’exercice par le militaire de ses responsabilités.
Ainsi, à l'image des précautions prises par l'état pour minimiser le risque pénal (formation, entraînement, rappel des règles …), mais aussi en réponse aux inquiétudes légitimes, l'Etat français assure la protection juridique des militaires, dans l'accomplissement de leurs missions.

C'est de cette façon que la judiciarisation doit être regardée, comme une protection permettant, par la même occasion, de réaffirmer la place du droit dans la sphère des affaires militaires, au profit du militaire.
Une présentation succincte de cet arsenal juridique s’impose alors …

2.1- La protection juridique des militaires devant le juge français et le juge international

2.1.1- devant le juge français

La protection juridique constitue un droit pour le militaire qui n'a pas commis de faute personnelle

Devant ces juridictions, tout militaire peut bénéficier de la protection juridique, sous certaines conditions que nous allons décrire.
Enoncée à l'article L.4123-10 du code de la défense aux termes duquel, "Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet.
L'Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Il est subrogé aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées aux victimes.
Il peut exercer, aux mêmes fins, une action directe, au besoin par voie de constitution de partie civile, devant la juridiction pénale.
L'Etat est également tenu d'accorder sa protection au militaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle.
En cas de poursuites exercées par un tiers contre des militaires pour faute de service sans que le conflit d'attribution ait été élevé, l'Etat doit, dans la mesure où aucune faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions n'a été commise, les couvrir des condamnations civiles prononcées contre eux. Les conjoints, enfants et ascendants directs des militaires bénéficient de la protection de l'Etat lorsque, du fait des fonctions de ces derniers, ils sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages",
la protection juridique constitue un droit pour le militaire et une obligation pour l'Etat.
Le code de la défense organise donc la protection juridique des militaires dans deux situations. En premier lieu, lorsqu’ils sont victimes de certaines infractions, volontaires et liées au service et motivées ou survenues à raison de leur qualité de militaires, excluant ainsi les militaires victimes de faits accidentels, tels les accidents de la circulation même survenus en service. En second lieu, la protection juridique est également garantie aux militaires qui sont poursuivis devant des juridictions pour des faits qui ne présentent pas le caractère d'une faute personnelle (motivations étrangères au service : excès de comportement, violences physiques et brutalités non justifiées, faute d’une exceptionnelle gravité …).
Par conséquent, les militaires qui sont impliqués dans des procédures judiciaires pour des faits liés à l'accomplissement de leur mission, dans des conditions conformes aux règles juridiques, bénéficieront de la protection juridique.

Les formes de la protection juridique

La protection juridique peut prendre différentes formes. C'est à l'Etat qu'il appartient de choisir celle qui lui apparaît la mieux adaptée à la situation de celui qui demande à en bénéficier.  La protection juridique peut notamment se traduire par la prise en charge des frais et honoraires d'un avocat. Lorsqu'il apparaît peu probable qu'une procédure judiciaire permettra la réparation du préjudice d'un militaire, l'administration peut décider de ne pas recourir aux services d'un avocat et préférer prendre directement en charge le coût de l'indemnisation.  
La protection juridique se traduit alors par la prise en charge des frais médicaux, des frais de rapatriement, l'attribution, le cas échéant, d'une pension militaire d'invalidité, la réparation du préjudice matériel de la victime (dont les effets personnels ont pu être détruits)... L'Etat peut ensuite exercer une action récursoire contre le responsable du préjudice, lorsque celui-ci a été identifié.  

2.1.2- devant le juge international

La protection des militaires dans les opérations extérieures est plus large que celle dont ils bénéficient sur le territoire français.
Dès lors, à la protection juridique et à la prise en charge des dommages le cas échéant subis sur la base de présomption d'imputabilité au service s'ajoutent une protection pénale exceptionnelle et un réel accompagnement juridique.

Ainsi, la justice pénale internationale tend à qualifier, poursuivre et réprimer les comportements criminels qui constituent des violations graves du droit international humanitaire et des droits de l'homme. A cet égard, l'Etat français participe à l'action de cette justice, en particulier des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda (TPIY et TPRIR)[6] ainsi que la Cour pénale internationale (CPI)[7]. Les militaires, appelés à témoigner devant ces juridictions, bénéficient également de la protection juridique et du soutien de l'Etat.
L'Etat français assure un soutien très important aux militaires auditionnés qui comprend la protection juridique de droit commun (prise en charge des frais d'avocat, de transport, etc.), la préparation aux techniques interrogatoires anglo-saxonnes et l’accès intégral aux archives et ce, afin de leur permettre de se remémorer les faits souvent anciens. Ce soutien, très apprécié des témoins qui en bénéficient, est à la fois pragmatique et psychologique et s'étend aux témoins, de plus en plus nombreux, qui ne sont plus en activité.

2.2- Une protection juridique renforcée, accordée aux forces militaires déployées hors du territoire de la République

Dans le cadre des opérations extérieures, tout militaire est normalement soumis à la loi du pays dans lequel il intervient. Dans le cas d'infractions réprimées par la loi du pays où s'effectue la mission, le militaire peut avoir à répondre de ses actes autant devant les juridictions étrangères que devant les juridictions françaises. Cependant, cette spécificité est réglée par la négociation d'accords sur le statut des forces (Status Of Forces Agreement, SOFA) avec les Etats sur les territoires desquels se dérouleront les opérations militaires et ce, afin de garantir une protection du militaire en mission à l’étranger.

En effet, il n'existe pas de SOFA avec tous les pays du monde avec lesquels la France coopère, soit parce que certains accords sont actuellement en cours de négociation, soit parce que certains pays sont réticents à la conclusion de tels accords.
Un SOFA est un engagement juridiquement contraignant de droit international conclu entre deux ou plusieurs sujets de droit international (Etats, organisations internationales). Outre les  dispositions relatives à la facilitation du séjour des forces françaises et au règlement des dommages, un SOFA se caractérise par ses dispositions en matière juridictionnelle, plus ou moins protectrices pour les soldats.

Un SOFA peut, en effet, instaurer une répartition des compétences juridictionnelles entre la France et l'Etat d'accueil. Une clause prévoira que toute infraction, commise par un membre du personnel français dans le cadre du service, relèvera prioritairement des juridictions françaises. Cette priorité de juridiction (privilège de juridiction) est la protection minimale recherchée pour les membres de la force.

Un SOFA peut également accorder au personnel de la force, une immunité de juridiction sur le territoire de l’Etat d’accueil. Cela signifie que, quelle que soit l’infraction commise, ou les circonstances dans lesquelles elle a été commise, le personnel français ne pourra être jugé que par les juridictions françaises. Il s’agit là de la protection maximale envisageable, recherchée systématiquement dans le cadre d'une opération extérieure.  

Avant de conclure cette réflexion, j'observerai que la présence d'un conseiller juridique auprès des forces armées (LEGAD pour Legal Advisor) constitue une aide précieuse pour le commandement et une garantie pour les militaires participant à une opération. En effet, ce conseiller, par son expertise juridique, renforce le niveau de sécurité juridique des opérations en informant le commandement sur le cadre juridique de la mission afin de permettre au chef militaire de prendre une décision en parfaite connaissance de cause de ses responsabilités au regard de l'environnement juridique, dans le cadre de la planification et la conduite des opérations.

L'entraînement dispensé, la formation assurée par l'encadrement sont autant d'éléments qui permettent d'atténuer l'engagement de la responsabilité pénale du militaire.

A cette protection, s'ajoute également la possibilité pour le militaire de demander l'octroi d'une pension d'invalidité, à condition que les blessures soient reconnues imputables au service. Dans le cadre d'une mission opérationnelle, le nouveau SGM a créé une présomption d'imputabilité au service, permettant ainsi au militaire d'ouvrir droit à pension durant toute la durée de la mission[8].

En conclusion et alors même que, sous la pression mobilisée des médias et de l'opinion publique, la "judiciarisation du champ de bataille" ne cesse d'interpeller et d'inquiéter le militaire, il est indéniable que les protections ainsi décrites sont assurées au militaire, dans une réalité quotidienne, pour lui permettre de remplir sa mission dans un esprit plus serein et conformément aux exigences et aux spécificités du métier de soldat.


Nathalie BARRAILLE



[1] Le général d'armée Elrick Irastorza, ancien chef d'état-major de l'armée de terre affirmait : "Il faut partir du fait que la mission est sacrée. Elle est sacrée parce qu'elle est confiée aux militaires par le président de la République (…). Remplir sa mission coûte que coûte, ce n'est pas la remplir à n'importe quel prix. Il faut alors respecter, dans une sphère de l'incertitude et du danger, la ligne entre le licite et l'illicite, l'acceptable et l'inacceptable, le défendable et l'indéfendable (…)".
[2] "N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte".
[3] Loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles qui consacre la suppression du tribunal aux armées de Paris (TAAP) et le transfert de ses attributions au pôle spécialisé en matière militaire du tribunal de grande instance de Paris. 
[4] Monique Liebert-Champagne, directrice des affaires juridiques du ministère de la défense.
[5] Idem 4.
[6] Le TPIY et le TPIR ont été créés par les résolutions 827 du 25 mai 1993 et 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité des Nations unies.
[7] Le Statut de la CPI a été adopté le 18 juillet 1998 et est entré en vigueur le 1er juillet 2002. La France l'a ratifié le 8 juin 2000.

[8] Article 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : Ouvrent droit à pension, "Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin de la mission opérationnelle (…) sauf faute de la victime détachable du service".



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire