L’artillerie, un outil clé dans le cadre d’une nouvelle fonction stratégique en gestation : l’intimidation conventionnelle. (1/2)

Dans le cadre du thème initié cette semaine, voici la première partie de mon article consacré à la prospective de l'emploi des moyens feux de l'artillerie. Bonne lecture.

De nombreux conférenciers militaires, à l’occasion de colloques spécialisés, ont évoqué le travail doctrinal conduit actuellement sur la doctrine d’emploi des forces ainsi que dans le cadre de la prospective opérationnelle. A ce titre, ils ont abordé une réflexion sur une possible évolution des fonctions stratégiques décrites dans le Livre blanc de 2008 avec l’élargissement de la fonction prévention vers une forme possible d’intimidation conventionnelle.

Si on imagine aisément que certains outils existent déjà dans ce champ d’action, comme par exemple les porte-avions, décrits par l’administration militaire américaine comme « un concentré de 100 000 tonnes de diplomatie », il semble nécessaire de réfléchir à la mise en œuvre de ce nouveau concept par l’armée de terre en général et par certaines de ses fonctions d’appui en particulier.

Aussi, apparaît-il impératif d’élargir les modes d’action de l’artillerie, qu’elle soit « feu dans la profondeur » ou « défense sol-air » en dépassant le simple effet dit de semonce pour celui d’une action de feu ciblée, violente, efficace et démonstrative dans la profondeur tactique ou opérative.

Dès lors, nous verrons que si certaines armées utilisent ou ont déjà expérimenté ce type d’action avec des principes éthiques parfois contestables, l’armée de terre française développe cette intimidation conventionnelle de manière empirique mais pourrait, à court terme, s’appuyer sur l’artillerie pour formaliser cette nouvelle approche doctrinale.

Des formes existantes d’intimidation conventionnelle

Historiquement, cette manœuvre des feux a déjà joué un rôle dissuasif, à l’image de la retraite du général Lee vers Appomattox face aux troupes du général Grant en 1865[1] où la canonnade n’avait pour but que de garder à distance deux armées épuisées ou de fragiliser encore un peu plus le moral des soldats nordistes.

Les formes récentes d’intimidation conventionnelle sont, quant à elles, en général, basées sur un référentiel éthique qui ne nous est pas transposable et au mépris du droit international de  la guerre. Néanmoins, il est intéressant de comprendre les mécanismes utilisés et les objectifs visés par ce mode d’action particulier.

Déjà, en 1990 et en 1991 Saddam Hussein avait déployé et tiré de nombreux missiles « Scud » sur l’Arabie Saoudite et Israël alors que la coalition menée par les Etats-Unis se déployait à sa frontière. Cet armement, expérimenté durant la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, avait servi à maintenir une pression psychologique sur Téhéran et sa population ou à détruire les sites pétroliers afin d’affaiblir l’économie iranienne. Pendant la guerre du Golfe, le chef de l’Etat irakien a donc cherché à intimider le royaume saoudien, en particulier par la menace d’une frappe chimique, mais aussi à impliquer davantage le gouvernement israélien dans le conflit pour désunir la force internationale et gagner le soutien des pays musulmans. On voit donc bien la capacité psychologique voire stratégique d’une arme tactique à long rayon d’action (130 à 300 km en fonction des versions).

Plus récemment, la Corée du Nord a usé de son artillerie le 23 novembre 2010 pour montrer sa détermination aux dirigeants de Séoul, dans un conflit territorial en mer Jaune, en ordonnant un bombardement violent et meurtrier de canons de 76 et 130mm ainsi que le tir de missiles Samlet et Silkworn (95 km de portée) contre l’île de Daeyeonpyeong. D’ailleurs, dans la doctrine nord coréenne, l’artillerie a deux missions. La première, traditionnelle, de conquête de la supériorité des feux et d’appui aux unités de contact, avec néanmoins une capacité d’intimidation prévue pour faire plier les unités sud-coréennes encerclées après des percées blindées. La seconde est, quant à elle, qualifiée « de terreur » sur Séoul et de « chaos » sur les arrières ennemis avant ou pendant l’engagement. Pour cela, les Nord-Coréens disposent de canons tractés de 100mm, 122mm et 152mm, de canons automoteurs de 170mm et de lance-roquettes multiples de 107mm,  122mm, et 240mm. Les 9000 bouches à feux annoncées sont en mesure d’être déployées à hauteur de 100 à 150 pièces d'artillerie par km de fuseau. Ces pièces sont accompagnées d’une défense sol-air (missiles et canon) pour dissuader toute action aérienne et sont parfois, sur la DMZ[2], dissimulées dans des tunnels blindés à entrées multiples ou factices.

Mais si ces modes d’action ne sont pas entièrement adaptés à nos règles d’engagement et aux mandats qui nous sont confiées par la communauté internationale, la France a, elle aussi, comme monsieur Jourdain, déjà utilisé ses canons pour mener de l’intimidation conventionnelle, à l’image des tirs de pièces AUF1 depuis le Mont Igman[3] en 1995 sur les forces serbes encerclant Sarajevo et menaçant nos casques bleus.

Des formes empiriques d’intimidation conventionnelle déjà menées par l’armée de terre.

Aujourd’hui encore l’armée de terre conduit des actions qui sont des formes d’intimidation conventionnelle même si ce terme n’apparaît, ni dans les concepts d’emploi, ni la doctrine ou tout simplement dans l’énoncé des missions voire dans les effets majeurs des opérations.

En déployant le dispositif de la FINUL 2 au Liban en 2004, la France a cherché à montrer sa détermination face aux belligérants, déployant des chars de bataille Leclerc, des missiles SATCP Mistral, des canons AUF1 remplacés plus tard par des Caesar et des moyens d’acquisition (Cobra, NC1 Martha). De la même façon, la mise en place des modules « Guépard »sur nos bases de souveraineté ou de pré-positionnement sont souvent l’ultime avertissement aux fauteurs de troubles de certaines crises. Cette année encore, la mise sur pieds d’un bataillon d’hélicoptères sur un BPC[4] au large des côtes libyennes aurait pu, à son arrivée, dissuader les forces du colonel Kadhafi de continuer le combat.

En Afghanistan, l’usage de l’artillerie n’est pas toujours de détruire un adversaire détecté ou menaçant mais aussi de le convaincre d’abandonner un compartiment de terrain ou une action en cours (tirs de harcèlement, renforcements,…) par des tirs éclairants ou de semonce qui préservent la force de dommages collatéraux.

A suivre...

Source image : ministère de la Défense.

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[1] Guerre de sécession américaine.

[2] Demilitarized Zone (38^ème parallèle), frontière entre les deux Corée.

[3] Bosnie-ex-Yougoslavie.

[4] Bâtiment de projection et de commandement.