Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

dimanche 19 février 2012

L’artillerie, un outil clé dans le cadre d’une nouvelle fonction stratégique en gestation : l’intimidation conventionnelle. (2/2)


Voici la seconde et dernière partie de l'article consacré à l'artillerie dans une approche stratégique qui répondra peut-être à vos interrogations quant à mon argumentation, bonne lecture.

Plus largement, dans des engagements de maintien de la paix, voire sur le théâtre national (Vigipirate, protection de sommets politiques ou de commémorations importantes), les forces terrestres, par leurs dispositifs, leurs patrouilles, les moyens déployés (missiles sol-air, drones, blindés) cherchent à intimider l’agresseur potentiel, qu’il soit un manifestant sur un pont du Kosovo, un groupe rebelle sur une ligne démilitarisée en Côte d’Ivoire, des terroristes autour d’une cité ou d’un monument historique normand.
L’artillerie pourrait donc jouer un rôle clef dans un mode d’action formalisé d’intimidation conventionnelle.

L’artillerie, un outil adapté à ce mode d’action particulier.
L’artillerie dispose ou disposera à court terme d’un panel de moyens lui permettant d’agir à longue distance en graduant son action d’intimidation.


Tout d’abord avec les mortiers de 120mm dans la frange des contacts, puis avec le Caesar, dont la faible dispersion et la portée de 38km mais aussi la perspective de la livraison d’obus guidés sur des cibles à haute valeur ajoutée, permet des tirs violents mais efficients contre des objectifs qui sont, bien souvent, une part du centre de gravité des adversaires.
De même, l’emploi futur du LRU (Lance roquettes unitaire) avec une allonge de 70km, une précision exceptionnelle et une capacité de perforation de 60cm de béton, pourrait permettre de frapper des sites sensibles, vulnérabilités critiques de l’ennemi, y compris dans les zones urbaines. Pour le domaine sol-air, la capacité de détecter, grâce au maillage Martha, toutes activités aériennes hostiles, offre la possibilité d’utiliser les systèmes canons (123/T2, VAB T20/13) ou missiles (Mistral) pour détruire, avant l’engagement, des aéronefs potentiellement dangereux et symboliques, ou de sanctuariser une zone afin de dissuader toute agression (y compris par des moyens dégradés à faible SIR ou SER[1]).
Pour utiliser ces moyens dans un cadre doctrinal d’intimidation conventionnelle, il convient bien, dès maintenant, de réfléchir à d’autres formes de mise en œuvre des moyens d’appui feu terrestres par les EM tactiques et opératifs et ce,  afin d’offrir au chef interarmes voire interarmées une capacité de tir en « stand off[2] » rapidement déployable et suffisamment démonstrative pour avoir un effet sur le chef ou la force adverse. Concernant les capacités d’acquisition du renseignement dans la profondeur, la disparition des EOP[3] dans les régiments d’artillerie, les moyens « un peu courts » des BRB[4], l’absence d’une boucle courte entre les drones MALE (de type Harfang) ou les moyens de reconnaissances aériens et les lanceurs d’artillerie doivent être reconsidérées pour permettre une bonne application des feux.
On aurait ainsi donc pu imaginer le déploiement de pièces d’artillerie auprès des combattants rebelles libyens ou sur un territoire allié (Tunisie par exemple) afin d’appliquer des feux d’intimidation sur des infrastructures ou des moyens militaires du colonel Khadafi afin de convaincre ses brigades de céder face à l’avance des insurgés conduits par le CNT[5]et encadrés par des forces spéciales occidentales (qui peuvent être d’ailleurs de remarquables capteurs d’origine humaine).  
Pour conclure, l’artillerie doit participer à la réflexion doctrinale en cours sur cette fonction stratégique d’intimidation conventionnelle mais qui ne peut être efficace que dans le champ tactico-opératif où les moyens d’appui feu disposent d’atouts sérieux. Ces derniers reposent sur des matériels, des munitions diverses, une capacité de projection rapide, une mise en œuvre simple, une protection par la distance de tir et un savoir faire reconnu. Il ne s’agit pas de rechercher la terreur ou de mettre en place un outil de chantage mais d’user au mieux de l’impact sur les forces morales, de la capacité de destruction et de la force des actions symboliques produits par les feux de l’artillerie et ce,  pour accroitre la liberté d’action du chef et contraindre l’ennemi.
Frédéric JORDAN
Source image : Blog Marianne 2.




[1] Signature électromagnétique et infrarouge comme les avions de tourisme, les drones, les ULM ou autres parapentes utilisées par les organisations terroristes ou les guérillas (Hezbollah, FARC,…).


[2] Distance de sécurité.


[3] Equipes d’observation dans la profondeur.


[4] Batterie de renseignement brigade.


[5] Conseil national de transition.

3 commentaires:

  1. Bonjour,
    A vous lire, on aurait presque envie de remplacer « intimidation conventionnelle » par « dissuasion conventionnelle », feriez-vous une différence ? Il me semble en tout cas que cela ne pourrait pas être une différence de niveau (intimidation conventionnelle pour le niveau opératif, et dissuasion pour le niveau stratégique), puisque vous en appelez à une fonction stratégique pour l’intimidation. Et du coup, ne serait-il pas plus simple de regrouper tout ça au sein d’une fonction dissuasion élargie (puisque, d’ailleurs, vous parlez aussi d’ultime avertissement) ? La réflexion est intéressante, en tout cas, et ne manque pas d’arguments.
    J'avais une autre question, plus précise, concernant la première partie de l’article : vous dites que "dans la doctrine nord coréenne, l’artillerie a deux missions", et j'aimerais juste savoir quelles sont vos sources, si cela est possible, ou si cela s’appuie sur l’expérience.
    J'en profite pour vous remercier pour vos articles, toujours très riches et très instructifs.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour, merci pour votre commentaire et pour l'intérêt porté au blog. J'adhère pleinement à votre analyse concernant la dissuasion élargie, y compris conventionnelle. Malheureusement, en France il y a beaucoup de difficultés pour utiliser le terme "dissuasion" au delà de son acception nucléaire. Cela doit être la conséquence et le poids de l'école des stratégistes français de la bombe comme les généraux Beaufre, Poirier et Gallois... C'est pourquoi, quand il s'agit de guerre conventionnelle, le terme "intimidation" apparaît plus consensuel. Concernant la Corée du Nord, je ne peux malheureusement pas vous livrer toutes mes sources mais elles sont fiables, je peux vous l'assurer. Je vous conseille néanmoins les ouvrages anglo-saxons (difficiles à obtenir je le concède) de Joseph S. Bermudez qui sont d'une précision étonnante sur le sujet. Merci de votre fidélité, très codialement

      Supprimer
  2. Merci pour les précisions et pour l'indication bibliographique, j'en prends bonne note.
    Bonne continuation !

    RépondreSupprimer