Après avoir traité de l’évolution
de la pensée tactique au travers des âges, de ses conséquences dans les choix
doctrinaux voire dans l’acquisition ou l’abandon de tel ou tel armement, je
vous propose de revenir sur cette perspective historique afin d’étudier la mise
en œuvre concrète sur les champs de bataille des concepts de chaque grande
période de l’histoire militaire. Nous verrons que si l’évolution a été longue
et très progressive de 3000 avant JC jusqu’au XVIème siècle, elle a
connu une nette accélération de la Renaissance à nos jours. Cette étude démontrera
également que les armées ont régulièrement penché successivement vers le choc
ou vers le feu avant d’introduire formellement la notion de manœuvre et
finalement d’adapter la tactique au terrain comme à l’ennemi. Il s’agira donc
d’évoquer les différents modes d’action, déploiements ou emplois des fonctions
opérationnelles en prenant des exemples concrets et illustratifs de choix réalisés
par les forces en présence.
1-Le temps du choc : 3000 à 500 avant JC.
C’est l’époque des théocraties
orientales dont les armées ne disposent que de faibles effectifs, ne dépassant
jamais les 200 000 hommes dont 50 000 seulement peuvent faire
campagne au regard des contraintes logistiques (faible nombre de charriots,
capacité à vivre sur les ressources du théâtre d’opérations, entretien des
chevaux,…). De plus, s’il existe un noyau de troupes professionnelles,
l’essentiel des soldats provient de milices paysannes faiblement entraînées ou
équipées. Les souverains font donc appel à des mercenaires à l’image des
troupes coloniales des pharaons chargées de contrôler les marches de l’Empire.
Sur le champ de bataille, les chefs militaires comptent donc sur le choc pour
vaincre l’adversaire en rase campagne, prendre l’ascendant physique et
psychologique sur lui afin de le mettre en déroute à défaut de l’anéantir. La
cavalerie est principalement équipée de chars permettant de transporter combattants
et archers. Cette charrerie et l’infanterie sont souvent alignées face à
l’ennemi mais échelonnées sur 4 corps successifs afin de saturer l’autre camp de
vagues d’assaut puissantes. A Kadesh, en 1274 avant JC, Ramsès II dispose son
corps de bataille sur 4 échelons disposant chacun de 4 000 fantassins et de 500
chars. Il parvient à vaincre les Hittites en relançant à 6 reprises son
attaque. L’armement comme les cuirasses restent sommaires avec javelots, lances
ou arcs. Les dispositifs défensifs,
quant à eux, sont limités à la protection des forteresses et la poliorcétique
n’en est qu’à ses balbutiements comme nous l’évoquions dans notre étude récente
(http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/2012/08/de-la-poliorcetique-au-combat-en-zone.html).
2-Quand le choc est associé au mouvement : 500 avant JC à 500 de
notre ère.
Avec l’Antiquité gréco-romaine,
les effectifs se développent parallèlement aux progrès de la logistique et aux
évolutions de régimes (démocratie, oligarchie, monarchies,…). Certains
annoncent même le million de soldats aux ordres du Perse Xerxès en 480 avant JC
à la bataille des Thermopyles. Au-delà de ce chiffre probablement très
optimiste, il y a bien, à cette époque, une évolution numérique des unités car
les levées peuvent toucher jusqu’à 20% de la population ou 60% des citoyens. Les
Romains compteront jusqu’à 500 000 légionnaires et auxiliaires à la fin du
« Haut Empire ». On entraîne et on forme davantage le combattant pour
uniformiser les organisations, consolider la discipline au combat, aiguiser les
forces morales et faciliter la protection par l’effet de masse. Les Grecs misent
toujours sur le choc grâce aux phalanges d’Hoplites et à leurs longues lances
(bataille de Gaugameles en 331 av JC). Cette disposition en ligne permet de
briser les attaques adverses tout en accentuant l’effet psychologique produit
par cette masse compacte. Mais une telle troupe reste peu manœuvrière et impose
à Rome de mettre en œuvre une formation nouvelle, la légion. L’effort est mis
sur la subsidiarité (une légion, c’est 10 cohortes, elles-mêmes constituées de
3 manipules, divisées à leur tour en 2 centuries), sur la mobilité (5 km par heure pendant 5 à 7
heures de marche avec 40 kg
de matériels par homme) et sur l’initiative. La bataille est rythmée selon cinq
phases : la marche d’approche, la construction du camp retranché, la
recherche du renseignement, la préparation morale et le combat. Ce dernier se
déroule sur le schéma dit de la triple ligne en quinconce (voir schéma
ci-dessous) avec un rideau de Vélites armés de javelots pour préciser le contact
et freiner l’ennemi puis trois échelons de manipules espacées les unes des
autres pour l’appui mutuel, l’évitement des obstacles du terrain et la
canalisation des unités adverses. Le « Pila » est lancé à 30 m suivi d’un corps à corps
au glaive. Si cette tactique fait ses preuves, elle peut néanmoins montrer ses
limites face à un adversaire plus manœuvrier comme les Carthaginois d’Hannibal
enveloppant les Romains à la bataille de Cannes (216 avant JC) ou contre des
guerriers irréguliers à l’instar du massacre des hommes de Varus dans la forêt
de Teutobourg en 9 après JC .
La protection du combattant
s’améliore et les légions peuvent mener des missions défensives grâce,
notamment, à la technique de la « tortue ». Néanmoins, les armées
romaines, malgré l’apport de troupes auxiliaires recrutées dans tout l’Empire,
souffrent de lourdes lacunes en cavalerie. Elles sont souvent défaites par les
Parthes et leurs cavaliers mobiles armés d’arcs et de flèches (bataille de
Carrhes en 53 avant JC), nuée insaisissable et protégée par la cavalerie
carapaçonnée des cataphractaires. Devant ces difficultés un général romain,
Ventidius décide alors d’augmenter la « puissance de feu » des
légions avec des frondeurs, de créer la formation en « carré creux »
(pour se protéger des flèches et assurer une défense à 360°) mais aussi de
sécuriser les axes stratégiques en arrière du champ de bataille (éviter de
rompre les lignes d’approvisionnement et de communication).
3-Le Moyen-âge, retour au choc et prémices de la poudre : 500 à
1500.
Avec les grandes invasions puis
l’émergence de la noblesse médiévale, le nombre de combattants se réduit pour
mettre en avant les chevaliers, combattants de métier, accompagnés de quelques
gens d’armes issus des classes les plus modestes. Cette chevalerie ne mise que
sur le choc et l’estoc au détriment de toute recherche de manœuvres ou de modes
d’action alternatifs aux assauts frontaux. La tactique est intimement liée au
courage chevaleresque et à la prise de l’ascendant moral sur l’ennemi. La
bataille de Bouvines en 1214 atteste d’ailleurs de cet état d’esprit sur le
champ de bataille. La forteresse, sa défense ou son siège, représente le cœur
de la réflexion tactico-opérationnelle parallèlement à un alourdissement des
armures qui pèseront jusqu’à 88
kg au XVème siècle. Les croisades montreront
déjà les limites de ce concept, en particulier dans un milieu semi-désertique
exigeant, comme ce fut le cas lors de la bataille de Hattin (1187) où les
Croisés furent vaincus par l’épuisement et le manque d’eau. Néanmoins, dans ce
contexte, la logistique devient plus mobile et plus efficace grâce à la
généralisation du harnais pour les bœufs et les chevaux permettant le transport
de charges de près de 1500
kg .
La guerre de 100 ans se révèle un
tournant puisqu’elle impose la supériorité des archers britanniques face aux
chevaliers français, neutralisés avant même d’avoir atteint les rangs adverses
lors de défaites célèbres comme Azincourt, Poitiers ou Crécy. De la même façon,
cette période de conflit stimule le développement de l’armement et l’emploi de
la poudre. Apparaissent en 1325 les premières bombardes de fer (boulets de
pierre portant à 200m), les arquebuses en 1364, les grenades à main en 1382 ou
les fusées en 1399. Ce processus technique et tactique s’achève avec la
victoire des Turcs du sultan Mahomet II en 1453 qui s’emparent des puissantes
murailles de Byzance avec seulement 7 000 hommes mais plusieurs canons de 1000 mm .
A suivre...
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