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jeudi 17 novembre 2011

Facteur temps: peut-on parler de "Chrono tactique" ?

Paul Virilio, il y a quelques années, avait déjà initié le concept de « chrono stratégie » repris depuis dans nombre d’articles, analyses et autres colloques afin de souligner la nécessité d’imaginer, de concevoir, de conduire et d’évaluer les réponses aux défis stratégiques dans un cycle du temps de plus en plus court et contraint.
Les opérations contemporaines, à l’image des dernières frappes en Libye ou des actions menées en Afghanistan, sont elles aussi soumises à cette course contre la montre avec l’adversaire potentiel, sur la scène médiatique bien évidemment, mais aussi sur le terrain où chaque belligérant veut garder l’initiative, cherchant un chemin plus rapide, se déplaçant de nuit à l’abri de certains capteurs. Au niveau tactique et opératif, la notion clef de temps a toujours été prise en compte d’abord de façon empirique, quand Napoléon multipliait le nombre d’estafettes pour porter un même message ou s’appuyait sur l’état-major de Berthier pour transformer rapidement les plans de l’empereur en ordres écrits, puis de manière plus technique, avec des « Battle rythm »[1] ou des « synchromatrix»[2]. Dès lors, pourquoi parler de chrono tactique ?
En fait, il semble bien qu’aujourd’hui, plus qu’hier encore, le facteur temps ne soit plus un simple outil de l’élaboration des ordres ou de la planification mais un principe tactique à part entière. En effet, si de nombreux exemples historiques montrent l’importance du temps pour s’assurer de la victoire, les progrès technologiques et l’évolution des adversaires potentiels imposent à la manœuvre d’être pensée et conduite dans un cycle temps rénové.

L’histoire militaire et la maîtrise du temps

Le temps a été, dès l’Antiquité, un ressort de la défaite ou de la victoire, qu’il s’agisse des Perses en 490 avant JC pris de vitesse par les Athéniens qui retardent l’embarquement des troupes de Darius à Marathon et alertent la Cité de l’attaque imminente d’un second détachement arrivant par la mer, ou bien encore de Vercingétorix incapable de soutenir le siège mis en place par César autour d’Alésia et qui tentera, sans succès, une sortie meurtrière. Plus tard, à Hattin en 1187, les Croisés, manquant d’eau et de vivres épuisent leurs forces dans le désert après deux jours de combat et sont battus par les hommes de Saladin. Napoléon, conscient que le temps peut jouer en sa faveur face à des armées coalisées, souvent plus nombreuses et progressant sur plusieurs axes, fait de la mobilité et des marches forcées, l’accélérateur du rythme des batailles pour surprendre ou combattre séparément ses adversaires, à l’instar des manœuvres de la campagne de France en 1814. Il ira jusqu’à offrir des « pendules d’officier » à ses généraux pour les convaincre de ne pas se contenter de marcher au son du canon. L’heure « H » de la première guerre mondiale, souvent précédée de barrages d’artillerie minutés, sera le leitmotiv des grandes offensives de 1914 à 1918.  Le second conflit mondial verra, quant à lui, le paroxysme de cette « course au temps » avec la Blitz Krieg allemande qui inhibera les lourds états-majors de l’armée française puis avec la longue attrition des armées nazies face à la planification soviétique ou américaine.
Le temps est donc bien un des ressorts qui permet au chef de prendre l’initiative, l’ascendant, de concentrer ses efforts au bon moment afin d’utiliser au mieux les moyens, même modestes, dont il dispose, comme le fera Rommel en Afrique du Nord. A ce titre, il écrira, par exemple, dans ses carnets de campagne qu’« Il suffit souvent, pour gagner une bataille, de procéder au déplacement du centre de gravité au moment où l’adversaire s’y attend le moins ».


Le nouveau contexte

Avec la guerre froide et les conflits qui ont suivi, la prise en compte du facteur temps s’est formalisée, d’autant que le développement des moyens de communication et de commandement s’est accru à la faveur des systèmes de transmissions puis des progrès issus de la RMA[3]. La recherche du renseignement, qui doit permettre d’éclaircir le « brouillard » de la bataille cher à Clausewitz, a amélioré le rendement temps/efficacité grâce à la boucle OODA[4], processus plus rapide d’appréciation de situation propre à aider le chef à choisir, à décider et à transmettre des ordres sur un rythme plus soutenu. En outre, la mise en place progressive de la NEB[5] permet de transmettre ou de visualiser, en temps réel, les informations du champ de bataille. Dans ce cadre, le général Yakovleff, dans son ouvrage « Tactique théorique » défend la nécessité de « raisonner le temps » au travers de quatre dimensions : la durée, la fréquence (le rythme), la séquence (phasage) et l’opportunité. Il s’agit donc de doser son effort au milieu du tourbillon des frictions, dans la durée, puis d’atteindre le point culminant, au bon moment (si possible après l’adversaire) tout en se réservant la possibilité de saisir une occasion de surprendre l’ennemi à un instant clef de l’action (lors d’un repli, sur un point de franchissement, par une contre-attaque). Aussi, voit-on apparaître, dans les outils de planification du niveau opératif notamment comme la COPD[6], la recherche de l’effet à obtenir (EBAO[7]) sur le temps long mais également à un moment précis et ce, grâce à la coordination des fonctions opérationnelles. Ces dernières se sont diversifiées avec l’apparition des missions civilo-militaires, des opérations d’influence ou de communication sur des théâtres dits de stabilisation et pour lesquels les résultats, l’atteinte des points décisifs ou celle des centres de gravité des belligérants s’inscrivent dans des échéances lointaines, voire même des cycles où l’intensité est irrégulière. C’est le cas en Afghanistan où la recherche de l’effet final recherché passe par une « approche globale » des problématiques de sécurité, de développement et de gouvernance, y compris au niveau tactique.

Trouver les outils d’un «  cycle temps » rénové

Dès lors, il apparaît nécessaire de transformer les organisations pour les rendre plus réceptives à ce cycle temps, afin de prendre, de court, l’ennemi en permettant une adaptation rapide à chaque changement d’environnement, de contexte, de milieu et de situation. En complément des efforts déjà engagés dans le domaine du renseignement (création des BRB[8], adaptation de moyens de guerre électronique dans une « Task Force »), il est raisonnablement permis d’envisager de doter les unités de niveau GTIA[9] ou brigade de capacités de mobilité accrues dès le temps de paix, avec des moyens aéromobiles lourds, des unités de transport organiques (porte-chars, véhicules à haute mobilité) et des moyens de génie plus larges (franchissement, appui à la mobilité, terrassement, travaux,…). A cela doit s’ajouter une puissance de feu accrue avec des moyens propres plus conséquents (mortiers, missiles sol-air, hélicoptères de combat). Mais au-delà de ces ajustements d’équipements (qui sont parfois réalisés sur certains théâtres), c’est bien la conception des opérations qui doit repenser la notion de temps. Il s’agit de trouver les procédures pour permettre de conduire une « chrono tactique » c'est-à-dire des modes d’action réfléchis pour pouvoir, dans le temps le plus bref possible être adaptables, modelables, interchangeables et, au-delà de la simple recherche des cas non-conformes. Des ébauches historiques ont déjà été esquissées par Napoléon et ses corps d’armée marchant en colonnes parallèles pour ne pas dévoiler l’effort. Il faut donc réapprendre, réinventer la marche à l’ennemi selon de nouveaux dispositifs qui, appuyés par les organisations susmentionnées, permettront de saisir les opportunités et de prendre les risques au bon endroit et au bon moment. Asphyxié par le rythme et les changements de tempo, plongé dans l’incertitude, l’adversaire, qu’il soit conventionnel ou asymétrique n’aura d’autre issue que de conduire son action en réaction jusqu’à la rupture ou l’épuisement de ses ressources.
Pour conclure je citerai cet extrait de l’« Essai général de tactique » du Comte de Guibert qui écrivait déjà en 1772 : « A mesure que la science de la guerre se perfectionne, en proportion de ce que les armées sont commandés par des généraux plus habiles, les marches deviennent plus importantes à bien combiner et à bien exécuter, plus fréquentes, plus décisives. Elles deviennent plus décisives en ce qu’elles ont toujours un objet prochain, ou éloigné, comme de faire une diversion et de porter la guerre sur un point inattendu : ou de conduire une action offensive, ou d’engager l’ennemi à un contre-mouvement qui le mette en prise, soit en tout, soit en partie ».

Frédéric Jordan


[1] Rythme des opérations.
[2] Matrice Temps-mission-moyens.
[3] Revolution in military affairs.
[4] Orientation, observation, décision, action. Cycle décrit par le colonel américain John Boyd dans les années 1980.
[5] Numérisation de l’espace de bataille.
[6] Comprehensive Operations planning directive.
[7] Effect based approach operations.
[8] Batterie de renseignement brigade équipée de drones, de guerre électronique et d’unités de recherche humaines.
[9] Groupement tactique interarmes.

1 commentaire:

  1. Bien vu pour cette course au temps que nous devons gagner surtout si le format de nos armées continue de décroître. Il faudra lutter contre des forces moins bien équipées de nature conventionnelle ou insurrectionnelle mais toujours très nombreuses. Nos déploiements sont souvent trop prévisibles comme nos modes d'action car la planification a inhibé la créativité et nous a engonssé dans un costume trop étroit. Ce n'est pas la planification qu'il faut remettre en cause mais la façon dont elle est menée, trop procédurière, trop militaro correcte pour plaire au plus grand nombre ou prendre en compte les Caveats ou autres sensibilité nationale.

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