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mardi 29 novembre 2011

Retour sur l’intervention alliée en Russie de 1918 à 1920 : l’échec d’une coalition au cœur de la guerre civile.


En relisant divers documents, ouvrages ou sites internet, j’ai redécouvert l’ampleur de l’intervention alliée sur le territoire russe pendant la guerre civile entre « Blancs »[1] et « Bolchéviks » de 1918 à 1920. J’ai pu mesurer combien cet épisode, occulté par la victoire de la Grande guerre, avait été un échec cuisant de la diplomatie et des forces armées du commandement interallié. Ce constat s’appuie en particulier par une planification inefficace, un effet final recherché inconsistant et une mauvaise analyse des facteurs clés de cette campagne sur un théâtre lointain et difficile. En outre, malgré un commandement prétendument conduit par le maréchal Foch, la coalition montrera rapidement ses faiblesses et ses divergences dans les buts et les moyens.

En effet, après la révolution d’octobre en 1917 et la signature du traité de Brest-Litovsk qui met fin à la guerre entre Moscou et Berlin, les Alliés cherchent à éviter le transfert des divisions allemandes du front de l’est vers le théâtre occidental. De plus, des tonnes de matériels et d’armement, initialement destinées aux troupes tsaristes, sont stockées dans les ports russes comme Mourmansk que les Allemands convoitent en profitant des offensives de leur allié finlandais contre les communistes.
Aussi, à Abbeville le 2 mai 1918 le Conseil de guerre suprême interallié décide l’envoi d’un corps expéditionnaire. Il a pour mission de protéger les armes et les munitions des ports russes, ukrainiens et sibériens, d’empêcher le transfert vers l’ouest des prisonniers des puissances centrales internés dans ces régions (estimés à 1 million d’hommes) et de préserver une porte de sortie à Vladivostok pour le corps d’armée tchécoslovaque (50 000 hommes qui se battaient au côté des troupes de Nicolas II avant la révolution) que l’on veut rapatrier sur la France pour continuer le combat face aux Allemands.
Les Japonais, quant à eux, acceptent d’intervenir car ils y voient l’opportunité de contrôler la façade pacifique de la Sibérie.
Mais les tergiversations, les conflits d’intérêts et les rivalités naissantes entre les gouvernements ou armées alliées empêchent la planification d’une opération conjointe et efficace, d’autant que les autorités bolchéviques prennent le contrôle de nombreuses cités alors que les armées « blanches », favorables à l’action de l’Entente[2], sont divisées sur les objectifs à atteindre.

Les évènements prennent une nouvelle tournure quand le corps tchécoslovaque, menacé par les gardes rouges de Trotski à Tchélialourisk, engage le combat le 14 mai 1918 avec les troupes bolchéviques sur lesquelles il prend rapidement l’ascendant. Théoriquement sous les ordres du maréchal Foch, qui a donné autorité au général français Janin (ancien responsable de la mission militaire française en Russie), les Tchécoslovaques prennent néanmoins l’initiative unilatérale de s’emparer des voies ferrées du Transsibérien pour rejoindre au plus vite Vladivostok. Répartis tout au long de cette route, ils tiendront dans un premier temps le terrain avant de perdre toute cohérence dans leur retraite progressive et chaotique vers la Sibérie. Les Alliés sont une fois de plus tiraillés entre la volonté d’aider le corps tchécoslovaque et celui de ménager les Bolchéviques dont on craint qu’ils ne s’allient avec les Allemands. Une expédition est tout de même décidée le 1er juillet mais elle n’est pas formalisée sur le terrain car les Américains et les Japonais s’opposent sur les effectifs à déployer : Wilson veut envoyer 7 000 hommes, Tokyo souhaite débarquer  40 000 fantassins.

Dès lors, chaque pays décide unilatéralement l’envoi de contingents ou de navires et le général Janin, nommé commandant en chef par le maréchal Foch le 24 août 1918 ne contrôle finalement que le bataillon français d’Arkangelsk et le corps tchécoslovaque. Churchill a désigné le major-général Knox pour les troupes britanniques de Omsk qui soutiennent les troupes « blanches » de Koltchak alors que le général japonais Otani, qui doit commander les troupes alliées à l’est du lac Baikal, se voit retirer le contrôle des troupes américaines par Washington. Ceci conduit inexorablement à des incidents, à l’exemple de la centaine de soldats nippons massacrés par les Russes à Khabarovsk après que le général américain Graves ait refusé de leur venir en aide.
Foch tente d’établir pour 1919 un projet d’intervention concret avec l’instauration d’un blocus économique, une convergence des efforts des contingents alliés de Finlande, de Pologne et de Roumanie ainsi que la création de forces multiethniques (lettons, estoniens) appuyées par les grandes puissances et capables d’agir aux côtés des troupes « blanches ». Malheureusement, les pays concernés peinent à se mettre d’accord et les actions concrètes restent limitées à la conquête des ports. C’est le cas à Arkhangelsk où l’armée rouge naissante est chassée par un corps expéditionnaire comprenant un bataillon du 21ème RIMA français (900 hommes), un détachement de 400 fusiliers britanniques, une section d’artillerie polonaise et le 339ème régiment américain. Ces forces, sans logistiques, souffrent des rudes conditions de vie (froid, hygiène, boue, …) et subissent de lourdes pertes. Après les efforts consentis entre 1914 et 1918, nombre de soldats ne comprennent pas les raisons de cet engagement d’autant qu’ils constatent souvent la corruption et les exactions des troupes « blanches » soutenues.

Laissant la Russie en proie à la guerre civile, incapables de coordonner l’action des russes « blancs » très divisés (Koltchak, Denikine, Youdenitch,…), les Alliés finissent par mener des opérations ad hoc sans lien les unes aux autres mais selon un effet final recherché politique qui reste national (influence sur une région, contrôle de voies de communication,…).
Pour la France, la politique de Clémenceau étant d’étouffer le régime bolchévique, après l’armistice du 11 novembre 1918, une opération est lancée sur Odessa pour soutenir les troupes de Denikine en Crimée avec 1 800 soldats français aux ordres du général Borius. Après une série de succès, les troupes françaises, rejointes par des Grecs et des Italiens, doivent finalement, en février 1919, rembarquer suite à des défaites militaires ou aux mutineries des soldats (le 58ème régiment d’infanterie refusant de monter en ligne à Tiraspol) lassés des combats et influencés par la propagande bolchévique. Plus au nord, c’est le général britannique Maynard qui défend Mourmansk jusqu’en octobre 1919 appuyé par de l’artillerie française et des détachements américains mais il finit par abandonner la zone d’action. De même les Japonais remporteront des victoires avant d’être contraints de céder le terrain faute de soutien international.
Progressivement, les troupes de Moscou vont reprendre le contrôle du territoire et vaincre les chefs des armées « blanches ».
Les Alliés, pour leur part, décident, à compter de 1920 d’adopter une stratégie plus périphérique avec la France qui soutient le tout jeune Etat polonais face à l’armée rouge ou les Britanniques qui s’installent dans le Caucase pour fermer la porte de son empire colonial indien aux influences communistes.

Au bilan, malgré des succès tactiques, et le sacrifice de nombreux soldats, la coalition alliée n’a jamais été en mesure d’adopter une vision opérative claire de l’expédition en Russie pour finalement mener des combats isolés avec une logistique minimaliste et une stratégie sans objectifs clairs. Usés par quatre année de guerre mondiale, les troupes engagées en appui d’armées « blanches » désorganisées n’ont pas réussi à mener des actions cohérentes face à une armée rouge naissante mais de plus en plus forte tant moralement que militairement. Unis dans les effets d’annonce, les pays concernés sont restés divisés sur la mise en œuvre d’une chaîne de commandement unique et la conduite des opérations provoquant de nombreuses mutineries et incohérence opérationnelle avant de se désengager dans l’urgence.


[1] Troupes restées fidèles au Tsar et cherchant à rétablir l’ancien régime.
[2] Pays alliés se battant contre les Allemands, les Turcs et les Austro-hongrois.

8 commentaires:

  1. Merci d'aborder cette période peu connue où de nombreux sodats sont tombés dans une expédition qui aurait pourtant pu avoir un rôle de stabilisation de la Russie et lui permettre de choisir une autre voie que celle de l'URSS mais ceci reste de l'histoire fiction ou de l'uchronie. Pour en revenir au sujet, il y aje pense des parallèles intéressants à faire avec des opérations contemporaines ou les coalitions ad hoc qui donnent parfois de curieux ou de bons résultats: Somalie, Irak, Amérique du sud, Caucase. C'est à creuser je pense.

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    1. A mon avis vous avez entièrement raison. Le chef du corps expéditionnaire américain indique clairement que les exactions des russes blancs "fabriquaient des bolchéviques à un rythme soutenu". Mais de plus; le coté absolutiste des opposants aux bolchéviques ont peu à peu convaincu les tchèques de ne plus obéir aux ordres leur enjoignant de lutter au coté de l'absolutisme. Ila avaient en quelque sorte expérimenté un double absolutisme au sein de l'Empire Austro-Hongrois et ils "en avaient soupé". Il n'est resté que la pitoyable tentative de putsch du général Gaïda qui agiaasait à titre personnel et qui n'était pas soutenu par ses troupes.

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  2. Encore un article très intéressant et précis qui évoque des opérations somme toute assez méconnues.

    Il est vrai que l'on ne peut que difficilement relever des aspects positifs à cette campagne alliée en Russie.
    Pour ce qui concerne les opérations en Crimée, le corps expéditionnaire français débarqué à Odessa le 18 décembre 1918 doit principalement son échec à sa non-préparation pour combattre un ennemi tel que les bolcheviques. Chargées de suivre la retraite allemenade afin d'occuper le terrain, ces troupes essuient rapidement des pertes importantes face à l'Armée rouge (400 morts dès les premières semaines). Les mutineries son effet nombreuses en Russie (révolte du 2ième régiment d'artillerie de montagne le 8 février 1919 par exemple) mais aussi en France où des unité des la marine se mutinent à Brest, Toulon ou encore Cherbourg.

    Si l'on veut chercher quelque succès, on ne trouve guère à évoquer que la réussite du plan Weygand devant Varsovie(6 août 1920) , à l'origine du "miracle de la Vistule".
    Le général Weygand est, depuis le 21 juillet 1918, chef de la mission militaire française en Pologne (qui comprend 200 officiers dont le capitaine De Gaulle), et il va s'attacher à épauler le haut-commandemnt polonais dans les combats contre l'Armée rouge.
    Fin juillet 1920, un front de 350 km oppose plus de quatre armées rouges contre cinq armées polonaises qui semblent craquer peu à peu. Percevant que les armées rouges du front sud font mouvement vers Lvov, Weygand conseille au maréchal Pilsudski de constituer une réserve de contre-attaque en dégarnissant lui aussi son front sud. Cette contre-attaque sera ancrée sur la défense de Varsovie, véritable camp retranché dont Weygand organise la défense en combinant efficacité de l'artillerie et organisation des plans de feu. La contre-offensive polonaise sera ensuité menée en débutant par une fixation de Toukhatchevski par la 5ième armée polonaise de Sikorski constituant le "camp retranché". Ensuite, une manoeuvre de rupture avec les réserves (sept divisions d'infanterie et une brigade de cavalerie)attaquera le flanc Nord de Toukhatchevski fixé devant Varsovie. Surpris, ce dernier doit battre en retraite et se trouve bientôt en déroute. Ce "miracle de la Vistule", orchestré par Weygand occasionnera 66000 prisonniers rouges. La 4ième armée soviétique est détruite. Les plans de conquête soviétiques sont anihilés en douze jours et la Pologne trouve sa frontière orientale qu'elle conservera jusqu'en 1939. Quelques officiers français participent à ces opérations. Dans son ouvrage L'aigle blanc contre l'étoile rouge, G.V. Saint-Dizier rapporte que "(...)des officiers français, en gants blancs, la cravache à la main, marchaient avec les premières lignes polonaises afin d'exalter le moral de la troupe".

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  3. Si toute l'Europe n'avait pas attaqué l'URSS... Peut être aurait elle pu progresser de façon économique et sociale plus considérable, et éviter les extrêmes. Je tient à rappeler, avant que vous accusiez les vilains russes et souteniez les gentils alliés, que Churchill a fait balancer du gaz, le plus puissant à l'époque, sur les russes, il a failli faire de même pour l'Inde, et que les alliés attaquez surtout pour défendre leurs entreprises, et avait une peur bleue du communisme.

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    1. Merci pour votre commentaire. Je n'ai pas de partie pris en la matière. Je comprends néanmoins la réaction des Alliés face à une Russie qui fait une paix unilatérale avec les Allemands. Ensuite, je pense qu'il n'est pas très opportun de juger l'histoire car les combats et conventions internationales de l'époque n'avez rien à voir avec ceux d'aujourd'hui. le gaz de combat était largement utilisé par toutes les parties.
      Cordialement

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    2. Je comprends bien que les usages de la guerre étaient différents. Néanmoins, les anglais ont, à ma connaissance gazé systématiquement les villages "favorables" aux rouges. Il s'agissait majoritairement de population civiles et non de combattants comme sur le front occidental. Ce type de comportement ainsi que les massacres perpétrées par les troupes blanches, que le général Graves évalue à plus de 100 fois les exactions des rouges ont "fabriqué des sympathisants bolchéviques à un rythme soutenu" comme l'indique le général Graves et comme a pu le constater le général Knox.

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  5. J'ai lu "Siberian Adventures" du général Graves. Il s'explique parfaitement sur l'affaire des japonais "massacrés par les russes" et il semle qu'il s'agisse d'une des nombreuses tentatives pour discréditer l'intervention américaine. Il dit "En premier lieu, le commandant japonais, par son chef d'état-major, m’a transmis, le message de n’entamer aucune action sur la demande du général Oi à moins d’une demande ultérieure du siège japonais à Vladivostok, et je n’ai reçu aucune demande sur ce sujet du QG japonais". Il ajoute qu'il ne serait probablement pas intervenu de toutes façons, d'une part parce que le théâtre des combats évoqués se trouvait à 600 km des américains les plus proches et d'autre part parce que les japonais disposaient à proximité d'effectifs très supérieurs. Il faut aussi ajouter que le général Graves était très réticent à se ranger du coté des japonais ce qui aurait amené les soldats américains à combattre aux cotés des troupes de Koltchak Semionoff et Kalmikoff, des massacreurs avérés avec lesquels il ne voulait pas se mélanger (on le comprend quand on lit les descriptions de leurs exactions. Ajoutons que Koltchak, quémandant un soutien financier américain a admis lui-même ces exactions en ajoutant qu'il pourrait y mettre fin).

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