Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

dimanche 27 novembre 2011

Nouvelle proposition de lecture : enseignements tactiques du jour "J " et de la bataille de Normandie



Aujourd'hui nous faisons un focus, dans la rubrique "A lire", sur le dernier livre historique d'Anthony Beevor sur le D-Day et la bataille de Normandie. Cette dernière, en effet, propose de nombreux exemples tactiques et opératifs illustrant les principes de la guerre, la manœuvre interarmes ou interarmées, l'influence des chefs et des stratégies dans le succès d'actions offensives ou défensives. L'équipement du combattant et l'innovation technique sont également au coeur de cet ouvrage dont nous vous proposons ci-dessous une synthèse manuscrite (appuyée d'une carte en couleur) riche en références et enseignements. Bonne lecture...

Fidèle à son style, qu’il a perfectionné avec ses deux précédentes publications "Stalingrad " et "La bataille de Berlin", l’auteur nous livre un regard d’historien sur cet épisode de la seconde guerre mondiale. Il enrichit également son travail d’une étude fine des actions au niveau tactique et opératif. Passionnant, documenté et chronologique, ce récit plonge le lecteur au cœur des combats du bocage normand mais analyse également, avec hauteur de vue et discernement, le contexte politico-stratégique, les perceptions idéologiques ou éthiques du moment, tout comme la psychologie des combattants comme celle des décideurs civils et militaires. Seule ombre au tableau, des cartes en nombre insuffisant, qui ne trouvent pas toujours leur place dans le propos et dont la qualité pédagogique, voire la précision, illustrent mal les enseignements décrits par Beevor.
Concernant la tactique et les fonctions opérationnelles, ce livre met en exergue la perception du combattant sur le terrain, l’impact du matériel et de son évolution sur les modes d’action, l’intérêt ou les limites de l’intégration interarmes ou interarmées. Il souligne également le poids de la conception dans la réalisation de la manœuvre, celui du style de commandement et de la qualité des chefs. Enfin, faisant souvent référence à son concitoyen Liddell Hart, il nous rappelle que l’on paye souvent un lourd tribut en omettant l’application des principes de la guerre.

1-      La  préparation et la décision

L’auteur insiste sur l’influence du facteur climat dans la réussite de la manœuvre, à l’image d’un général Eisenhower qui exige de son équipe météorologie commandée par le colonel Stagg, des prévisions précises à trois jours (difficiles quand on connaît les moyens techniques de l’époque). Mais la préparation de l’action et la préservation de la liberté d’action passe d’abord par des mesures de déception. Aussi, les Alliés mettent-ils en œuvre l’opération « Fortitude » qui conduira les Allemands, et en particulier Hitler, à ne considérer pendant plusieurs semaines la Normandie que comme une simple diversion. Ike doit ensuite préparer son état-major à la campagne de France en maintenant unie une équipe aussi disparate et conflictuelle que celle constituée de Bradley, Montgomery, Tedder, Patton et Leigh-Mallory.
La phase suivante consiste à coordonner l’action de la Résistance en parachutant armes, matériels et près de 2420 SAS. Ces préliminaires sont complétés par les plans « Tortue » (communications sabotées) et « Bleu » (électricité coupée) suivis par les bombardements massifs du général Harris qui, s’ils cloisonneront le champ de bataille, font 15 000 morts et 19 000 blessés civils français.

2-      L’ennemi

Les Allemands appuient leur défense sur le mur de l’Atlantique qui devient très vite, aux yeux de certains généraux, une nouvelle ligne Maginot. Elle est d’ailleurs définie par le général von Runsdedt comme « un coup de bluff à deux sous » qui manque cruellement de béton pour consolider les bunkers ainsi que de champs de mines pour valoriser les plages. Conscient de l’imminence d’un débarquement, l’état-major allemand tergiverse sur la stratégie à mettre en place. Certains, comme Rommel, prônent une défense avancée sur les plages pour parer la supériorité aérienne alliée, d’autres, à l’instar de Geyr ou Guderian, privilégient une contre-attaque blindée et mécanisée massive à partir de la Seine. Ce débat n’aboutit qu’à un compromis boiteux où Hitler contrôle les unités de Panzers depuis son PC en Allemagne (on voit là les limites d’un commandement à distance sous la forme actuelle du « Reach back »).
Dans le domaine qualitatif, les troupes allemandes souffrent d’un manque d’entraînement et de munitions et se compose d’unités hétérogènes. En effet, à côté des unités blindées ou « SS » bien équipées en deuxième échelon, l’infanterie, concentrée sur la côte, demeure le parent pauvre et se compose, bien souvent, d’« Ost Truppen » venues d’Europe orientale et bien peu motivées.

3-      L’action des parachutistes et la traversée de la Manche

Les troupes aéroportées jouent un rôle important dans la saisie des points clés (ponts, carrefours) et le bouclage de la zone d’invasion. De même, la dispersion involontaire des unités, due à des largages nocturnes anarchiques, devient un atout inattendu qui brouille l’analyse du renseignement allemand. En revanche, les combats menés par les parachutistes sont d’une rare violence et conduits dans un cadre très décentralisé où l’initiative du chef prend tout son sens. C’est le cas du colonel Otway improvisant la conquête de la batterie de Merville face à une situation chaotique qui diffère considérablement du plan initial pourtant répété en Angleterre. Pour les troupes d’assaut, l’approche des côtes souligne très vite les carences de l’équipement trop lourd du GI, l’inefficacité de l’appui des lance-roquettes embarqués et les limites amphibies des chars Sherman DD mis à l’eau trop loin des plages. Ces chapitres mettent donc en évidence la nécessité de disposer d’un matériel éprouvé et de suivre un entraînement réaliste (en emportant, par exemple, la dotation  en munitions).

4-      Le débarquement

Beevor décrit la situation sur les plages et met en avant les mauvais choix de commandement, le matériel inadapté et l’importance des têtes de pont. Ainsi, il rappelle que sur Omaha (bien valorisée par Rommel), le général US Gerow avait insisté pour débarquer de nuit et avec son génie en premier échelon mais qu’il avait reçu une fin de non recevoir de Ike et Bradley. Ces derniers considéraient, à tort, que les bombardements navals et aériens suffiraient à affaiblir l’ennemi. Malheureusement pour les deux premières vagues d’assaut, les 329 bombardiers ont raté leur cible et sur les 32 chars mis à l’eau, 27 sombrèrent. Plus au nord, à Gold et à Juno, les Canadiens hésitent à s’emparer de l’aéroport de Carpiquet alors en proie à la panique. Ce site devient les semaines suivantes le théâtre des combats les plus acharnés de la bataille face à la 12ème PZ SS division « Hitler jugend ». Enfin, sur Sword, alors que les Britanniques n’ont pas consolidé leurs positions, la contre-attaque allemande de la 21ème  PZ division n’échoue qu’à cause des retards dans la prise de décision et à cause des raids aériens alliés qui détruisent 44 chars sur 104.

5-      La consolidation difficile de la tête de pont et l’échec devant Caen

Les têtes de pont sont parfois fragilisées par le manque de coordination des relèves sur position des troupes nouvellement débarquées, comme autour de la pointe du Hoc où les tirs fratricides se multiplient. Les retards des unités, qui peinent à exploiter l'initiative, permettent aux Allemands de se déployer ainsi que de reprendre l’ascendant sur les troupes anglaises, fixées sur le réseau de fortifications Hillman et incapables de conduire un travail conjoint entre l’infanterie et les blindés. Montgomery évalue mal le centre de gravité de son ennemi considérant qu’il s’agit des chars de la 21ème PZ division,  et sous-estimant la capacité anti-char des canons de 88mm. Ces derniers, malgré la plus-value apportée par les interceptions radio d’Ultra, arrêtent net les offensives alliées pour sur Caen. Le potentiel allemand se réduit à une posture défensive, compte tenue de la complexité de la chaîne de décision allemande (juxtaposition des zones de responsabilités) et de la destruction du PC du général Gueyr. Ce dernier, censé diriger le PZ Gruppe West, est mal camouflé et détruit le 10 juin par une attaque aérienne.

6-      Villers Bocage et les américains dans le Cotentin

Villers Bocage apporte un enseignement tactique quant à l’importance du renseignement. En effet, le général britannique Erskire refuse de mettre un écran blindé de reconnaissance devant son échelon de tête qui tombe dans l’embuscade la plus dévastatrice de l’histoire militaire de Grande Bretagne. Plus loin, le général Hinde envoie sa 22ème brigade blindée à l’assaut de la côte 213 sans éclairage de ses chars légers Stuart. Il est accueilli par des chars Tigre qui détruisent deux escadrons et le PC. Pour les Américains, la manœuvre s’enlise faute de moyens logistiques suffisants (manque d’obus d’artillerie) et le général Eisenhower constate que son matériel est inefficace face, notamment, aux blindés allemands. Le général Marshall envoie alors en Normandie, des experts pour mener un RETEX[1] à chaud et trouver des solutions techniques à l’infériorité matérielle.

7-      L’opération Epsom et la bataille du bocage

Rommel et Gueyr veulent se replier sur l’Orne pour mettre en œuvre leur « tactique du tigre dans la jungle » à base de raids blindés fulgurants mais Hitler s’y oppose et veut défendre chaque pouce de terrain. Il immobilise ainsi 200 000 hommes dans des villes « forteresses » contournées par les Alliés. Ces derniers demandent à Montgomery de lancer l’opération EPSOM en direction de Caen. Cette offensive, trop lente, retardée plusieurs fois et mal préparée se heurte à une contre-attaque de deux corps de PZ SS (qui ont eu le temps de rejoindre le front) arrêtée uniquement par la supériorité artillerie britannique.
Dans le bocage, les Alliés peinent à s’adapter à ce nouveau milieu, perdent de nombreux blindés. En effet, les Allemands, riches de leurs expériences russes, se camouflent, valorisent les haies, et installent des dispositifs défensifs dans la profondeur sur trois lignes. Le rôle des armes anti-char légères, comme les Panzerfausts ou les Bazookas, se révéle essentiel pour les deux camps.
Dans un autre registre, la supériorité morale des Allemands, aguerris et endoctrinés, se révèle, au regard du nombre croissant de réaction post-traumatiques dans l’infanterie américaine. La 29ème division d’infanterie US enregistre ainsi, en trois mois, près de 1822 cas d’effondrement psychologique.

8-      Caen et l’opération Goodwood

Cet épisode est révélateur de la frilosité, de l’érosion britannique en terme d’initiative et de courage ainsi que de la confiance aveugle dans l’appui artillerie et air-sol. Le général Dempsey  lance, avec l’accord de Montgomery, l’opération Goodwood avec trois divisions blindées. Mal renseigné sur la profondeur du dispositif ennemi, obnubilé par l’appui des bombardiers, il compte sur les 7000 tonnes de bombes pour écraser les Allemands. Mais ce bombardement est inefficace et épargne les lignes allemandes et les défenses de la crête de Bourguebus. De plus, au débouché, la 50ème division Highland traverse un de ses propres champs de mines mal répertorié et entasse son matériel dans dix étroits couloirs de mobilité. Les chars ne sont pas protégés par l’infanterie qu’ils doivent attendre au détriment du rythme de manœuvre. Les Britanniques échouent devant les troupes du général Eberbach et perdent 200 chars et 5537 hommes. Pour Liddell Hart, « les Alliés ont voulu laisser les machines gagner la guerre ».

9-      L’opération Cobra et la contre-offensive de Mortain

Elle illustre le retour, avec les Américains et le général Patton, à un commandement par objectif et une manœuvre IA ambitieuse. Après une diversion britannique (opération Spring), qui retarde de 24 heures le transfert de deux divisions PZ vers le sud, les Américains percent sur 45 km par des actions blindées décentralisées et bousculent définitivement le dispositif allemand.
Les Allemands répliquent en lançant l’opération Luttich sur Avranches pour couper les lignes de communication de Patton. Grâce à Ultra, les Alliés sont prévenus de l’imminence de l’attaque. Bradley concentre 12 bataillons d’artillerie dont 3 équipés de canons de 155mm et dispose de l’appui de la 9ème force aérienne. Cette dernière détruit les 300 avions allemands en soutien des 2 divisions de PZ qui sont sévèrement repoussées à Mortain. Pourtant, les Alliés ne peuvent pas exploiter ce succès suite à l’échec canadien  sur la route de Falaise  et compte tenues des contraintes logistiques croissantes. En effet, les approvisionnements sont de plus en plus difficiles (manque de structures portuaires à proximité du front) alors qu’une division blindée consomme en moyenne 40,7 millions de litres d’essence au km et 35 tonnes de rations par jour.

10-  La poche de Falaise et la retraite allemande

La bataille de Falaise démontre qu’une action défensive bien menée, malgré la supériorité de l’assaillant, permet de sauvegarder un potentiel technique et humain. Face aux hésitations de Bradley pour fermer la poche de Falaise avec son 15ème corps et face au refus de Montgomery de modifier son dispositif pour laisser Patton attaquer, les Allemands mettent en œuvre une défense dynamique. Appuyé par l’artillerie, tenant les ponts et les carrefours avec les canons anti-aériens, le général von Kluge paralyse les Alliés par des contre-attaques régulières de ses dernières unités PZ et réussit, au prix de lourdes pertes, à faire replier 20 000 hommes, 25 chars et 50 canons automoteurs. Ces unités écrasent, plusieurs mois plus tard, les parachutistes britanniques à Arnhem, en Hollande, pendant l’opération Market Garden.


L’ouvrage d’A.Beevor, au-delà de son intérêt historique, permet de retirer de nombreux enseignements tactiques et montre combien une mauvaise application des grands principes de la guerre peut compromettre l’issue d’une bataille. Mais le succès repose également sur une bonne préparation et une conception élaborée de la manœuvre, tout comme sur la qualité du matériel et des hommes. Il s’agit de ne jamais sous-estimer son ennemi, de prendre en compte les contraintes du milieu (météo, terrain) et, afin de dissiper le brouillard de la guerre, de rechercher, par tous les moyens, le renseignement. La capacité d’adaptation, la diversion et la déception favorisent, quant à eux, la liberté d’action et la concentration des efforts sur le point faible de l’ennemi.
Enfin, la qualité des chefs, leur capacité de décision, s’appuyant sur une doctrine interarmes équilibrée, évitent l’excès de confiance, initient l’initiative et la prise de l’ascendant sur l’adversaire. La bataille de Normandie demeure donc une source inépuisable de réflexion pour les chefs de tout niveau, avant et pendant l’engagement.
Frédéric JORDAN


[1] Retour d’expérience.

1 commentaire:

  1. Cette bataille de Normandie mérite d'être étidiée dans le détail car c'est une mine d'or notamment dans tout ce qui touche à la planification des opérations. La faculté d'adaptation est mise en exergue sur ce front de l'ouest tant du côté allié que de celui des Allemands. Pas un pas sans appui, un matériel adapté, du rens de bonne qualité, des soldats entraînés, bref des principes qu'on aurait tendance à oublier. Merci pour cet article.

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