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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

dimanche 13 novembre 2011

Nouvelle citation dans la rubrique "Paroles de chef" : réflexions sur la manoeuvre.


Aujourd’hui nous vous proposons une citation extraite des mémoires de guerre de Winston Churchill, cet officier devenu homme politique, premier lord de l’Amirauté et enfin premier ministre de Grande Bretagne à l’aune des heures les plus sombres de la seconde guerre mondiale. Elle suscitera probablement chez certains d’entre vous le débat et je vais donc m’efforcer de défricher la réflexion voire de lancer quelques pistes tous azimuts.
Ces paroles, si elles font référence aux combats d’Afrique du Nord entre 1940 et 1943, raisonnent surtout de l’écho lointain de la guerre des Boers[1], une « petite guerre » aurait dit Charles Caldwell[2], où les Britanniques découvriront les difficultés de la contre-insurrection et des expéditions lointaines face à un adversaire mobile et manœuvrier entre 1880 et 1902.
Ceci me donne donc l’opportunité de faire un parallèle avec les opérations contemporaines face à des insurgés, des rebellions, des milices ou tout simplement des forces non conventionnelles qui connaissent parfaitement le terrain et profitent du soutien de la population.
A l’époque du conflit contre les Boers, Londres connaîtra d’abord de nombreuses défaites dans des batailles rangées à Magersfontein, Stormberg et Colenso puis reprendra l’initiative avec l’arrivée de renforts avant de chercher une parade à la guérilla mené par les troupes Boers. Le commandant de l’armée britannique, Lord Kitchener décide alors de bâtir des postes fortifiés, de former des troupes locales irrégulières mais aussi d’interner près de 115 000 Boers pour priver les insurgés de leur liberté d’action. Néanmoins, pour mener sa mission à bien, il devra compter sur 448 000 hommes (il en perdra 22 000) qui lui seront nécessaires pour quadriller et contrôler la zone d’opération face à seulement 50 000 combattants adverses. Ces effectifs importants s’expliquent par les difficultés britanniques à combattre contre des cavaliers Boers, toujours en mouvement, insaisissables, menant raids et embuscades, bénéficiant de la logistique locale et d’un réseau de renseignement structuré.

De nos jours, face ce type d’ennemi asymétrique (encore que ce qualificatif mériterait d’être commenté), les forces occidentales conventionnelles, en Afghanistan ou en Irak, considèrent encore que la constitution d’armées nationales pléthoriques (les forces de sécurité afghanes atteignent 300 000 hommes) et l’intervention de forts contingents (« Surge américain ») sont incontournables pour « contrôler le milieu »[3]. Mais de cette conclusion naît un paradoxe quand on sait que les armées européennes, par exemple, réduisent depuis 20 ans leur nombre de soldats, leurs budgets et leurs efforts militaires en général.

Dès lors, les effectifs importants de soldats sur le terrain sont-ils l’unique solution tactique ou opérative pour faire face à une insurrection dont le renouvellement paraît intarissable dans des pays aux grands espaces ou à l’environnement difficile (montagnes, déserts, zones urbaines,…) ?
La nécessité, réclamée par certains commentateurs, de disposer de troupes plus légères comme les commandos de chasse en Algérie, est-elle la panacée ?  

Je ne prétends pas répondre à ces questions en quelques lignes, néanmoins, j’ai quelques suggestions à faire. En effet, en menant récemment quelques recherches au SHD[4], j’ai mis la main sur le compte-rendu du chef de bataillon Le Mire qui commandait le bataillon français de Corée entre 1951 et 1953. Dans ce texte, il détaille les difficultés liées au milieu coréen, à son climat et à son relief mais aussi répond aux critiques des spécialistes militaires et civils de l’époque qui considèrent que les faibles effectifs de l’ONU (y compris américains) sont insuffisants face aux masses chinoises pourtant mal équipées et mal instruites mais harcelant sans cesse leurs adversaires. Le Mire dresse, dans son rapport, un bilan, en considérant que « ce terrain très compartimenté ne facilite pas la manœuvre, il la rend chaotique et la durcit » et que par conséquent, le commandement a cherché à trouver la meilleure voie pour s’adapter à la situation. Dans ce cadre, les forces de l’ONU se sont refusées à confondre mobilité et légèreté pour finalement décider d’« appliquer leur puissance à la mobilité ».
Fort de ce constat et de l’impact du terrain ou de la masse ennemie (qu’elle soit conventionnelle ou irrégulière) les Français de Corée tentent de tirer les leçons majeures de tactique générale applicables à une unité de type bataillonnaire[5]  (ou plus importante) dans les conditions susmentionnées :
-          le produit « vitesse x puissance de feu » est le meilleur élément de la manœuvre ;
-          la combinaison des armes assure cette puissance de feu dans l’espace et le temps (chars, mortiers, aviation) ;
-          la mobilité des unités, assise sur une logistique puissante, permet une grande souplesse tactique ;
-          une organisation des unités ad hoc, laissée à l’appréciation du chef tactique, est impérative.

Pour résumer et pour prendre le contre-pied de certains discours contemporains sur les nouvelles formes de conflits, je citerai une dernière fois le chef de bataillon Le Mire : « Les chefs et les exécutants ont pu constater encore que les procédés, les théories du moment et les moyens n’infirment pratiquement jamais les grands principes. »

Voici donc quelques pistes de réflexion qui nous auront mené des mémoires de Churchill à la guerre des Boers en passant par la guerre de Corée et les conflits dits asymétriques. Tout cela pour parler, une fois de plus mais sous un angle nouveau, de la manœuvre et de la guerre.
A vos claviers pour animer le débat …
Frédéric JORDAN



[1] Les Boers étaient les descendants des premiers colons d’origine néerlandaise, allemande et française arrivés en Afrique du Sud aux XVIIème et XVIIIème siècles. Ils ont cherché à garder leur indépendance face à l’empire colonial britannique.
[2] Historien et écrivain britannique qui étudia les conflits de basse intensité de la fin du XIXème siècle et rédigea l’ouvrage intitulé « Petites Guerres ».
[3] « Gagner la guerre c’est contrôler le milieu » général Desportes – « Décider dans l’incertitude » Economica, 2007.
[4] Service historique de la Défense – Château de Vincennes.
[5] Le bataillon de Corée était constitué d’une compagnie de commandement, d’une compagnie d’appui et de trois compagnies d’infanterie parfois renforcées de blindés américains.

4 commentaires:

  1. Il me semble malgré tout que l'utilisation conjointe de forces légères en Algérie, les commandos de chasse, combiné à la ligne Morice ont permis de mettre à genou en 1959-1960 l'insurrection du FLN. Il est vrai que c'était la France à l'époque et qu'il y avait près de 400 000 hommes déployés.

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  2. Pour répondre au post précédent, j'ai un contre exemple. Il s'agit de la tentative de ligne Mc Namara sur la DMZ au Vietnam qui est resté poreuse jusqu'au bout sans compter les résultats en demie teinte des unités spéciales US face aux Vietcongs comme les béréts verts et leurs montagnards ou les LURP, y compris au Laos sur la piste Ho Chi minh....

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  3. Les commandos de chasse constituent un volet du plan Challe 59-61. Ce plan allie poursuite de la défense des frontières, contrôle de la population par regroupement et création d'unités d'autodéfense, allègement du quadrillage dans les zones sécurisées,"gonflement" des troupes d'intervention, opérations permanentes dans les zones montagneuses refuges des H.L.L (ex opération jumelles) avec appui ART et aériens...Le plan challe allie donc souplesse et "actions" traditionnelles. Pour en revenir aux commandos de chasse, ils permettent : de dynamiser le contingent, de s'appuyer sur les djounouds ralliés pour mener des opérations de renseignement et de destruction (à l'exemple du commando Georges à Saïda, sa devise "vaincre la misère"), surtout de donner un aspect dynamique et offensif permanent au quadrillage. Ce plan balaye l'insurection, pour preuve les demandes de ralliement des insurgés(affaire de la Wylaya IV).
    "jean-louis"

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  4. Pour le Vietnam, je ne pense pas qu'il s'agisse à proprement parler d'un contre exemple. Les américains ont appliqué dans ce conflit nombre de recettes françaises éprouvés et efficaces : bases opérationnelles, maquis, aéromobilité... Le contrôle des frontières tout comme les frappes sur la piste HO CHI MINH étaient incontournables et ont limité la liberté d'action des nord-vietnamiens. De Lattre en son temps a contrôlé avec succès le bassin du nord tonkin en créant une ceinture de postes (déjà une ligne MC Namara...). Pour les montagnards, pourquoi parler de succès en demi-teinte ? Ces derniers ont pour certains continué le combat plus de vingt ans après la fin du conflit et finit par demander l'asile politique en Thaïlande. César en son temps utilisa des tribus gauloises à son profit, pourquoi y renoncer aujourd'hui et taxer au XXIème siècle cette pratique d'inefficacité ? Les contras formés par les "bérets verts" ont ils remporté des succès en demi-teinte ?

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