Aujourd’hui, de nombreux chroniqueurs soulignent les réticences des pays occidentaux à déployer des troupes au sol contre certaines dictatures ou armées prétoriennes tout en déplorant la longueur des opérations, ces dernières ne semblant ne pouvoir s’inscrire que dans la durée pour obtenir les effets escomptés. Aussi, fort de ce constat, voici un coup de projecteur sur l’opération d’envergure menée par les forces américaines au Panama entre le 20 décembre 1989 et le 31 janvier 1990. Elle démontre, s’il en était encore besoin, que l’on peut planifier avec succès une action amphibie et aéroportée « éclair » avec des effectifs importants, sur un terrain difficile, contre une force adverse conséquente dont le centre de gravité majeur a été identifié comme étant un chef politico-militaire et/ou une chaîne de commandement.
Aussi revenons sur cette opération américaine où près de 27 000 soldats US furent déployés face aux 16 000 membres des forces armées panaméennes (FDP) sur un territoire de 75 517 kilomètres carré et peuplé de 3,5 millions d’habitants. En quelques jours, malgré quelques dommages collatéraux (pertes civiles), l’effet final recherché est atteint, Noriega est arrêté, une force de « stabilisation » est en place pour participer à la transition démocratique du pays.
Quel contexte ?
Depuis 1986, le général Noriega est suspecté de s’enrichir grâce au trafic de drogue et tient tête aux Etats-Unis qui réclament son départ de la présidence du Panama, d’autant que deux tentatives de renversement ont, malgré leurs échecs, montré une volonté de changement au sein de la population. Georges Bush, après plusieurs tentatives diplomatiques en direction de Noriega profite de la mort d’un soldat américain tué lors d’un contrôle routier par les forces de sécurité panaméennes pour déclencher l’opération « Just cause ». Cette dernière a pour objectif annoncé de protéger les ressortissants américains sur place, de défendre la démocratie et les droits de l’homme, de lutter contre le blanchiment d’argent et de préserver le libre passage du canal du Panama et ce, conformément aux traités « Torrijos-Carter ».
Idée de manœuvre et missions
Les unités américaines de la Joint Task Force South (général Stiner) sont réparties en 5 Task Forces appuyées par des moyens interarmées, des forces spéciales (en particulier les Navy Seals) ainsi que par de nombreux autres détachements spécialisés (PSYOPS, military police, défense sol-air, logistique, génie,.. :
♦TF 82 - formée autour des éléments de la 82ème division aéroportée renforcée d’un bataillon de Rangers.
♦TF Semper Fi avec le 6ème régiment de Marines.
♦TF Bayonet –formée autour des éléments de la 5ème division d’infanterie et de la 193ème brigade d’infanterie.
♦TF Aviation avec une brigade aéromobile.
Les objectifs de la campagne sont de détruire la capacité opérationnelle des forces de défense panaméenne (FDP), de s’emparer des lignes de communication et des infrastructures du canal, de libérer les otages américains, d’appréhender le général Noriega puis dans un second temps de soutenir le gouvernement et de restructurer les FDP.
A partir de ces éléments, voici l’idée de manœuvre planifiée qui sera presque entièrement réalisée :
- La TF Atlantic neutralisera les forces ennemies à Fort Espinar, Gamboa, Cerro Tigre et Coco Solo. Sécurisera Fort Sherman, les écluses de Gatun et le barrage de Madden.
- La TF Bayonet neutralisera les forces ennemies à Fort Amador, le quartier général panaméen (Comandancia/Carcel Modelo) ainsi que les points d’appui installés dans Panama City.
- La TF Semper Fi sécurisera la base aérienne de Howard et le pont des Américains en mesure d’interdire tout renforcements de troupes panaméennes venant de l’ouest.
- La TF 82 neutralisera avec le 75ème bataillon de Rangers la compagnie panaméenne de Tocumen afin de permettre la mise à terre des moyens principaux et lourds de la 82ème division aéroportée et d’appuyer la saisie de Panama Viejo, de Tinajitas et de Fort Cimarron en vue de neutraliser le bataillon panaméen d’élite 2000, la 1ère compagnie d’infanterie, l’escadron de cavalerie et l’UESAT des FDP.
- 20 hélicoptères de manœuvre UH60 appuyés par 4 AH1 Cobra seront dédiés à la TF 82 pour accroitre sa mobilité dans les phases d’assaut.
Mise en œuvre
Le 20 décembre 1989, à 01h00 du matin, les opérations sont lancées, malgré la perte de trois hélicoptères, les objectifs sont conquis hormis à Tinajitas où il faudra près de 6 heures pour mettre hors de combat la 1ère compagnie d’infanterie panaméenne. Fort Amador est conquis de haute lutte contre des soldats panaméens motivés qui s’étaient désignés sous le terme de « bataillon de la dignité ». Pour atteindre simultanément les objectifs assignés, 1700 rangers et 3 300 parachutistes sont largués et seront rejoints par les unités arrivés par la terre ou la mer. Les forces spéciales s’empareront de l’aéroport civil ainsi que de la piste d’aviation de Rio Hato. Après trois jours, Noriega est contraint de se réfugier dans la mission diplomatique du Vatican de Panama City et il n’y a plus que quelques résistances résiduelles. Afin d’obliger le président déchu à se rendre, les unités d’opération psychologique américaine diffusent de la musique rock avec des émetteurs hautes puissances en direction du bâtiment où il s’est réfugié. Finalement le 03 janvier il se livre aux forces US. Engagée alors dans la seconde phase de l’opération, dite de stabilisation à compter du 12 janvier, l’armée américaine désengage une grande partie de ses moyens pour ne laisser que des unités de protection des centres vitaux, des conseillers techniques pour la reconstruction des FAP (opération Promote Liberty) et des éléments de forces spéciales pour traiter les dernières résistances à l’intérieur du pays.
Bilan et RETEX
L’opération est un succès même si certaines erreurs sont rapidement établies. Tout d’abord le nombre de pertes civiles qui sera évalué, en fonction des sources, entre 300 et 1000 tués. Il semble que les règles d’engagement aient été mal définies et que l’aguerrissement de certaines unités américaines soit apparu insuffisant. Des incidents provoqués par les combtas, en particulier à Chirillio ont privé 20 000 personnes de foyers, obligeant le gouvernement de Washington à verser 6500 dollars à chaque famille sinistrée.
Les unités blindées déployées avec le char léger Sheridan ont été jugées trop faibles face à la menace anti-char et auraient été insuffisantes si l’allié sandiniste de Noriega du Nicaragua voisin avait décidé (comme il l’avait annoncé) de soutenir le Panama en engageant ses chars de bataille. Dans un autre registre, de mauvaises reconnaissances sur les zones de saut ont conduit au largage du matériel lourd de la 82ème Airborne sur des sites marécageux dans lesquels l’équipement s’est enfoncé nécessitant des manutentions lourdes pendant plusieurs heures. La gestion médiatique de l’action a été calamiteuse alors que l’efficacité des troupes aurait pu être mise en avant ainsi que l’ampleur du déploiement surprise américain. Ceci fut accru par l’absence de légitimité internationale suite au vote par les Nations-Unies d’une condamnation de l’invasion.
Enfin, l’efficace mobilité de l’hélicoptère a été confirmée pour réagir rapidement face à un adversaire tirant parti du faible réseau routier et de sa connaissance du pays. Au bilan, l’armée américaine ne perdra que 24 hommes tués et 324 blessés, les troupes panaméennes perdant entre 200 à 300 soldats.
Que peut-on en conclure ?
Il est souvent admis que les opérations contemporaines doivent s’inscrire dans une planification développée dans le temps long alors que cette action démontre la capacité à agir efficacement et rapidement (1 mois) grâce à un mode d’action combinant les trois dimensions, la surprise, l’action des forces spéciales et la recherche des vulnérabilités critiques ou du centre de gravité ennemi. La proximité des Etats-Unis avec le Panama, comme de l’Europe avec l’Afrique du Nord ou le Proche Orient, a permis ou pourrait permettre l’engagement de forces terrestres dans des délais brefs afin d’atteindre l’effet final recherché dans le court terme. Ainsi, fort d’un mandat international clair, on aurait pu envisager une action de ce type sur les villes côtières libyennes afin de saisir rapidement les points clés de ce pays, isoler les troupes loyales au colonel Kadhafi, paralyser ses lignes de communication, éventuellement le capturer puis appuyer les forces du CNT[2] reconnu par de nombreux Etats.
Pourtant il semble que de nombreux pays occidentaux hésitent aujourd’hui à engager des troupes au sol et privilégie l’action venu du ciel, quitte à rapidement perdre l’initiative de la communication (il faut se souvenir des articles de presse qui envisageaient, après trois mois de frappe aérienne, que le théâtre libyen allait devenir un bourbier) et de l’efficacité opérationnelle. On peut également s’interroger sur l’effort qui est consenti actuellement pour se doter de vecteurs de projection de grande ampleur ou en nombre suffisant (BPC[3], aéronefs). Un tel mode d’action ne doit donc pas être oublié afin de répondre à tout le spectre des menaces à venir et pour garantir à certains Etats leur liberté d’action stratégique et opérative.
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