A l’heure ou l’armée
française déploie des canons ou mortiers sur de nombreux théâtres d’opérations,
et alors que l’on a commémoré, l’année dernière, le 20ème
anniversaire de l’engagement des canons AUF1 français du 40ème RA
sur le Mont Igman pour mettre fin au siège de Sarajevo, les combats dans le Donbass (2014-2015)
mettent en lumière de nombreux enseignements opérationnels. En effet, les « séparatistes russes » ont
fait preuve d’une grande efficacité dans l’emploi de capacités blindés et
surtout artillerie pour prendre l’ascendant sur les forces ukrainiennes.
Ces engagements de haute
intensité se sont concentrés entre mai 2014 au moment de l’offensive lancée par
Kiev pour rétablir la souveraineté de ce territoire à l’est de l’Ukraine suivi
d’une contre-attaque russe à l’été et ce, jusqu'en septembre 2015, date à
laquelle un statu quo s’est mis en place.
Au début du conflit, l’armée
ukrainienne dispose de 150 000 hommes soutenus par 97 000
paramilitaires, d’environ 300 chars (T64, T80 et T84), de 1000 véhicules de
combat d’infanterie hétérogènes (BMP et BTR) et d’une artillerie importante
mais déclassée. Les troupes de la « Nouvelle Russie » peuvent compter
sur 17 à 30 000 combattants renforcés de « volontaires russes »
équipés de matériels volés à l’Ukraine mais renforcés d’armement russe, en
particulier d’une artillerie modernisée.
En mars 2014, la population
russe du Donbass se soulève et s’empare des points clefs de la province, en
particulier des agglomérations de Lougansk, Donetsk et Mariupol. En mai,
30 000 soldats ukrainiens tentent de contre-attaquer sur un espace de 200
sur 500 km, les forces conventionnelles russes soutenant les
« rebelles » à partir de leur territoire. Entre mai et juillet 2014,
les combats sont violents aux abords des localités et Kiev semble
progressivement reprendre l’avantage. Après avoir reçu de nombreux équipements
de Moscou, les « séparatistes » lancent une offensive et surpassent
les Ukrainiens notamment grâce à un emploi massif de l’artillerie. Celle-ci va
effectivement permettre de faire la différence alors même que les deux
belligérants appliquent globalement la même doctrine interarmes. L’armée de
l’air comme les hélicoptères seront très peu utilisés sur la ligne des contacts
comme sur les arrières, au bénéfice de drones moins vulnérables. En effet, les
deux parties ont saturé l’espace de manœuvre de défense sol-air mettant en
pratique le concept d’« Air denial » souvent négligé par les armées
occidentales (voir notre article http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/2012/01/les-strategies-anti-acces-nouvelle.html). Les drones permettent, en particulier pour les Russes, de
renseigner dans la profondeur, d’observer voire de régler les tirs indirects,
d’évaluer les dégâts sur l’adversaire et enfin de participer à la sauvegarde
des unités au contact. Certains de ces engins comme le ENIKS T90-11 (autonomie
20 minutes) sont même envoyés à de longue distance (90km) par des roquettes
tirées par des LRM de type BM30. Au sol, les chars russes T90A surclassent les
blindés ukrainiens grâce aux optroniques et à la conduite de tir. Leur système
d’autoprotection SHTORA et leur blindage
permet également de rendre inefficaces bon nombre de missiles anti-char
notamment ceux dotés de monocharges.
En matière d’artillerie, on
observe cinq tendances majeures :
1-le retour de l’utilisation
massive des lance-roquettes multiples
avec des effets améliorés associant éclat et souffle. Les munitions
d’artillerie thermobariques (TOS 1) et
anti-char sont également largement employées ;
2-le retour des radars de contre-batterie
et l’apparition d’équipements de type C-RAM ;
3-la remise au goût du jour
de l’artillerie d’assaut avec un binômage canon 2S1 et T90 pour des tirs
directs et/ou anti-chars jusqu’à 6 km;
4-la décentralisation des
feux au niveau du bataillon et une dispersion des pièces notamment pour se
protéger des feux de contre-batterie.
5-une augmentation des
portées.
Sur cette campagne,
l’artillerie a fait de lourds bilans allant jusqu’à neutraliser, en quelques
minutes, un bataillon mécanisé en attaque. Les appuis feux indirects
représentent 15% du volume de matériels engagés. Les canons et LRM, avec
jusqu’à 300-400 coups par pièces et par jour au plus fort des combats (ce qui
n’a pas été sans conséquences logistiques lourdes). De la même façon, ils ont
infligé 85% des pertes humaines (9000
tués et 21 000 blessés).
Face à cette menace
artillerie, certains fondamentaux, comme la recherche de la plus faible
concentration possible, le camouflage, la déception mais aussi la volonté
d’acquérir la supériorité des feux, ont été retrouvés. Le cycle décisionnel
(observation-orientation-décision-action-évaluation), le choix du meilleur
effet, la chaîne d’emploi des feux se sont vus réappropriés par les deux
adversaires. Ce conflit démontre également la nécessité de disposer de
capacités terrestres puissantes capables d’être engagées en haute intensité
face à un adversaire symétrique et disposant de puissants appuis feux sol-sol comme
d’une protection surface-air quasi étanche. La problématique du nombre de munitions
(dimension des stocks) et du flux logistique pour les amener jusqu'aux unités,
souvent ignoré face à un adversaire asymétrique, demeure une préoccupation pour
des armées qui sont souvent à flux tendu, pour des raisons financières, dans ce
domaine. L’emploi généralisé des drones doit aussi être pris en compte, en
particulier quand ils sont couplés avec des pièces aux portées importantes comme avec des
munitions de plus en plus précises. La déconfliction est bien du ressort des
artilleurs seuls à même de répartir dans le temps et dans l’espace, au profit
de l’interarmes tous les intervenants dans la 3ème dimension.
Pour conclure, l’artillerie a donc démontré une
fois de plus qu’elle peut contribuer de manière majeure aux trois principes de
la guerre que sont la liberté d’action, la concentration des efforts et
l’économie des forces.
On peut maintenant s'interroger sur l'analyse de la "Potomac Foundation" qui a largement étudié ce conflit et qui considère que "la modernisation des munitions d'artillerie, des moyens d'acquisition et de contre-batterie, l'utilisation massive des roquettes par les Russes réduit la supériorité présumée de l'artillerie des pays de l'OTAN".
On peut maintenant s'interroger sur l'analyse de la "Potomac Foundation" qui a largement étudié ce conflit et qui considère que "la modernisation des munitions d'artillerie, des moyens d'acquisition et de contre-batterie, l'utilisation massive des roquettes par les Russes réduit la supériorité présumée de l'artillerie des pays de l'OTAN".
Source image : http://cyborgs.uatoday.tv/fr.htm et Le Monde diplomatique
M. Jordan, Je vous remercie pour un reportage qui me semble être plus objectif et moins sensationnaliste (en fait pas du tout sensationnaliste) que la plupart des reportages qu'on lit dans les medias Anglo-Américains/NATO/EU. Intéressant et informatif.
RépondreSupprimerMerci bien pour votre commentaire et pour votre intérêt pour mon blog. Cordialement
RépondreSupprimerMerci pour votre analyse qui démontre de façon très intéressante le rôle toujours déterminant de l'artillerie dans les conflits actuels. -2aj
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