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jeudi 8 octobre 2015

Relecture de "La guerre moderne" de Roger Trinquier.


Alors que l’on voit aujourd'hui les forces terrestres davantage impliquées sur le territoire national et, sur les théâtres d’opérations, au moment où on observe un adversaire asymétrique de plus en plus important, la relecture de « La guerre moderne » de Roger Trinquier remet en perspective les opérations de contre-insurrection et l'action militaire dans les villes. Cette analyse des années 1960, très imprégnée des guerres coloniales en Indochine et en Afrique du Nord, garde, en grande partie, toute sa justesse et sa pertinence pour les situations conflictuelles contemporaines.
La préface de François Géré rappelle également les fondements qui doivent irriguer le lecteur dans son approche de l'ouvrage tout en rappelant d'abord l'affirmation de l'irrégularité comme caractère dominant de la guerre et ce,  avec un ennemi qui considère que "tout est permis" en dépit des conventions, des règles et des normes propres à nos sociétés.

Le livre met également l'accent sur le fait que "l'enjeu de la guerre moderne est la conquête de la population, notre premier objectif sera donc d'assurer sa protection par tous les moyens". Dans ce cadre, l'actualité nous démontre l'enjeu militaire (et de sécurité) qui consiste à protéger les civils face au terrorisme mais aussi face à la propagande, aux influences diverses, qu'elles soient d'ordre cyber ou qu'elles cherchent à radicaliser, manipuler voire recruter des personnes fragilisées. Quant aux procédés, François Géré explique, toujours en introduction, que Roger Trinquier estime que la défensive comme la guerre de poste sont insuffisantes, tout comme d'ailleurs l'engagement de forces régulières selon des modes d'action de type guerrilla.
En revanche, il milite pour une flexibilité organisationnelle accrue des armées et pour des pouvoirs judiciaires élargis donnés aux  militaires. Il encourage la sanctuarisation des regroupements de population (idée de "hameaux stratégiques") et condamne la torture.
Dans son ouvrage très structuré, Roger Trinquier rappelle les définitions liées au terrorisme et à ce qu'il considère comme l'ébauche de la guerre moderne, à savoir la lutte contre des adversaires irréguliers mais structurés (avec un tropisme pour l'exemple du FLN algérien) voire animés par une idéologie ou une violence sans limite. Il sait que ces groupes "couverts par la légalité, s'efforceront de créer à l'intérieur du pays et à l'étranger un climat favorable à leur cause, de mettre en place sur notre propre territoire les éléments essentiels de leur organisation de guerre" et ce, avant de commencer leurs actions meurtrières.


Face à cette menace il parle alors, sans utiliser le terme, de "résilience" en écrivant que "derrière le gouvernement et son armée, la nation attaquée ne fera qu'un bloc (...) l'armée chargée de mener le combat doit recevoir de la Nation un support sans réserve, affectueux et dévoué". D'ailleurs, un de ses chapitres (n°6) porte déjà le titre évocateur de "Défense du territoire, idées générales". Dans ce dernier, il préconise, en négligeant toutefois les services de sécurité intérieure (qu'il cantonne au temps de paix et à la lutte contre la délinquance), un découpage des zones urbaines en secteurs et îlots, afin d'assurer la protection de la population ou de certains sites dans le cadre d'un contrôle très strict des citoyens (en oubliant quelque peu les limites d'un Etat démocratique). La manoeuvre militaire dans le tissu urbain (national ou pas) prend alors des aspects de déploiement offensif avec des détachements mobiles, des éléments réservés et la mise en oeuvre de capteurs renseignement sur le terrain selon le principe du "filet".
Il insiste ensuite sur l'action psychologique, initiatrice de l'INFO OPS moderne, sensée protéger les foules de la propagande adverse mais il aborde aussi l'action sociale, les forces armées participant au soutien civil (subsistance, vie courante,...).
En outre, avec justesse, il met en avant la nécessité de concentrer les moyens nécessaires pour rechercher la destruction totale du dispositif ennemi afin d'éviter sa résurgence : " la victoire ne peut donc être acquise que par la destruction complète de l'ensemble de l'organisation" ; cet effort ne pouvant s'inscrire que dans le temps long : "mais pour que les mesures prises donnent des résultats attendus, agir simultanément sur une grande étendue et pendant le temps nécessaire qui peut être long".
Il décrit ce qu'il considère comme la methode la plus efficcace de contre-rebellion avec, en autre, le quadrillage, le bouclage des zones mis en oeuvre afin de couper les sanctuaires de guerrilla de leur ravitaillement ou des régions habitées. La guerre d'Algérie y apparaît comme son meilleur exemple, en particulier avec l'emploi des hélicoptères, mais ses methodes demeurent assez théoriques tant les contextes d'engagement contemporains peuvent être différents et compliqués. Néanmoins, il anticipe certains modes d'action que l'on peut observer actuellement, en Afrique par exemple, afin de disposer de détachements mobiles et réactifs à partir de bases opérationnelles avancées temporaires : "les unités devront pratiquement être nomades, capables de vivre très longtemps éloignées de leur base, de se disperser sur une grande surface pour mener à fond une opération policière, et de se regrouper rapidement en cas d'accorchage pour manoeuvrer et détruire les bandes qui tenteront de s'opposer à leur action". Quant aux moyens disponibles pour mener la mission, il critique ceux qui les jugent en permanence inadaptés considérant que "beaucoup de chefs militaires les jugent insuffisants. Nous savons qu'il n'y a pas d'exemple dans l'histoire militaire d'homme de guerre qui ait pu obtenir tous les moyens souhaités pour aller à la bataille. Le grand chef de guerre, c'est justement celui qui sait vaincre avec les moyens qui lui sont donnés."
Enfin, sa conclusion porte sur l'impérative capacité d'adaptation de l'outil militaire pour faire face aux défis à venir et pour ne pas sombrer dans un immobilisme source d'échecs : "si à l'exemple des chevaliers (référence précédente à la bataille de Crécy), notre armée refusait d'employer toutes les armes de la guerre moderne, elle ne pourrait plus remplir sa mission. Nous ne serions plus défendus : l'indépendance de notre pays, la civilisation qui nous est chère, notre liberté auraient probablement vécu."
Au bilan, malgré un manuscrit d'une autre époque et ceratins raccourcis de l'auteur dus au contexte militaire du moment, cet ouvrage sucite l'intérêt et la réflexion sur la capacité des forces armées à s'adapter aux mencaes asymétriques et au terrorisme, en opérations comme sur le territoire national.

Bonne lecture ou relecture...

Source image : blog camps-parachutistes.org

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